12.07.2015 Views

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

- Un peu plus bas, mademoiselle. Nous ne sommes pas à la halle... Et vous êtes toutesbien peu raisonnables, de vous amuser à <strong>des</strong> gamineries, quand notre temps est siprécieux.Justement, <strong>com</strong>me Clara ne veillait plus aux paquets, une catastrophe se produisit.Des manteaux s'éboulèrent, tous les tas de la table, entraînés, tombèrent les uns surles autres. Le tapis en était jonché.- Là, qu'est-ce que je disais! cria la première hors d'elle.Faites donc un peu attention, mademoiselle Prunaire, c'est insupportable à la fin !Mais un frémissement courut: Mouret et Bourdoncle faisant leur tournée d'inspection,venaient de paraître. Les voix repartirent, les plumes grincèrent, tandis que Clara sehâtait de ramasser les vêtements. Le patron n'interrompit pas le travail. Il resta làquelques minutes, muet, souriant ; et ses lèvres seules avaient un frisson de fièvre,dans son visage gai et victorieux <strong>des</strong> jours d'inventaire. Lorsqu'il aperçut Denise, ilfaillit laisser échapper un geste d'étonnement. Elle était donc <strong>des</strong>cendue ? Ses yeuxrencontrèrent ceux de Mme <strong>Au</strong>rélie. Puis, après une courte hésitation, il s'éloigna, ilentra aux trousseaux.Cependant, Denise, avertie par la rumeur légère, avait levé la tête. Et, après avoirreconnu Mouret, elle s'était de nouveau penchée sur ses feuilles, simplement. Depuisqu'elle écrivait d'une main machinale, au milieu de l'appel régulier <strong>des</strong> articles, unapaisement se faisait en elle. Toujours elle avait cédé ainsi au premier excès de sasensibilité : <strong>des</strong> larmes la suffoquaient, sa passion doublait ses tourments; puis, ellerentrait dans sa raison, elle retrouvait un beau courage calme, une force de volontédouce et inexorable. Maintenant, les yeux limpi<strong>des</strong>, le teint pâle, elle était sans unfrisson, toute à sa besogne, résolue à s'écraser le coeur et à ne faire que son vouloir.Dix heures sonnèrent, le vacarme de l'inventaire montait, dans le branle-bas <strong>des</strong>rayons. Et, sous les cris, jetés sans relâche, qui se croisaient de toutes parts, la mêmenouvelle circulait avec une rapidité surprenante : chaque vendeur savait déjà queMouret avait écrit le matin, pour inviter Denise à dîner. L'indiscrétion venait dePauline. En re<strong>des</strong>cendant, secouée encore, elle avait rencontré Deloche aux dentelles ;et, sans remarquer que Liénard parlait au jeune homme, elle s'était soulagée.- C'est fait, mon cher... Elle vient de recevoir la lettre. Il l'invite pour ce soir.Deloche était devenu blême. Il avait <strong>com</strong>pris, car il questionnait souvent Pauline, tousdeux causaient chaque jour de leur amie <strong>com</strong>mune, du coup de tendresse de Mouret,de l'invitation fameuse qui finirait par dénouer l'aventure. Du reste, elle le grondaitd'aimer secrètement Denise, dont il n'aurait jamais rien, et elle haussait les épaules,quand il approuvait la jeune fille de résister au patron.- Son pied va mieux, elle <strong>des</strong>cend, continuait-elle. Ne prenez donc pas cette figured'enterrement... C'est une chance pour elle, ce qui arrive.Et elle se hâta de retourner à son rayon.- Ah ! bon ! murmura Liénard qui avait entendu, il s'agit de la demoiselle à l'entorse...Eh bien! vous aviez raison de vous presser, vous qui la défendiez au café, hier soir !A son tour, il se sauva ; mais, quand il rentra aux lainages, il avait déjà racontél'histoire de la lettre à quatre ou cinq vendeurs. Et de là, en moins de dix minutes, ellevenait de faire le tour <strong>des</strong> magasins.La dernière phrase de Liénard rappelait une scène qui s'était passée la veille, au CaféSaint-Roch. Maintenant, Deloche et lui ne se quittaient plus. Le premier avait pris, àl'Hôtel de Smyrne, la chambre de Hutin, lorsque celui-ci, nommé second, s'était louéun petit logement de trois pièces ; et les deux <strong>com</strong>mis venaient ensemble le matin au<strong>Bonheur</strong>, s'attendaient le soir pour repartir ensemble. Leurs chambres, qui setouchaient, donnaient sur la même cour noire, un puits étroit dont les odeursempoisonnaient l'hôtel. Ils faisaient bon ménage, malgré leur dissemblance, l'unmangeant avec insouciance l'argent qu'il tirait à son père, l'autre sans un sou, torturépar <strong>des</strong> idées d'économies, ayant pourtant tous deux un point de <strong>com</strong>mun, leurmaladresse <strong>com</strong>me vendeurs, qui les laissait végéter dans leurs <strong>com</strong>ptoirs, sans153

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!