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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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- Le père est là-haut, reprit Mme Baudu de sa voix brisée.Nous y passons deux heures chacun ; il faut bien que quelqu'un garde ici, oh !seulement par précaution, car en vérité...Son geste acheva la phrase. Ils auraient mis les volets, sans leur vieil orgueil<strong>com</strong>mercial qui les tenait encore debout devant le quartier.- Alors, je monte, ma tante, dit Denise dont le coeur se serrait, dans ce désespoirrésigné que les pièces de drap exhalaient elles-mêmes.- Oui, monte, monte vite, ma fille... Elle t'attend, elle t'a demandée toute la nuit. C'estquelque chose qu'elle veut te dire.Mais, juste à ce moment, Baudu <strong>des</strong>cendit. La bile tournée verdissait son visagejaune, où ses yeux se tachaient de sang.Il gardait le pas étouffé dont il venait de quitter la chambre, il murmura, <strong>com</strong>me si onavait pu l'entendre d'en haut :- Elle dort.Et, les jambes cassées, il s'assit sur une chaise. D'un geste machinal, il s'essuyait lefront avec l'essoufflement d'un homme qui sort d'une rude besogne. Un silence régna.Enfin, il dit à Denise :- Tu la verras tout à l'heure... Quand elle dort, il nous semble qu'elle est guérie.Le silence re<strong>com</strong>mença. Face à face, le père et la mère se contemplaient. Puis, àdemi-voix, il remâcha ses douleurs, ne nommant personne, ne s'adressant àpersonne.- Ma tête sous le couteau, je ne l'aurais pas cru!... Il était le dernier, je l'avais élevé<strong>com</strong>me mon fils. On serait venu me dire : " Ils te le prendront aussi, tu le verras fairela culbute ", j'aurais répondu: "Alors, c'est qu'il n'y aura plus de bon Dieu ! " Et il l'afaite, la culbute!... Ah ! le malheureux, qui était si bien au courant du vrai <strong>com</strong>merce,qui avait toutes mes idées! Pour une guenuche, pour un de ces mannequins quiparadent aux vitrines <strong>des</strong> maisons louches !... Non, voyez-vous, c'est à confondre laraison !Il branlait la tête, ses yeux vagues s'étaient baissés et regardaient les dalles humi<strong>des</strong>,usées par <strong>des</strong> générations de clientes.- Voulez-vous savoir? continua-t-il à voix plus basse, eh bien ! il y a <strong>des</strong> moments oùje me sens le plus coupable, dans notre malheur. Oui, c'est ma faute, si notre pauvrefille est là-haut, dévorée de fièvre. Est-ce que je n'aurais pas dû les marier tout <strong>des</strong>uite, sans céder à mon bête d'orgueil, à mon entêtement de ne point leur laisser lamaison moins prospère ?Maintenant, elle aurait celui qu'elle aime, et peut-être leur jeunesse à tous deuxac<strong>com</strong>plirait-elle ici le miracle que je n'ai pas su réaliser... Mais je suis un vieux fou, jen'y ai rien <strong>com</strong>pris, je ne croyais pas qu'on tombât malade pour <strong>des</strong> choses pareilles...Vrai ! ce garçon était extraordinaire : un don de la vente, et une probité, unesimplicité de moeurs, un ordre en toutes sortes, enfin mon élève...Il relevait la tête, défendant encore ses idées, dans ce <strong>com</strong>mis qui le trahissait. Denisene put l'entendre s'accuser, et elle lui dit tout, emportée par son émotion, à le voir sihumble, les yeux pleins de larmes, lui qui autrefois régnait là, en maître grondeur etabsolu.- Mon oncle, ne l'excusez pas, je vous en prie... Il n'a jamais aimé Geneviève, il seserait enfui plus tôt, si vous aviez voulu hâter le mariage. Je lui en ai parlé moi-même; il savait parfaitement que ma pauvre cousine souffrait à cause de lui, et vous voyezbien que cela ne l'a pas empêché de partir...Demandez à ma tante. Sans ouvrir les lèvres, Mme Baudu confirma ces paroles d'unsigne de tête. Alors, le drapier blêmit davantage, tandis que les larmes achevaient del'aveugler. Il bégaya :- Ça devait être dans le sang, le père est mort l'été dernier d'avoir trop couru lagueuse.197

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