parbleu! je t'ai dit ce qu'on dit d'habitude. Mais tu tombes là, sans crier gare... C'esttrès embarrassant.Il haussait la voix, il se soulageait. Sa femme et sa fille restaient les regards à terre,en personnes soumises qui ne se permettaient jamais d'intervenir. Cependant, tandisque Jean blêmissait, Denise avait serré contre sa poitrine Pépé terrifié.Elle laissa tomber deux grosses larmes.- C'est bien, mon oncle, répéta-t-elle. Nous allons nous en aller.Du coup, il se contint. Un silence embarrassé régna. Puis, il reprit d'un ton bourru :- Je ne vous mets pas à la porte... Puisque vous êtes entrés maintenant, vouscoucherez toujours en haut, ce soir. Nous verrons après. Alors, Mme Baudu etGeneviève <strong>com</strong>prirent, sur un regard, qu'elles pouvaient arranger les choses. Tout futréglé. Il n'y avait point à s'occuper de Jean. Quant a Pépé, il serait à merveille chezMme Gras, une vieille dame qui habitait un grand rez-de-chaussée, rue <strong>des</strong> Orties, oùelle prenait en pension <strong>com</strong>plète <strong>des</strong> enfants jeunes, moyennant quarante francs parmois.Denise déclara qu'elle avait de quoi payer le premier mois. Il ne restait donc qu'à laplacer elle-même. On lui trouverait bien une place dans le quartier.- Est-ce que Vinçard ne demandait pas une vendeuse ? dit Geneviève.- Tiens ! c'est vrai ! cria Baudu. Nous irons le voir après déjeuner. Il faut battre le ferpendant qu'il est chaud.Pas un client n'était venu déranger cette explication de famille. La boutique restaitnoire et vide. <strong>Au</strong> fond, les jeux <strong>com</strong>mis et la demoiselle continuaient leur besogneavec <strong>des</strong> paroles chuchotées et sifflantes. Pourtant, trois dames se présentèrent,Denise resta seule un instant. Elle baisa Pépé, le coeur gros, à l'idée de leur prochaineséparation. L'enfant, câlin <strong>com</strong>me un petit chat, cachait sa tête, sans prononcer uneparole. Quand Mme Baudu et Geneviève revinrent, elles le trouvèrent bien sage, etDenise assura qu'il ne faisait jamais plus de bruit : il restait muet les journéesentières, vivant de caresses. Alors, jusqu'au déjeuner, toutes trois parlèrent <strong>des</strong>enfants, du ménage, de la vie à Paris et en province, par phrases courtes et vagues,en parentes un peu embarrassées de ne pas se connaître. Jean était allé sur le seuil dela boutique et n'en bougeait plus, intéressé par la vie <strong>des</strong> trottoirs, souriant aux joliesfilles qui passaient.À dix heures, une bonne parut. D'ordinaire, la table était servie pour Baudu,Geneviève et le premier <strong>com</strong>mis. Il y avait une seconde table à onze heures pour MmeBaudu, l'autre <strong>com</strong>mis et la demoiselle.- A la soupe ! cria le drapier, en se tournant vers sa nièce.Et, <strong>com</strong>me tous étaient assis déjà dans l'étroite salle à manger, derrière la boutique, ilappela le premier <strong>com</strong>mis qui s'attardait.- Colomban !Le jeune homme s'excusa, ayant voulu finir de ranger les flanelles. C'était un grosgarçon de vingt-cinq ans, lourd et madré. Sa face honnête, à la grande bouche molle,avait <strong>des</strong> yeux de ruse.- Que diable ! il y a temps pour tout; disait Baudu, qui, installé carrément, découpaitun morceau de veau froid, avec une prudence et une adresse de patron, pesant lesminces parts du coup d'oeil, à un gramme près.Il servit tout le monde, coupa même le pain Denise avait pris Pépé auprès d'elle, pourle faire manger proprement. Mais la salle obscure l'inquiétait ; elle la regardait, elle sesentait le coeur serré, elle qui était habituée aux larges pièces, nues et claires, de saprovince. Une seule fenêtre ouvrait sur une petite cour intérieure, <strong>com</strong>muniquant avecla rue par l'allée noire de la maison ; et cette cour, trempée, empestée, était <strong>com</strong>meun fond de puits, où tombait un rond de clarté louche. Les jours d'hiver, on devaitallumer le gaz du matin au soir. Lorsque le temps permettait de ne pas allumer, c'étaitplus triste encore.6
Il fallut un instant à Denise, pour accoutumer ses yeux et distinguer suffisamment lesmorceaux sur son assiette.- Voilà un gaillard qui a bon appétit, déclara Baudu en constatant que Jean avaitachevé son veau. S'il travaille autant qu'il mange, ça fera un rude homme... Mais toi,ma fille, tu ne manges pas ? ... Et dis-moi, maintenant qu'on peut causer, pourquoi net'es-tu pas mariée, à Valognes ? Denise lâcha son verre qu'elle portait à sa bouche.- Oh ! mon oncle, me marier ! vous n'y pensez pas !... Et les petits ?Elle finit par rire, tant l'idée lui semblait baroque. D'ailleurs, est-ce qu'un hommeaurait voulu d'elle, sans un sou, pas plus grosse qu'un mauviette, et pas belle encore ?Non, non, jamais elle ne se marierait, elle avait assez de deux enfants.- Tu as tort, répétait l'oncle, une femme a toujours besoin d'un homme. Si tu avaistrouvé un brave garçon, vous ne seriez pas tombés sur le pavé de Paris, toi et tesfrères, <strong>com</strong>me <strong>des</strong> bohémiens.Il s'interrompit, pour partager de nouveau, avec une parcimonie pleine de justice, unplat de pommes de terre au lard, que la bonne apportait. Puis, désignant de la cuillerGeneviève et Colomban :- Tiens! reprit-il, ces deux-là seront mariés au printemps, si la saison d'hiver estbonne.C'était l'habitude patriarcale de la maison. Le fondateur Aristide Finet, avait donné safille Désirée à son premier <strong>com</strong>mis Hauchecorne; lui, Baudu, débarqué rue de laMichodière avec sept francs dans sa poche, avait épousé la fille du père Hauchecorne,Élisabeth : et il entendait à son tour céder sa fille Geneviève et la maison à Colomban,dès que les affaires reprendraient. S'il retardait ainsi un mariage décidé depuis troisans, c'était par un scrupule, un entêtement de probité: il avait reçu la maisonprospère, il ne voulait point la passer aux mains d'un gendre, avec une clientèlemoindre et <strong>des</strong> opérations douteuses.Baudu continua, présenta Colomban qui était de Rambouillet, <strong>com</strong>me le père de MmeBaudu ; même il existait entre eux un cousinage éloigné. Un gros travailleur, qui,depuis dix années, trimait dans la boutique, et qui avait gagné ses gra<strong>des</strong> rondement !D'ailleurs, il n'était pas le premier venu, il avait pour père ce noceur de Colomban, unvétérinaire connu de tout Seine-et-Oise, un artiste dans sa partie, mais tellementporté sur sa bouche, qu'il mangeait tout.- Dieu merci ! dit le drapier pour conclure, si le père boit et court la gueuse, le fils a suapprendre ici le prix de l'argent.Pendant qu'il parlait, Denise examinait Colomban et Geneviève. Ils étaient à table l'unprès de l'autre ; mais ils y restaient bien tranquilles, sans une rougeur, sans unsourire. Depuis le jour de son entrée, le jeune homme <strong>com</strong>ptait sur ce mariage.Il avait passé par les différentes étapes, petit <strong>com</strong>mis, vendeur appointé, admis enfinaux confidences et aux plaisirs de la famille, le tout patiemment, menant une vied'horloge, regardant Geneviève <strong>com</strong>me une affaire excellente et honnête. La certitudede l'avoir l'empêchait de la désirer. Et la jeune fille, elle aussi, s'était accoutumée àl'aimer, mais avec la gravité de sa nature contenue, et d'une passion profonde qu'elleignorait elle-même, dans son existence plate et réglée de tous les jours.- Quand on se plaît et qu'on le peut, crut devoir dire Denise en souriant, pour semontrer aimable.- Oui, on finit toujours par là, déclara Colomban, qui n'avait pas encore lâché uneparole, mâchant avec lenteur.Geneviève, après avoir jeté sur lui un long regard, dit à son tour :- Il faut s'entendre, ensuite, ça va tout seul.Leurs tendresses avaient poussé dans ce rez-de-chaussée du vieux Paris. C'était<strong>com</strong>me une fleur de cave. Depuis dix ans, elle ne connaissait que lui, vivait lesjournées à son côté, derrière les mêmes piles de drap, au fond <strong>des</strong> ténèbres de laboutique ; et, matin et soir, tous deux se retrouvaient coude à coude, dans l'étroitesalle à manger, d'une fraîcheur de puits.7
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- Je sais, je sais, madame, répét
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faire un scandale... Que diable ! t
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