semaine, de la soie le dimanche, lorsqu'elle se trouvait condamnée à la laine dans sonrayon ; tandis que Denise, qui traînait sa soie d'uniforme du lundi au samedi, reprenaitle dimanche la laine mince de sa misère.- Voilà Baugé, dit Pauline, en désignant un grand garçon, debout près de la fontaine.Elle présenta son amant, et tout de suite Denise fut à son aise, tellement il lui parutbrave homme. Baugé, énorme, d'une force lente de boeuf au labour, avait une longueface flamande, où <strong>des</strong> yeux vi<strong>des</strong> riaient avec une puérilité d'enfant.Né à Dunkerque, fils cadet d'un épicier, il était venu à Paris, presque chassé par sonpère et son frère, qui le jugeaient trop bête. Cependant, au Bon Marché, il se faisaittrois mille cinq cents francs. Il était stupide, mais très bon pour les toiles. Les femmesle trouvaient gentil.- Et le fiacre ? demanda Pauline.Il fallut aller jusqu'au boulevard. Déjà le soleil chauffait, la belle matinée de mai riaitsur le pavé <strong>des</strong> rues ; et pas un nuage au ciel, toute une gaieté volait dans l'air bleu,d'une transparence de cristal. Un sourire involontaire entrouvrait les lèvres de Denise ;elle respirait fortement, il lui semblait que sa poitrine se dégageait d'un étouffementde six mois. Enfin, elle ne sentait donc plus sur elle l'air enfermé, les pierres lour<strong>des</strong>du <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong> ! elle avait donc devant elle toute une journée de librecampagne ! et c'était <strong>com</strong>me une nouvelle santé, une joie infinie, où elle entrait avec<strong>des</strong> sensations neuves de gamine. Pourtant, dans le fiacre, elle détourna les yeux,gênée, lorsque Pauline mit un gros baiser sur les livres de son amant.- Tiens ! dit-elle, la tête toujours à la portière, M. Lhomme, là-bas... Comme il marche!- Il a son cor, ajouta Pauline qui s'était penchée. En voilà un vieux toqué! Si l'on nedirait pas qu'il court à un rendez-vous !Lhomme, en effet, l'étui de son instrument sous le bras, filait le long du Gymnase, lenez tendu, riant d'aise tout seul, à l'idée du régal qu'il se promettait. Il allait passer lajournée chez un ami, une flûte d'un petit théâtre, où <strong>des</strong> amateurs faisaient ledimanche de la musique de chambre, dès leur café au lait.- A huit heures! quel enragé ! reprit Pauline. Et vous savez que Mme <strong>Au</strong>rélie et toutesa clique ont dû prendre le train de Rambouillet qui part à six heures vingt-cinq... poursûr, le mari et la femme ne se rencontreront pas.Toutes deux causèrent de la partie de Rambouillet. Elles ne souhaitaient pas de lapluie aux autres, parce qu'elles auraient aussi gobé le bouillon; mais, s'il pouvaitcrever un nuage là-bas, sans que les éclaboussures en vinssent jusqu'à Joinville, ceserait drôle tout de même. Puis, elles tombèrent sur Clara, une gâcheuse qui ne savait<strong>com</strong>ment dépenser l'argent de ses entreteneurs : est-ce qu'elle n'achetait pas troispaires de bottines à la fois, <strong>des</strong> bottines qu'elle jetait le lendemain, après les avoircoupées avec <strong>des</strong> ciseaux, à cause de ses pieds qui étaient pleins de bosses ?D'ailleurs, ces demoiselles <strong>des</strong> nouveautés ne se montraient guère plus raisonnablesque ces messieurs : elles mangeaient tout, jamais un sou d'économie, <strong>des</strong> deux et <strong>des</strong>trois cents francs passaient par mois à <strong>des</strong> chiffons et à <strong>des</strong> friandises.- Mais il n'a qu'un bras ! dit tout à coup Baugé. Comment fait-il pour jouer du cor ?Il n'avait pas quitté Lhomme <strong>des</strong> yeux. Alors, Pauline, qui s'amusait parfois de sanaïveté, lui raconta que le caissier appuyait l'instrument contre un mur ; et il la crutparfaitement, en trouvant ça très ingénieux. Puis, lorsque, prise de remords, elle luiexpliqua de quelle façon Lhomme adaptait à son moignon un système de pinces, dontil le servait ensuite <strong>com</strong>me d'une main, il hocha la tête, saisi de méfiance, déclarantqu'on ne lui ferait pas avaler celle-là.- Tu es trop bête ! finit-elle par dire en riant. Ça ne fait rien, je t'aime tout de même.Le fiacre roulait, on arriva à la gare de Vincennes, juste pour un train. C'était Baugéqui payait ; mais Denise avait déclaré qu'elle entendait prendre sa part <strong>des</strong> dépenses ;on réglerait le soir. Ils montèrent en secon<strong>des</strong>, toute une gaieté bourdonnantes'échappait <strong>des</strong> wagons. À Nogent, une noce débarqua, au milieu <strong>des</strong> rires. Enfin, ils76
<strong>des</strong>cendirent à Joinville, passèrent dans l'île toute de suite, pour <strong>com</strong>mander ledéjeuner ; et ils restèrent là, le long <strong>des</strong> berges, sous de hauts peupliers qui bordaientla Marne. L'ombre était froide, une haleine vive soufflait dans le soleil, élargissait auloin, sur l'autre rive, la pureté limpide d'une plaine, déroulant <strong>des</strong> cultures. Denises'attardait derrière Pauline et son amant, qui marchaient les bras à la taille ; elle avaitcueilli une poignée de boutons d'or, elle regardait l'eau couler, heureuse, le coeurdéfaillant, baissant la tête, quand Baugé se penchait pour baiser la nuque de sonamie.Des larmes lui montèrent aux yeux. Cependant, elle ne souffrait pas. Qu'avait-elle àétouffer ainsi, et pourquoi cette vaste campagne, où elle s'était promis tantd'insouciance, l'emplissait-elle d'un regret vague dont elle n'aurait pu dire la cause ?Puis, au déjeuner, les rires bruyants de Pauline l'étourdirent.Celle-ci, qui adorait la banlieue d'une passion de cabotine vivant au gaz, dans l'airépais <strong>des</strong> foules, avait voulu manger sous un berceau, malgré la fraîcheur du vent.Elle s'égayait <strong>des</strong> souffles brusques qui rabattaient la nappe, elle trouvait drôle latonnelle, nue encore, avec son treillage repeint, dont les losanges se découpaient surle couvert. D'ailleurs, elle dévorait, d'une gourmandise affamée de fille mal nourrie aumagasin, se donnant dehors une indigestion <strong>des</strong> choses qu'elle aimait; c'était son vice,tout son argent passait là, en gâteaux, en crudités, en petits plats dégustés lestementaux heures libres. Comme Denise semblait avoir assez <strong>des</strong> oeufs, de la friture et dupoulet sauté, elle se retint, elle n'osa <strong>com</strong>mander <strong>des</strong> fraises, une primeur encorechère, de crainte de trop augmenter l'addition.- Maintenant, qu'allons-nous faire ? demanda Baugé, lorsque le café fut servi.D'habitude, l'après-midi, Pauline et lui rentraient dîner à Paris, pour finir leur journéedans un théâtre. Mais, sur le désir de Denise, ils décidèrent qu'on resterait à Joinville ;ce serait drôle, on se donnerait de la campagne par-<strong>des</strong>sus la tête. Et, tout l'aprèsmidi,ils battirent les champs. Un instant, l'idée d'une promenade en canot fut discutée; puis, ils l'abandonnèrent, Baugé ramait trop mal. Mais leur flânerie, au hasard <strong>des</strong>sentiers, revenait quand même le long de la Marne ; ils s'intéressaient à la vie de larivière, aux escadres de yoles et de norvégiennes, aux équipes de canotiers qui lapeuplaient. Le soleil baissait, ils retournaient vers Joinville, lorsque deux yoles,<strong>des</strong>cendant le courant et luttant de vitesse, échangèrent <strong>des</strong> bordées d'injures, oùdominaient les cris répétés de " caboulots " et de " calicots ".- Tiens ! dit Pauline, c'est M. Hutin.- Oui, reprit Baugé, qui étendait la main devant le soleil, je reconnais la yoled'acajou... L'autre yole doit être montée par une équipe d'étudiants.Et il expliqua la vieille haine qui mettait souvent aux prises la jeunesse <strong>des</strong> écoles etles employés de <strong>com</strong>merce. Denise, en entendant prononcer le nom de Hutin, s'étaitarrêtée ; et, les yeux fixes, elle suivait la mince embarcation, elle cherchait le jeunehomme parmi les rameurs, sans distinguer autre chose que les taches blanches dedeux femmes, dont l'une, assise à la barre, avait un chapeau rouge. Les voix seperdirent au milieu du grand ruissellement de la rivière.- À l'eau, les caboulots !- Les calicots, à l'eau, à l'eau !Le soir, on retourna au restaurant de l'île. Mais l'air était devenu trop vif, il fallutmanger dans une <strong>des</strong> deux salles fermées, où l'humidité de l'hiver trempait encore lesnappes d'une fraîcheur de lessive. Dès six heures, les tables manquèrent, lespromeneurs se hâtaient, cherchaient un coin ; et les garçons apportaient toujours <strong>des</strong>chaises, <strong>des</strong> bancs, rapprochaient les assiettes, entassaient le monde. On étouffaitmaintenant, on fit ouvrir les fenêtres. Dehors, le jour pâlissait, un crépuscule verdâtretombait <strong>des</strong> peupliers, si rapide, que le restaurateur, mal outillé pour ces repas àcouvert, n'ayant pas de lampes, dut faire mettre une bougie sur chaque table. Le bruitétait assourdissant, <strong>des</strong> rires, <strong>des</strong> appels, <strong>des</strong> chocs de vaisselle ; au vent <strong>des</strong>fenêtres, les bougies s'effaraient et coulaient ; tandis que <strong>des</strong> papillons de nuit77
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faire un scandale... Que diable ! t
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