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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Beaucoup, en avalant de grosses bouchées, lisaient un journal, plié et tenu deboutcontre leur bouteille. D'autres, quand leur première faim était satisfaite, causaientbruyamment, revenaient aux éternels sujets de la mauvaise nourriture, de l'argentgagné, de ce qu'ils avaient fait, le dimanche précédent, et de ce qu'ils feraient, l'autredimanche.- Dites donc, et votre Robineau ? demanda un vendeur à Hutin.La lutte <strong>des</strong> soyeux contre leur second occupait tous les <strong>com</strong>ptoirs. On discutait laquestion chaque jour, au Café Saint-Roch, jusqu'à minuit. Hutin, qui s'acharnait surson morceau de boeuf, se contenta de répondre:- Eh bien ! il est revenu, Robineau.Puis, se fâchant tout d'un coup :- Mais, sacredieu ; ils m'ont donné de l'âne !... À la fin, c'est dégoûtant, ma paroled'honneur ! .- Ne vous plaignez donc pas ! dit Favier. Moi qui ai fait la bêtise de prendre de laraie... Elle est pourrie.Tous parlaient à la fois, s'indignaient, plaisantaient. Dans un coin de la table, contre lemur, Deloche mangeait silencieusement. Il était affligé d'un appétit excessif, qu'iln'avait jamais satisfait, et <strong>com</strong>me il gagnait trop peu pour se payer <strong>des</strong> suppléments,il se taillait <strong>des</strong> tranches de pain énormes, il avalait les platées les moins ragoûtantes,d'un air de gourmandise. <strong>Au</strong>ssi tous s'amusaient-ils de lui, criant :- Favier, passez votre raie à Deloche... Il l'aime <strong>com</strong>me ça.- Et votre viande, Hutin : Deloche la demande pour son <strong>des</strong>sert.Le pauvre garçon haussait les épaules, ne répondait même pas. Ce n'était point safaute, s'il crevait de faim. D'ailleurs, les autres avaient beau cracher sur les plats, ilsse gavaient tout de même.Mais un léger sifflement les fit taire. On signalait la présence de Mouret et deBourdonde dans le couloir. Depuis quelque temps, les plaintes <strong>des</strong> employésdevenaient telles, que la direction affectait de <strong>des</strong>cendre juger par elle-même laqualité de la nourriture. Sur les trente sous qu'elle donnait au chef, par jour et partête, celui-ci devait tout payer, provisions, charbon, gaz, personnel ; et elle montrait<strong>des</strong> étonnements naïfs, quand ce n'était pas très bon. Le matin encore, chaque rayonavait délégué un vendeur, Mignot et Liénard s'étaient chargés de parler au nom deleurs camara<strong>des</strong>. <strong>Au</strong>ssi, dans le brusque silence, les oreilles se tendirent, on écouta<strong>des</strong> voix qui sortaient de la salle voisine, où Mouret et Bourdoncle venaient d'entrer.Celui-ci déclarait le boeuf excellent; et Mignot, suffoqué par cette affirmationtranquille, répétait:" Mâchez-le, pour voir" ; pendant que Liénard, s'attaquant à la raie, disait avecdouceur : " Mais elle pue, monsieur! " Alors, Mouret se répandit en paroles cordiales :il ferait tout pour le bien-être de ses employés, il était leur père, il préférait manger dupain sec que de les savoir mal nourris.- Je vous promets d'étudier la question, finit-il par conclure, en haussant le ton, demanière à être entendu d'un bout du couloir à l'autre.L'enquête de la direction était terminée, le bruit <strong>des</strong> fourchettes re<strong>com</strong>mença. Hutinmurmurait :- Oui, <strong>com</strong>pte là-<strong>des</strong>sus, et bois de l'eau !... Ah! ils ne sont pas chiches de bonnesparoles. Veux-tu <strong>des</strong> promesses, en voilà! Et ils vous nourrissent de vieilles semelles,et ils vous flanquent à la porte <strong>com</strong>me <strong>des</strong> chiens !Le vendeur qui l'avait déjà questionné, répéta :- Vous dites donc que votre Robineau... ?Mais un tapage de grosse vaisselle couvrit sa voix. Les <strong>com</strong>mis changeaient d'assietteseux-mêmes, les piles diminuaient, à gauche et à droite. Et, <strong>com</strong>me un aide de cuisineapportait de grands plats de fer-blanc, Hutin s'écria :- Du riz au gratin, c'est <strong>com</strong>plet !- Bon pour deux sous de colle ! dit Favier en se servant.89

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