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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Vers onze heures, quelques dames se présentèrent. Le tour de vente de Denisearrivait. Justement, une cliente fut signalée.- La grosse de province, vous savez, murmura Marguerite.C'était une femme de quarante-cinq ans, qui débarquait de loin en loin à Paris, dufond d'un département perdu. Là-bas, pendant <strong>des</strong> mois, elle mettait <strong>des</strong> sous de côté; puis, à peine <strong>des</strong>cendue de wagon, elle tombait au <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, elledépensait tout. Rarement, elle demandait par lettre, car elle voulait voir, avait la joiede toucher la marchandise, faisait jusqu'à <strong>des</strong> provisions d'aiguilles, qui, disait-elle,coûtaient les yeux de la tête, dans sa petite ville. Tout le magasin la connaissait,savait qu'elle se nommait Mme Boutarel et qu'elle habitait Albi, sans s'inquiéter dureste, ni de sa situation, ni de son existence.- Vous allez bien, madame? demandait gracieusement Mme <strong>Au</strong>rélie qui s'étaitavancée. Et que désirez-vous ? On est à vous tout de suite.Puis, se tournant :- Mesdemoiselles !Denise s'approchait, mais Clara s'était précipitée. D'habitude, elle se montraitparesseuse à la vente, se moquant de l'argent, en gagnant davantage au-dehors, etsans fatigue.Seulement, l'idée de souffler une bonne cliente à la nouvelle venue, l'éperonnait.- Pardon, c'est mon tour, dit Denise révoltée.Mme <strong>Au</strong>rélie l'écarta d'un regard sévère, en murmurant :- Il n'y a pas de tour, je suis la seule maîtresse ici... Attendez de savoir, pour servir lesclientes connues.La jeune fille recula; et, <strong>com</strong>me <strong>des</strong> larmes lui montaient aux yeux, elle voulut cachercet excès de sensibilité, elle tourna le dos, debout devant les glaces sans tain, feignantde regarder dans la rue. Allait-on l'empêcher de vendre ? Toutes s'entendraient-elles,pour lui enlever ainsi les ventes sérieuses ?La peur de l'avenir la prenait, elle se sentait écrasée entre tant d'intérêts lâchés.Cédant à l'amertume de son abandon, le front contre la glace froide, elle regardait enface le Vieil Elbeuf, elle songeait qu'elle aurait dû supplier son oncle de la garder ;peut-être lui-même désirait-il revenir sur sa décision, car il lui avait semblé bien ému,la veille. Maintenant, elle était toute seule, dans cette maison vaste, où personne nel'aimait, où elle se trouvait blessée et perdue ; Pépé et Jean vivaient chez <strong>des</strong>étrangers, eux qui n'avaient jamais quitté ses jupes ; c'était un arrachement, et lesdeux grosses larmes qu'elle retenait faisaient danser la rue dans un brouillard.Derrière elle, pendant ce temps, bourdonnaient <strong>des</strong> voix :- Celui-ci m'engonce, disait Mme Boutarel.- Madame a tort, répétait Clara. Les épaules vont à la perfection... À moins queMadame ne préfère une pelisse à un manteau.Mais Denise tressaillit. Une main s'était posée sur son bras, Mme <strong>Au</strong>rélie l'interpellaitavec sévérité.- Eh bien! vous ne faites rien maintenant, vous regardez passer le monde?... Oh! çane peut pas marcher <strong>com</strong>me ça !- Puisqu'on m'empêche de vendre, madame.- Il y a d'autre ouvrage pour vous, mademoiselle.Commencez par le <strong>com</strong>mencement... Faites le déplié.Afin de contenter quelques clientes qui étaient venues, on avait dû bouleverser déjàles armoires ; et, sur les deux longues tables de chêne, à gauche et à droite du salon,traînait un fouillis de manteaux, de pelisses, de roton<strong>des</strong>, <strong>des</strong> vêtements de toutes lestailles et de toutes les étoffes. Sans répondre, Denise se mit à les trier, à les plier avecsoin et à les classer de nouveau dans les armoires. C'était la besogne inférieure <strong>des</strong>débutantes. Elle ne protestait plus, sachant qu'on exigeait une obéissance passive,attendant que la première voulût bien la laisser vendre, ainsi qu'elle semblait d'aborden avoir l'intention. Et elle pliait toujours, lorsque Mouret parut. Ce fut pour elle une50

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