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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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- Ah ! enfin ! murmura Bouthemont soulagé.Mais une cloche sonnait, c'était la deuxième table, dont Favier faisait partie. Il<strong>des</strong>cendit de l'escabeau, un autre vendeur prit sa place ; et il lui fallut enjamber lahoule <strong>des</strong> pièces d'étoffe, qui avait encore monté sur les parquets. Maintenant, danstous les rayons, <strong>des</strong> écroulements pareils en<strong>com</strong>braient le sol ; les casiers, les cartons,les armoires se vidaient peu à peu, tandis que les marchandises débordaient de toutesparts, sous les pieds, entre les tables, dans une crue continuelle. <strong>Au</strong> blanc, onentendait les chutes lour<strong>des</strong> <strong>des</strong> piles de calicot ; à la mercerie, c'était un légercliquetis de boîtes ; et <strong>des</strong> roulements lointains venaient du <strong>com</strong>ptoir <strong>des</strong> meubles.Toutes les voix donnaient ensemble, <strong>des</strong> voix aiguës, <strong>des</strong> voix grasses, les chiffressifflaient dans l'air, une clameur grésillante battait l'immense nef, la clameur <strong>des</strong>forêts, en janvier, lorsque le vent souffle dans les branches.Favier se dégagea enfin et prit l'escalier <strong>des</strong> réfectoires.Depuis les agrandissements du <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, ces derniers se trouvaient auquatrième étage, dans les bâtiments neufs.Comme il se hâtait, il rattrapa Deloche et Liénard, montés avant lui ; alors, il serabattit sur Mignot, qui le suivait.- Diable! dit-il dans le corridor de la cuisine, devant le tableau noir où le menu étaitinscrit, on voit bien que c'est l'inventaire. Fête <strong>com</strong>plète ! Poulet ou émincé de gigot,et artichauts à l'huile !... Leur gigot va remporter une jolie veste!Mignot ricanait, en murmurant :- Il y a donc une maladie sur la volaille ?Cependant, Deloche et Liénard avaient pris leurs portions, puis s'en étaient allés.Alors, Favier, penché au guichet, dit à voix haute :- Poulet.Mais il dut attendre, un <strong>des</strong> garçons qui découpaient venait de s'entailler le doigt, etcela jetait un trouble. Il restait la face à l'ouverture, regardant la cuisine, d'uneinstallation géante, avec son fourneau central, sur lequel deux rails fixés au plafondamenaient par un système de poulies et de chaînes, les colossales marmites quequatre hommes n'auraient pu soulever. Des cuisiniers, tout blancs dans le rougesombre de la fonte, surveillaient le pot-au-feu du soir, montés sur <strong>des</strong> échelles de fer,armés d'écumoires, au bout de grands bâtons. Puis, c'étaient, contre le mur, <strong>des</strong> grilsà faire griller <strong>des</strong> martyrs, <strong>des</strong> casseroles à fricasser un mouton, un chauffe-assiettesmonumental, une vasque de marbre emplie par un continuel filet d'eau. Et l'onapercevait encore, à gauche, une laverie, <strong>des</strong> éviers de pierre larges <strong>com</strong>me <strong>des</strong>piscines ; tandis que, de l'autre côté, à droite, se trouvait un garde-manger, où l'onentrevoyait <strong>des</strong> vian<strong>des</strong> rouges, à <strong>des</strong> crocs d'acier. Une machine à pelurer lespommes de terre fonctionnait avec un tic-tac de moulin. Deux petites voitures, pleinesde sala<strong>des</strong> épluchées, passaient, traînées par <strong>des</strong> ai<strong>des</strong>, qui allaient les remiser aufrais, sous une fontaine.- Poulet, répéta Favier, pris d'impatience.Puis, se retournant, il ajouta plus bas :- Il y en a un qui s'est coupé... C'est dégoûtant, ça coule dans la nourriture.Mignot voulut voir. Toute une queue de <strong>com</strong>mis grossissait, il y avait <strong>des</strong> rires, <strong>des</strong>poussées. Et, maintenant, les deux jeunes gens, la tête au guichet, se<strong>com</strong>muniquaient leurs réflexions, devant cette cuisine de phalanstère, où les moindresustensiles, jusqu'aux broches et aux lardoires, devenaient gigantesques. Il y fallaitservir deux mille déjeuners et deux mille dîners, sans <strong>com</strong>pter que le nombre <strong>des</strong>employés augmentait de semaine en semaine. C'était un gouffre, on y engloutissait enun jour seize hectolitres de pommes de terre, cent vingt livres de beurre, six centskilogrammes de viande ; et, à chaque repas, on devait mettre trois tonneaux enperce, près de sept cents litres coulaient sur le <strong>com</strong>ptoir de la buvette.- Ah! enfin! murmura Favier, lorsque le cuisinier de service reparut avec une bassine,où il piqua une cuisse pour la lui donner.156

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