12.07.2015 Views

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

- J'avais six ans, ma mère m'emmenait dans une carriole au marché de la ville. Voussavez qu'il y a treize bons kilomètres, il fallait partir de Briquebec à cinq heures...C'est très beau, par chez nous. Est-ce que vous connaissez ?- Oui, oui, répondait lentement Denise, les regards au loin. J'y suis allée une fois, maisj'étais bien petite... Des routes, avec <strong>des</strong> gazons à droite et à gauche, n'est-ce pas ?et, de loin en loin, <strong>des</strong> moutons lâchés deux à deux, traînant la corde de leursentraves...Elle se taisait, puis reprenait avec un vague sourire :- Nous autres, nous avons <strong>des</strong> routes droites pendant <strong>des</strong> lieues, entre les arbres quifont de l'ombre... Nous avons <strong>des</strong> herbages entourés de haies plus gran<strong>des</strong> que moi,où il y a <strong>des</strong> chevaux et <strong>des</strong> vaches... Nous avons une petite rivière, et l'eau est trèsfroide, sous les broussailles, dans un endroit que je sais bien.- C'est <strong>com</strong>me nous ! c'est <strong>com</strong>me nous ! criait Deloche ravi.Il n'y a que de l'herbe, chacun enferme son morceau avec <strong>des</strong> aubépines et <strong>des</strong>ormes, et l'on est chez soi, et c'est tout vert, oh ! d'un vert qu'ils n'ont pas à Paris...Mon Dieu ! que j'ai joué au fond du chemin creux, à gauche, en <strong>des</strong>cendant du moulin!Et leurs voix défaillaient, ils demeuraient les yeux fixés et perdus sur le lac ensoleillé<strong>des</strong> vitres. Un mirage se levait pour eux de cette eau aveuglante, ils voyaient <strong>des</strong>pâturages à l'infini, le Cotentin trempé par les haleines de l'océan, baigné d'unevapeur lumineuse, qui fondait l'horizon dans un gris délicat d'aquarelle. En bas, sous lacolossale charpente de fer, dans le hall <strong>des</strong> soieries, ronflait la vente, la trépidation dela machine en travail ; toute la maison vibrait du piétinement de la foule, de la hâte<strong>des</strong> vendeurs, de la vie <strong>des</strong> trente mille personnes qui s'écrasaient là ; et eux,emportés par leur rêve, à sentir ainsi cette profonde et sourde clameur dont les toitsfrémissaient, croyaient entendre le vent du large passer sur les herbes, en secouantles grands arbres.- Mon Dieu! mademoiselle Denise, balbutia Deloche, pourquoi n'êtes-vous pas plusgentille ?... Moi qui vous aime tant !Des larmes lui étaient montées aux yeux et <strong>com</strong>me elle voulait l'interrompre d'ungeste, il continua vivement :- Non, laissez-moi vous dire ces choses une fois encore...Nous nous entendrions si bien ensemble ! On a toujours à causer, quand on est dumême pays.Il suffoqua, elle put enfin dire doucement :- Vous n'êtes pas raisonnable, vous m'aviez promis de ne plus parler de cela... C'estimpossible. J'ai beaucoup d'amitié pour vous, parce que vous êtes un brave garçon ;mais je veux rester libre.- Oui, oui, je sais, reprit-il d'une voix brisée, vous ne m'aimez pas. Oh ! vous pouvezle dire, je <strong>com</strong>prends ça, je n'ai rien pour que vous m'aimiez... Tenez ! il n'y a euqu'une bonne heure dans ma vie, le soir où je vous ai rencontrée à Joinville, vous voussouvenez ? Un instant, sous les arbres, où il faisait si noir, j'ai cru que votre brastremblait, j'ai été assez bête pour m'imaginer...Mais elle lui coupa de nouveau la parole. Son oreille fine venait d'entendre les pas deBourdonde et de Jouve, au bout du corridor.- Ecoutez donc, on a marché.- Non, dit-il, en l'empêchant de quitter la fenêtre. C'est dans ce réservoir : il en sorttoujours <strong>des</strong> bruits extraordinaires, on croirait qu'il y a du monde dedans.Et il continua ses plaintes timi<strong>des</strong> et caressantes. Elle ne l'écoutait plus, reprise d'unesongerie à ce bercement d'amour, promenant ses regards sur les toitures du <strong>Bonheur</strong><strong>des</strong> <strong>Dames</strong>.A droite et à gauche de la galerie vitrée, d'autres galeries, d'autres halls luisaient ausoleil, entre <strong>des</strong> <strong>com</strong>bles troués de fenêtres et allongés symétriquement, <strong>com</strong>me <strong>des</strong>ailes de caserne. Des charpentes métalliques se dressaient, <strong>des</strong> échelles, <strong>des</strong> ponts,187

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!