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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Il parlait <strong>des</strong> vendeurs de la mercerie. Alors, toute la table s'égaya. Entre deuxmorceaux, la voix empâtée, chacun lâchait une phrase, ajoutait un détail ; et il n'yavait que les liseurs obstinés, qui restaient muets, perdus, le nez enfoncé dans unjournal. On en tombait d'accord ; chaque année, les employés de <strong>com</strong>merce prenaientun meilleur genre. Près de la moitié, à présent, parlaient l'allemand ou l'anglais. Lechic n'était plus d'aller faire du boucan à Bullier, de rouler les café-concerts pour ysiffler les chanteuses lai<strong>des</strong>. Non, on se réunissait une vingtaine, on fondait un cercle.- Est-ce qu'ils ont un piano <strong>com</strong>me les toiliers ? demanda Liénard.- Si le Bobin-Club a un piano, je crois bien ! cria Mignot.Et ils jouent, et ils chantent !... Même il y en a un, le petit Bavoux, qui lit <strong>des</strong> vers.La gaieté redoubla, on blaguait le petit Bavoux ; pourtant, il y avait sous les rires unegrande considération. Puis, on causa d'une pièce du Vaudeville, où un calicot jouait unvilain rôle ; plusieurs se fâchaient pendant que d'autres s'inquiétaient de l'heure àlaquelle on les lâcherait le soir, car ils devaient aller en soirée, dans <strong>des</strong> famillesbourgeoises. Et de tous les points de la salle immense partaient <strong>des</strong> conversationssemblables, au milieu du vacarme croissant de la vaisselle. Pour chasser l'odeur de lanourriture,la buée chaude qui montait <strong>des</strong> cinq cents couverts débandés, on avaitouvert les fenêtres, dont les stores baissés étaient brûlants du lourd soleil d'août. Dessouffles ardents venaient de la rue, <strong>des</strong> reflets d'or jaunissaient le plafond, baignaientd'une lumière rousse les convives en nage.- S'il est permis de vous enfermer un dimanche, par un temps pareil! répéta Favier.Cette réflexion ramena ces messieurs à l'inventaire. L'année était superbe. Et l'on envint aux appointements, aux augmentations, l'éternel sujet, la question passionnantequi les secouait tous. Il en était chaque fois de même les jours de volaille, unesurexcitation se déclarait, le bruit finissait par être insupportable. Quand les garçonsapportèrent les artichauts à l'huile, on ne s'entendait plus. L'inspecteur de serviceavait l'ordre d'être tolérant.- À propos, cria Favier, vous connaissez l'aventure ?Mais il eut la voix couverte. Mignot demandait:- Qui est-ce qui n'aime pas l'artichaut ? Je vends mon <strong>des</strong>sert contre un artichaut.Personne ne répondit. Tout le monde aimait l'artichaut. Ce déjeuner-là <strong>com</strong>pteraitparmi les bons, car on avait vu <strong>des</strong> pêches pour le <strong>des</strong>sert.- Il l'a invitée à dîner, mon cher, disait Favier à son voisin de droite, en achevant sonrécit. Comment! vous ne le saviez pas ?La table entière le savait, on était fatigué d'en causer depuis le matin. Et <strong>des</strong>plaisanteries, toujours les mêmes, passèrent de bouche en bouche. Delochefrémissait, ses yeux finirent par se fixer sur Favier, qui répétait avec insistance:- S'il ne l'a pas eue, il va l'avoir... Et il n'en aura pas l'étrenne, ah! non, il n'en aurapas l'étrenne.Lui aussi regardait Deloche. Il ajouta d'un air provocant:- Ceux qui aiment les os peuvent se la payer pour cent sous.Brusquement, il baissa la tête. Deloche, cédant à un mouvement irrésistible, venait delui jeter son dernier verre de vin par la figure, en bégayant:- Tiens! sale menteur, j'aurais dû t'arroser hier! Ce fut un esclandre. Quelques gouttesavaient éclaboussé les voisins de Favier, dont les cheveux seuls se trouvaient mouilléslégèrement : le vin, lancé d'une main trop rude, était allé tomber de l'autre côté de latable. Mais on se fâchait. Il couchait donc avec, qu'il la défendait ainsi ? Quelle brute !il aurait mérité une paire de gifles, pour apprendre à se conduire.Pourtant, les voix baissèrent, on signalait l'approche de l'inspecteur, et c'était inutilede mettre la direction dans la querelle. Favier se contenta de dire :- S'il m'avait attrapé, vous auriez vu quelle danse !Puis, cela finit par <strong>des</strong> moqueries. Lorsque Deloche, encore tremblant, voulut boirepour cacher son trouble, et qu'il saisit d'une main tremblante son verre vide, <strong>des</strong> rirescoururent.158

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