aménagements nouveaux, sous <strong>des</strong> nuages de plâtre. Seule, au milieu de cebouleversement, l'étroite masure du vieux Bourras restait immobile et intacte,obstinément accrochée entre les hautes murailles, couvertes de maçons.Lorsque, le lendemain, Denise se rendit avec Pépé chez l'oncle Baudu, la rue étaitjustement barrée par une file de tombereaux, qui déchargeaient <strong>des</strong> briques devantl'ancien Hôtel Duvillard. Debout sur le seuil de sa boutique, l'oncle regardait d'un oeilmorne. À mesure que le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong> s'élargissait, il semblait que le VieilElbeuf diminuât... La jeune fille trouvait les vitrines plus noires, plus écrasées sousl'entresol bas, aux baies ron<strong>des</strong> de prison; l'humidité avait encore déteint la vieilleenseigne verte, une détresse tombait de la façade entière, plombée et <strong>com</strong>meamaigrie.- Vous voilà, dit Baudu. Prenez garde ! ils vous passeraient sur le corps.Dans la boutique, Denise éprouva le même serrement de coeur. Elle la revoyaitassombrie, gagnée davantage parla somnolence de la ruine ; <strong>des</strong> angles vi<strong>des</strong>creusaient <strong>des</strong> trous de ténèbres, la poussière envahissait les <strong>com</strong>ptoirs et les casiers;tandis qu'une odeur de cave salpêtrée montait <strong>des</strong> ballots de draps, qu'on ne remuaitplus. À la caisse, Mme Baudu et Geneviève se tenaient muettes et immobiles, <strong>com</strong>medans un coin de solitude, où personne ne venait les déranger. La mère ourlait <strong>des</strong>torchons. La fille, les mains tombées sur les genoux, regardait le vide devant elle.- Bonsoir, ma tante, dit Denise. Je suis bien heureuse de vous revoir, et si je vous aifait de la peine, veuillez me le pardonner.Mme Baudu l'embrassa, très émue.- Ma pauvre fille, répondit-elle, si je n'avais pas d'autres peines, tu me verrais plusgaie.- Bonsoir, ma cousine, reprit Denise, en baisant la première Geneviève sur les joues.Celle-ci s'éveillait <strong>com</strong>me en sursaut. Elle lui rendit ses baisers, sans trouver uneparole. Les deux femmes prirent ensuite Pépé, qui tendait ses petits bras. Et laréconciliation fut <strong>com</strong>plète.- Eh bien! il est six heures, mettons-nous à table, dit Baudu. Pourquoi n'as-tu pasamené Jean ?- Mais il devait venir, murmura Denise embarrassée.Justement, je l'ai vu ce matin, il m'a formellement promis...Oh ! il ne faut pas l'attendre, son patron l'aura retenu.Elle se doutait de quelque histoire extraordinaire, elle voulait l'excuser d'avance.- Alors, mettons-nous à table, répéta l'oncle.Puis, se tournant vers le fond obscur de la boutique :- Colomban, vous pouvez dîner en même temps que nous.Personne ne viendra.Denise n'avait pas aperçu le <strong>com</strong>mis. La tante lui expliqua qu'ils avaient dû congédierl'autre vendeur et la demoiselle.Les affaires devenaient si mauvaises, que Colomban suffisait ; et encore passait-il <strong>des</strong>heures inoccupé, alourdi, glissant au sommeil, les yeux ouverts.Dans la salle à manger, le gaz brûlait, bien qu'on fût aux longs jours de l'été. Deniseeut un léger frisson en entrant, les épaules saisies par la fraîcheur qui tombait <strong>des</strong>murs. Elle retrouva la table ronde, le couvert mis sur une toile cirée, la fenêtreprenant l'air et la lumière au fond du boyau empesté de la petite cour. Et ces choseslui paraissaient, <strong>com</strong>me la boutique, s'être assombries encore et avoir <strong>des</strong> larmes.- Père, dit Geneviève, gênée pour Denise, voulez-vous que je ferme la fenêtre ? Ça nesent pas bon.Lui, ne sentait rien. Il resta surpris.- Ferme la fenêtre, si cela t'amuse, répondit-il enfin.Seulement, nous manquerons d'air.En effet, on étouffa. C'était un dîner de famille, fort simple.114
Après le potage, dès que la bonne eut servi le bouilli, l'oncle en vint fatalement auxgens d'en face. Il se montra d'abord très tolérant, il permettait à sa nièce d'avoir uneopinion différente.- Mon Dieu ! tu es bien libre de soutenir ces gran<strong>des</strong> chabraques de maisons... Chacunson idée, ma fille... Du moment que ça ne t'a pas dégoûtée d'être salement flanquée àla porte, c'est que tu dois avoir <strong>des</strong> raisons soli<strong>des</strong> pour les aimer ; et tu y rentrerais,vois-tu, que je ne t'en voudrais pas du tout... N'est-ce pas ? personne ici ne lui envoudrait?- Oh ! non, murmura Mme Baudu.Denise, posément, dit ses raisons, <strong>com</strong>me elle les disait chez Robineau : l'évolutionlogique du <strong>com</strong>merce, les nécessités <strong>des</strong> temps modernes, la grandeur de cesnouvelles créations, enfin le bien-être croissant du public. Baudu, les yeux arrondis, labouche épaisse, l'écoutait, avec une visible tension d'intelligence. Puis, quand elle eutterminé, il secoua la tête.- Tout ça, ce sont <strong>des</strong> fantasmagories. Le <strong>com</strong>merce est le <strong>com</strong>merce, il n'y a pas àsortir de là... Oh ! je leur accorde qu'ils réussissent, mais c'est tout. Longtemps, j'aicru qu'ils se casseraient les reins ; oui, j'attendais ça, je patientais, tu te rappelles? Ehbien! non, il paraît qu'aujourd'hui ce sont les voleurs qui font fortune, tandis que leshonnêtes gens meurent sur la paille... Voilà où nous en sommes, je suis forcé dem'incliner devant les faits. Et je m'incline, mon Dieu! je m'incline...Une sourde colère le soulevait peu à peu. Il brandit tout d'un coup sa fourchette.- Mais jamais le Vieil Elbeuf ne fera une concession !...Entends-tu, je l'ai dit à Bourras : " Voisin, vous pactisez avec les charlatans, vospeinturlurages sont une honte. "- Mange donc, interrompit Mme Baudu, inquiète de le voir s'allumer ainsi.- Attends, je veux que ma nièce sache bien ma devise...Écoute ça, ma fille : je suis <strong>com</strong>me cette carafe, je ne bouge pas. Ils réussissent, tantpis pour eux ! Moi, je proteste, voilà tout !La bonne apportait un morceau de veau rôti. De ses mains tremblantes, il découpa ;et il n'avait plus son coup d'oeil juste, son autorité à peser les parts. La conscience <strong>des</strong>a défaite lui ôtait son ancienne assurance de patron respecté. Pépé s'était imaginéque l'oncle se fâchait : il avait fallu le calmer, en lui donnant tout de suite du <strong>des</strong>sert,<strong>des</strong> biscuits qui se trouvaient devant son assiette. Alors l'oncle, baissant la voix,essaya de parler d'autre chose. Un instant, il causa <strong>des</strong> démolitions, il approuva la ruedu Dix-Décembre, dont la trouée allait certainement accroître le <strong>com</strong>merce duquartier. Mais là, de nouveau, il revint au <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>; tout l'y ramenait,c'était une obsession maladive. On était pourri de plâtre, on ne vendait plus rien,depuis que les voitures de matériaux barraient la rue. D'ailleurs, ce serait ridicule, àforce d'être grand ; les clientes se perdraient, pourquoi pas les Halles ? Et, malgré lesregards suppliants de sa femme, malgré son effort, il passa <strong>des</strong> travaux au chiffred'affaires du magasin. N'était-ce pas inconcevable ? en moins de quatre ans, ilsavaient quintuplé ce chiffre : leur recette annuelle, autrefois de huit millions, atteignaitle chiffre de quarante, d'après le dernier inventaire.Enfin, une folie, une chose qui ne s'était jamais vue, et contre laquelle il n'y avait plusà lutter. Toujours ils s'engraissaient, ils étaient maintenant mille employés, ilsannonçaient vingt-huit rayons. Ce nombre de vingt-huit rayons surtout le jetait horsde lui. Sans doute on devait en avoir dédoublé quelques-uns, mais d'autres étaient<strong>com</strong>plètement nouveaux : par exemple un rayon de meubles et un rayon d'articles deParis..Comprenait-on cela? <strong>des</strong> articles de Paris! Vrai, ces gens n'étaient pas fiers, ilsfiniraient par vendre du poisson. L'oncle, tout en affectant de respecter les idées deDenise, en arrivait à l'endoctriner.115
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Mais elles le pressaient de questio
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- Il y avait aussi ce mouchoir... D
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la reconnut, occupée à débarrass
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