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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Après le potage, dès que la bonne eut servi le bouilli, l'oncle en vint fatalement auxgens d'en face. Il se montra d'abord très tolérant, il permettait à sa nièce d'avoir uneopinion différente.- Mon Dieu ! tu es bien libre de soutenir ces gran<strong>des</strong> chabraques de maisons... Chacunson idée, ma fille... Du moment que ça ne t'a pas dégoûtée d'être salement flanquée àla porte, c'est que tu dois avoir <strong>des</strong> raisons soli<strong>des</strong> pour les aimer ; et tu y rentrerais,vois-tu, que je ne t'en voudrais pas du tout... N'est-ce pas ? personne ici ne lui envoudrait?- Oh ! non, murmura Mme Baudu.Denise, posément, dit ses raisons, <strong>com</strong>me elle les disait chez Robineau : l'évolutionlogique du <strong>com</strong>merce, les nécessités <strong>des</strong> temps modernes, la grandeur de cesnouvelles créations, enfin le bien-être croissant du public. Baudu, les yeux arrondis, labouche épaisse, l'écoutait, avec une visible tension d'intelligence. Puis, quand elle eutterminé, il secoua la tête.- Tout ça, ce sont <strong>des</strong> fantasmagories. Le <strong>com</strong>merce est le <strong>com</strong>merce, il n'y a pas àsortir de là... Oh ! je leur accorde qu'ils réussissent, mais c'est tout. Longtemps, j'aicru qu'ils se casseraient les reins ; oui, j'attendais ça, je patientais, tu te rappelles? Ehbien! non, il paraît qu'aujourd'hui ce sont les voleurs qui font fortune, tandis que leshonnêtes gens meurent sur la paille... Voilà où nous en sommes, je suis forcé dem'incliner devant les faits. Et je m'incline, mon Dieu! je m'incline...Une sourde colère le soulevait peu à peu. Il brandit tout d'un coup sa fourchette.- Mais jamais le Vieil Elbeuf ne fera une concession !...Entends-tu, je l'ai dit à Bourras : " Voisin, vous pactisez avec les charlatans, vospeinturlurages sont une honte. "- Mange donc, interrompit Mme Baudu, inquiète de le voir s'allumer ainsi.- Attends, je veux que ma nièce sache bien ma devise...Écoute ça, ma fille : je suis <strong>com</strong>me cette carafe, je ne bouge pas. Ils réussissent, tantpis pour eux ! Moi, je proteste, voilà tout !La bonne apportait un morceau de veau rôti. De ses mains tremblantes, il découpa ;et il n'avait plus son coup d'oeil juste, son autorité à peser les parts. La conscience <strong>des</strong>a défaite lui ôtait son ancienne assurance de patron respecté. Pépé s'était imaginéque l'oncle se fâchait : il avait fallu le calmer, en lui donnant tout de suite du <strong>des</strong>sert,<strong>des</strong> biscuits qui se trouvaient devant son assiette. Alors l'oncle, baissant la voix,essaya de parler d'autre chose. Un instant, il causa <strong>des</strong> démolitions, il approuva la ruedu Dix-Décembre, dont la trouée allait certainement accroître le <strong>com</strong>merce duquartier. Mais là, de nouveau, il revint au <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>; tout l'y ramenait,c'était une obsession maladive. On était pourri de plâtre, on ne vendait plus rien,depuis que les voitures de matériaux barraient la rue. D'ailleurs, ce serait ridicule, àforce d'être grand ; les clientes se perdraient, pourquoi pas les Halles ? Et, malgré lesregards suppliants de sa femme, malgré son effort, il passa <strong>des</strong> travaux au chiffred'affaires du magasin. N'était-ce pas inconcevable ? en moins de quatre ans, ilsavaient quintuplé ce chiffre : leur recette annuelle, autrefois de huit millions, atteignaitle chiffre de quarante, d'après le dernier inventaire.Enfin, une folie, une chose qui ne s'était jamais vue, et contre laquelle il n'y avait plusà lutter. Toujours ils s'engraissaient, ils étaient maintenant mille employés, ilsannonçaient vingt-huit rayons. Ce nombre de vingt-huit rayons surtout le jetait horsde lui. Sans doute on devait en avoir dédoublé quelques-uns, mais d'autres étaient<strong>com</strong>plètement nouveaux : par exemple un rayon de meubles et un rayon d'articles deParis..Comprenait-on cela? <strong>des</strong> articles de Paris! Vrai, ces gens n'étaient pas fiers, ilsfiniraient par vendre du poisson. L'oncle, tout en affectant de respecter les idées deDenise, en arrivait à l'endoctriner.115

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