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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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- Avec ça que vous êtes bien, au <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>! Flanqués à la porte pour un mot! et un patron qui a l'air de raccrocher ses clientes !Hutin ne l'écoutait plus, entamait l'éloge de la place Clichy.Il y connaissait une jeune fille, qui était si convenable, que les acheteuses n'osaients'adresser à elle, de peur de l'humilier.Ensuite, il rapprocha son couvert, il raconta qu'il avait fait cent quinze francs pendantla semaine; oh! une semaine épatante, Favier laissé à cinquante-deux francs, tout letableau de ligne roulé ; et ça se voyait, n'est-ce pas ? il bouffait la monnaie, il ne secoucherait pas avant d'avoir liquidé les cent quinze francs.Puis, <strong>com</strong>me il se grisait, il tomba sur Robineau, ce gringalet de second qui affectait <strong>des</strong>e tenir à part, au point de ne pas vouloir, dans la rue, marcher avec un de sesvendeurs.- Taisez-vous, dit Liénard, vous parlez trop, mon cher.La chaleur avait grandi, les bougies coulaient sur les nappes tachées de vin ; et, parles fenêtres ouvertes, lorsque le bruit <strong>des</strong> dîneurs tombait brusquement, entrait unevoix lointaine, prolongée, la voix de la rivière et <strong>des</strong> grands peupliers, quis'endormaient dans la nuit calme. Baugé venait de demander l'addition, en voyant queDenise n'allait pas mieux, toute blanche, le menton convulsé par les larmes qu'elleretenait; mais le garçon ne reparaissait plus, et elle dut subir encore les éclats de voixde Hutin. Maintenant, il se disait plus chic que Liénard, parce que Liénard mangeaitsimplement l'argent de son père, tandis que lui mangeait l'argent gagné, le fruit <strong>des</strong>on intelligence. Enfin, Baugé paya, les deux femmes sortirent.- En voilà une du Louvre, murmura Pauline dans la première salle, en regardant unegrande fille mince qui mettait son manteau.- Tu ne la connais pas, tu n'en sais rien, dit le jeune homme.- Avec ça ! et la façon de se draper !... Rayon de l'accoucheuse, va ! Si elle a entendu,elle doit être contente !Ils étaient dehors. Denise eut un soupir de soulagement. Elle avait cru mourir, danscette chaleur suffocante, au milieu de ces cris ; et elle expliquait toujours son malaisepar le manque d'air. À présent, elle respirait. Une fraîcheur tombait du ciel étoilé.Comme les deux jeunes filles quittaient le jardin du restaurant, une voix timidemurmura dans l'ombre :- Bonsoir, mesdemoiselles.C'était Deloche. Elles ne l'avaient pas vu au fond de la première salle, où il dînait seul,après être venu de Paris à pied, pour le plaisir. En reconnaissant cette voix amie,Denise, souffrante, céda machinalement au besoin d'un soutien.- Monsieur Deloche, vous rentrez avec nous, dit-elle.Donnez-moi votre bras.Déjà Pauline et Baugé marchaient devant. Ils s'étonnèrent.Ils n'auraient pas cru que ça se ferait ainsi, et avec ce garçon.Pourtant, <strong>com</strong>me on avait une heure encore avant de prendre le train, ils allèrentjusqu'au bout de l'île, ils suivirent la berge, sous les grands arbres ; et, de temps àautre, ils se retournaient, ils murmuraient :- Où sont-ils donc ? Ah ! les voici... c'est drôle tout de même.D'abord, Denise et Deloche avaient gardé le silence.Lentement, le vacarme du restaurant se mourait, prenait une douceur musicale, aufond de la nuit ; et ils entraient plus avant dans le froid <strong>des</strong> arbres, encore fiévreux decette fournaise, dont les bougies s'éteignaient une à une, derrière les feuilles. En faced'eux, c'était <strong>com</strong>me un mur de ténèbres, une masse d'ombre, si <strong>com</strong>pacte, qu'ils nedistinguaient pas même la trace pâle du sentier. Cependant, ils allaient avec douceur,sans crainte. Puis, leurs yeux s'accoutumèrent, ils virent à droite les troncs <strong>des</strong>peupliers, pareils à <strong>des</strong> colonnes sombres portant les dômes de leurs branches, criblésd'étoiles ; tandis que, sur la droite, l'eau par moments avait dans le noir un luisant demiroir d'étain. Le vent tombait, ils n'entendaient plus que le ruissellement de la rivière.79

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