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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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où elle avait frémi et balbutié devant lui. Elle l'aimait lorsqu'elle le redoutait <strong>com</strong>me unmaître sans pitié, elle l'aimait lorsque son coeur éperdu rêvait de Hutin, inconscient,cédant à un besoin d'affection. Peut-être se serait-elle donnée à un autre, mais jamaiselle n'avait aimé que cet homme dont un regard la terrifiait. Et tout le passé revivait,se déroulait dans la clarté de la fenêtre : les sévérités <strong>des</strong> premiers temps, cettepromenade si douce sous les ombrages noirs <strong>des</strong> Tuileries, enfin les désirs dont ill'effleurait depuis l'heure où elle était rentrée. La lettre glissa jusqu'à terre, Deniseregardait toujours la fenêtre, dont le plein soleil l'éblouissait.Brusquement, on frappa, et elle se hâta de ramasser la lettre, de la faire disparaîtredans sa poche. C'était Pauline, qui, s'échappant de son rayon sous un prétexte, venaitcauser un peu.- Etes-vous remise, ma chère ? On ne se rencontre plus.Mais, <strong>com</strong>me il était défendu de remonter dans les chambres, et surtout de s'yenfermer à deux, Denise l'emmena au bout du couloir, où se trouvait le salon deréunion, une galanterie du directeur pour ces demoiselles, qui pouvaient y causer ou ytravailler, en attendant onze heures. La pièce, blanc et or, d'une nudité banale de salled'hôtel, était meublée d'un piano, d'un guéridon central, de fauteuils et te canapésrecouverts de housses blanches. Du reste, après quelques soirées passées entre elles,dans le premier feu de la nouveauté, les vendeuses ne s'y rencontraient plus, sans enarriver tout de suite aux mots désagréables. C'était une éducation à faire, la petite citéphalanstérienne manquait de concorde. Et, en attendant, il n'y avait guère là, le soir,que la seconde <strong>des</strong> corsets, miss Powell, qui tapait sèchement du Chopin sur le piano,et dont le talent jalousé achevait de mettre en fuite les autres.- Vous voyez, mon pied va mieux, dit Denise. Je <strong>des</strong>cendais.- Ah bien ! cria la lingère, en voilà du zèle!... C'est moi qui resterais à me dorloter, sij'avais un prétexte !Toutes deux s'étaient assises sur un canapé. L'attitude de Pauline avait changé, depuisque son amie était seconde aux confections. Il entrait, dans sa cordialité de bonnefille, une nuance de respect, une surprise de sentir la petite vendeuse chétived'autrefois en marche pour la fortune. Cependant, Denise l'aimait beaucoup et seconfiait à elle seule, au milieu du continuel galop <strong>des</strong> deux cents femmes que lamaison occupait maintenant.- Qu'avez-vous? demanda vivement Pauline, quand elle remarqua le trouble de lajeune fille.- Mais rien, assura celle-ci, avec un sourire embarrassé.- Si, si, vous avez quelque chose... Vous vous méfiez donc de moi, que vous ne medites plus vos chagrins ?Alors, Denise, dans l'émotion qui gonflait sa poitrine et qui ne pouvait se calmer,s'abandonna. Elle tendit la lettre à son amie, en balbutiant :- Tenez ! il vient de m'écrire.Entre elles, jamais encore elles n'avaient parlé ouvertement de Mouret. Mais ce silencemême était <strong>com</strong>me un aveu de leurs secrètes préoccupations. Pauline n'ignorait rien.Après avoir lu la lettre, elle se serra contre Denise, la prit à la taille, pour lui murmurerdoucement :- Ma chère, si vous voulez que je sois franche, je croyais que c'était fait... Ne vousrévoltez donc pas, je vous assure que tout le magasin doit le croire <strong>com</strong>me moi.Dame! il vous a nommée seconde si vite, puis il est toujours après vous, ça crève lesyeux !Elle lui mit un gros baiser sur la joue. Puis, elle l'interrogea.- Vous irez ce soir, naturellement ?Denise la regardait sans répondre. Et, tout d'un coup, elle éclata en sanglots, la têteappuyée sur l'épaule de son amie.Celle-ci demeura très surprise.- Voyons, calmez-vous. Il n'y a rien là-dedans qui puisse vous bouleverser ainsi.148

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