Puis, à l'extrémité, il y avait une halte brusque, devant un guichet. Flanqué de pilesd'assiettes, armé de fourchettes et de cuillers qu'il plongeait dans <strong>des</strong> bassines decuivre, un cuisinier y distribuait les portions. Et, quand il s'écartait, derrière son ventretendu de blanc, on apercevait la cuisine flambante.- Allons, bon ! murmura Hutin en consultant le menu, écrit sur un tableau noir, au<strong>des</strong>susdu guichet, du boeuf sauce piquante, ou de la raie... Jamais de rôti, dans cettebaraque !Ça ne tient pas au corps, leur bouilli et leur poisson !Du reste, le poisson était généralement méprisé, car la bassine restait pleine. Favierprit pourtant de la raie. Derrière lui, Hutin se baissa, en disant:- Boeuf sauce piquante.De son geste mécanique, le cuisinier avait piqué un morceau de viande, puis l'avaitarrosé d'une cuillerée de sauce ; et Hutin, suffoqué d'avoir reçu au visage le souffleardent du guichet, emportait à peine sa portion, que déjà derrière lui les mots:"Boeuf sauce piquante... Boeuf sauce piquante...", se suivaient <strong>com</strong>me <strong>des</strong> litanies;pendant que, sans relâche, le cuisinier piquait <strong>des</strong> morceaux et les arrosait de sauce,avec le mouvement rapide et rythmique d'une horloge bien réglée.- Elle est froide, leur raie, déclara Favier, dont la main ne sentait pas de chaleur.Tous, maintenant, filaient, le bras tendu, leur assiette droite, pris de la crainte de seheurter. Dix pas plus loin, s'ouvrait la buvette, un autre guichet, avec un <strong>com</strong>ptoird'étain luisant, où étaient rangées les parts de vin, de petites bouteilles sans bouchon,encore humi<strong>des</strong> du rinçage. Et chacun, de sa main vide, recevait au passage une deces bouteilles, puis, dès lors embarrassé, gagnait sa table d'un air sérieux, veillant àl'équilibre.Hutin grondait sourdement:- En voilà une promenade, avec cette vaisselle !Leur table, à Favier et à lui, se trouvait au bout du corridor, dans la dernière salle àmanger. Toutes les salles se ressemblaient, étaient d'anciennes caves, de quatremètres sur cinq, qu'on avait enduites au ciment et aménagées en réfectoires; maisl'humidité crevait la peinture, les murailles jaunes se marbraient de taches verdâtres;et, du puits étroit <strong>des</strong> soupiraux, ouvrant sur la rue, au ras du trottoir, tombait un jourlivide, sans cesse traversé par les ombres vagues <strong>des</strong> passants. En juillet <strong>com</strong>me endécembre, on y étouffait, dans la buée chaude, chargée d'odeurs nauséabon<strong>des</strong>, quesoufflait le voisinage de la cuisine.Cependant, Hutin était entré le premier. Sur la table, scellée d'un bout dans le mur etcouverte d'une toile cirée, il n'y avait que les verres, les fourchettes et les couteaux,marquant les places. Des piles d'assiettes de rechange se dressaient à chaqueextrémité ; tandis que, au milieu, s'allongeait un gros pain, percé d'un couteau, lemanche en l'air. Hutin se débarrassa de sa bouteille, posa son assiette ; puis, aprèsavoir pris sa serviette, au bas du casier, qui était le seul ornement <strong>des</strong> murailles, ils'assit en poussant un soupir.- Avec ça, j'ai une faim ! murmura-t-il.- C'est toujours ainsi, dit Favier, qui s'installait à sa gauche.Il n'y a rien, quand on crève.La table se remplissait rapidement. Elle contenait vingt-deux couverts. D'abord, il n'yeut qu'un tapage violent de fourchettes, une goinfrerie de grands gaillards auxestomacs creusés par treize heures de fatigues quotidiennes. Dans les<strong>com</strong>mencements, les <strong>com</strong>mis, qui avaient une heure pour manger, pouvaient allerprendre leur café dehors ; aussi dépêchaient-ils le déjeuner en vingt minutes, avec lahâte de gagner la rue. Mais cela les remuait trop, ils rentraient distraits, l'espritdétourné de la vente ; et la direction avait décidé qu'ils ne sortiraient plus, qu'ilspaieraient trois sous de supplément, pour une tasse de café, s'ils en voulaient. <strong>Au</strong>ssi,maintenant, faisaient-ils traîner le repas, peu soucieux de remonter au rayon avantl'heure.88
Beaucoup, en avalant de grosses bouchées, lisaient un journal, plié et tenu deboutcontre leur bouteille. D'autres, quand leur première faim était satisfaite, causaientbruyamment, revenaient aux éternels sujets de la mauvaise nourriture, de l'argentgagné, de ce qu'ils avaient fait, le dimanche précédent, et de ce qu'ils feraient, l'autredimanche.- Dites donc, et votre Robineau ? demanda un vendeur à Hutin.La lutte <strong>des</strong> soyeux contre leur second occupait tous les <strong>com</strong>ptoirs. On discutait laquestion chaque jour, au Café Saint-Roch, jusqu'à minuit. Hutin, qui s'acharnait surson morceau de boeuf, se contenta de répondre:- Eh bien ! il est revenu, Robineau.Puis, se fâchant tout d'un coup :- Mais, sacredieu ; ils m'ont donné de l'âne !... À la fin, c'est dégoûtant, ma paroled'honneur ! .- Ne vous plaignez donc pas ! dit Favier. Moi qui ai fait la bêtise de prendre de laraie... Elle est pourrie.Tous parlaient à la fois, s'indignaient, plaisantaient. Dans un coin de la table, contre lemur, Deloche mangeait silencieusement. Il était affligé d'un appétit excessif, qu'iln'avait jamais satisfait, et <strong>com</strong>me il gagnait trop peu pour se payer <strong>des</strong> suppléments,il se taillait <strong>des</strong> tranches de pain énormes, il avalait les platées les moins ragoûtantes,d'un air de gourmandise. <strong>Au</strong>ssi tous s'amusaient-ils de lui, criant :- Favier, passez votre raie à Deloche... Il l'aime <strong>com</strong>me ça.- Et votre viande, Hutin : Deloche la demande pour son <strong>des</strong>sert.Le pauvre garçon haussait les épaules, ne répondait même pas. Ce n'était point safaute, s'il crevait de faim. D'ailleurs, les autres avaient beau cracher sur les plats, ilsse gavaient tout de même.Mais un léger sifflement les fit taire. On signalait la présence de Mouret et deBourdonde dans le couloir. Depuis quelque temps, les plaintes <strong>des</strong> employésdevenaient telles, que la direction affectait de <strong>des</strong>cendre juger par elle-même laqualité de la nourriture. Sur les trente sous qu'elle donnait au chef, par jour et partête, celui-ci devait tout payer, provisions, charbon, gaz, personnel ; et elle montrait<strong>des</strong> étonnements naïfs, quand ce n'était pas très bon. Le matin encore, chaque rayonavait délégué un vendeur, Mignot et Liénard s'étaient chargés de parler au nom deleurs camara<strong>des</strong>. <strong>Au</strong>ssi, dans le brusque silence, les oreilles se tendirent, on écouta<strong>des</strong> voix qui sortaient de la salle voisine, où Mouret et Bourdoncle venaient d'entrer.Celui-ci déclarait le boeuf excellent; et Mignot, suffoqué par cette affirmationtranquille, répétait:" Mâchez-le, pour voir" ; pendant que Liénard, s'attaquant à la raie, disait avecdouceur : " Mais elle pue, monsieur! " Alors, Mouret se répandit en paroles cordiales :il ferait tout pour le bien-être de ses employés, il était leur père, il préférait manger dupain sec que de les savoir mal nourris.- Je vous promets d'étudier la question, finit-il par conclure, en haussant le ton, demanière à être entendu d'un bout du couloir à l'autre.L'enquête de la direction était terminée, le bruit <strong>des</strong> fourchettes re<strong>com</strong>mença. Hutinmurmurait :- Oui, <strong>com</strong>pte là-<strong>des</strong>sus, et bois de l'eau !... Ah! ils ne sont pas chiches de bonnesparoles. Veux-tu <strong>des</strong> promesses, en voilà! Et ils vous nourrissent de vieilles semelles,et ils vous flanquent à la porte <strong>com</strong>me <strong>des</strong> chiens !Le vendeur qui l'avait déjà questionné, répéta :- Vous dites donc que votre Robineau... ?Mais un tapage de grosse vaisselle couvrit sa voix. Les <strong>com</strong>mis changeaient d'assietteseux-mêmes, les piles diminuaient, à gauche et à droite. Et, <strong>com</strong>me un aide de cuisineapportait de grands plats de fer-blanc, Hutin s'écria :- Du riz au gratin, c'est <strong>com</strong>plet !- Bon pour deux sous de colle ! dit Favier en se servant.89
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tendre et si gaie d'ameublement, s'
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