on voyait là une révolte, une façon de narguer le <strong>com</strong>ptoir tout entier, en s'affichantdehors avec une demoiselle du <strong>com</strong>ptoir ennemi.Jamais Denise n'avait plus souffert au rayon, et maintenant elle désespérait de leconquérir.- Laissez-les donc ! répétait Pauline, <strong>des</strong> poseuses qui sont bêtes <strong>com</strong>me <strong>des</strong> oies !Mais c'était justement ces allures de dame qui intimidaient la jeune fille. Presquetoutes les vendeuses, dans leur frottement quotidien avec la clientèle riche, prenaient<strong>des</strong> grâces, finissaient par être d'une classe vague, flottant entre l'ouvrière et labourgeoise ; et, sous leur art de s'habiller, sous les manières et les phrases apprises,il n'y avait souvent qu'une instruction fausse, la lecture <strong>des</strong> petits journaux, <strong>des</strong>tira<strong>des</strong> de drame, toutes les sottises courantes du pavé de Paris.- Vous savez que la mal peignée a un enfant, dit un matin Clara, en arrivant au rayon.Et, <strong>com</strong>me on s'étonnait :- Puisque je l'ai vue hier soir qui promenait le mioche !...Elle doit le remiser quelque part.À deux jours de là, Marguerite, en remontant de dîner, donna une autre nouvelle.- C'est du propre, je viens de voir l'amant de la mal peignée... Un ouvrier, imaginezvous! oui, un sale petit ouvrier, avec <strong>des</strong> cheveux jaunes, qui la guettait à travers lesvitres.Dès lors, ce fut une vérité acquise: Denise avait un manoeuvre pour amant, et cachaitun enfant dans le quartier.On la cribla d'allusions méchantes. La première fois qu'elle <strong>com</strong>prit, elle devint toutepâle, devant la monstruosité de pareilles suppositions. C'était abominable, elle vouluts'excuser, elle balbutia :- Mais ce sont mes frères !- Oh ! ses frères ! dit Clara de sa voix de blague.Il fallut que Mme <strong>Au</strong>rélie intervînt.- Taissez-vous ! mesdemoiselles, vous feriez mieux de changer ces étiquettes... MlleBaudu est bien libre de se mal conduire dehors. Si elle travaillait ici, au moins !Et cette défense sèche était une condamnation. La jeune fille, suffoquée <strong>com</strong>me si onl'avait accusée d'un crime, tâcha vainement d'expliquer les faits. On riait, on haussaitles épaules.Elle en garda une plaie vive au coeur. Deloche, lorsque le bruit se répandit, futtellement indigné, qu'il parlait de gifler ces demoiselles <strong>des</strong> confections; et, seule, lacrainte de la <strong>com</strong>promettre le retint. Depuis la soirée de Joinville, il avait pour elle unamour soumis, une amitié presque religieuse, qu'il lui témoignait par ses regards debon chien. Personne ne devait soupçonner leur affection, car on se serait moqué d'eux; mais cela ne l'empêchait pas de rêver de brusques violences, le coup de poingvengeur, si jamais on s'attaquait à elle devant lui.Denise finit par ne plus répondre. C'était trop odieux, personne ne la croirait. Quandune camarade risquait une nouvelle allusion, elle se contentait de la regarderfixement, d'un air triste et calme. D'ailleurs, elle avait d'autres ennuis, <strong>des</strong> soucismatériels qui la préoccupaient davantage. Jean continuait à n'être pas raisonnable, illa harcelait toujours de deman<strong>des</strong> d'argent. Peu de semaines se passaient, sansqu'elle reçût de lui toute une histoire, en quatre pages ; et quand le vaguemestre de lamaison lui remettait ces lettres d'une grosse écriture passionnée, elle se hâtait de lescacher dans sa poche, car les vendeuses affectaient de rire, en chantonnant <strong>des</strong>gaillardises. Puis, après avoir inventé <strong>des</strong> prétextes pour aller déchiffrer les lettres àl'autre bout du magasin, elle était prise de terreurs:ce pauvre Jean lui semblait perdu. Toutes les bour<strong>des</strong> réussissaient auprès d'elle, <strong>des</strong>aventures d'amour extraordinaires, dont son ignorance de ces choses exagérait encoreles périls.C'étaient une pièce de quarante sous pour échapper à la jalousie d'une femme, et <strong>des</strong>cinq francs, et <strong>des</strong> six francs qui devaient réparer l'honneur d'une pauvre fille, que son84
père tuerait sans cela. Alors, <strong>com</strong>me ses appointements et son tant pour cent nesuffisaient point, elle avait eu l'idée de chercher un petit travail, en dehors de sonemploi. Elle s'en était ouverte à Robineau, qui lui restait sympathique, depuis leurpremière rencontre chez Vinçard; et il lui avait procuré <strong>des</strong> noeuds de cravate, à cinqsous la douzaine. La nuit, de neuf heures à une heure, elle pouvait en coudre sixdouzaines, ce qui lui faisait trente sous, sur lesquels il fallait déduire une bougie dequatre sous. Mais ces vingt-six sous par jour entretenaient Jean, elle ne se plaignaitpas du manque de sommeil, elle se serait estimée très heureuse, si une catastrophen'avait une fois encore bouleversé son budget. À la fin de la seconde quinzaine,lorsqu'elle s'était présentée chez l'entrepreneuse <strong>des</strong> noeuds de cravate, elle avaittrouvé porte close : une faillite, une banqueroute, qui lui emportait dix-huit francstrente centimes, somme considérable, et sur laquelle, depuis huit jours, elle <strong>com</strong>ptaitabsolument. Toutes les misères du rayon disparaissaient devant ce désastre.- Vous êtes triste, lui dit Pauline, qui la rencontra, dans la galerie de l'ameublement.Est-ce que vous avez besoin de quelque chose, dites ?Mais Denise devait déjà douze francs à son amie. Elle répondit, en essayant <strong>des</strong>ourire:- Non, merci... J'ai mal dormi, voilà tout.C'était le 20 juillet, au plus fort de la panique <strong>des</strong> renvois, Sur les quatre centsemployés, Bourdoncle en avait déjà balayé cinquante ; et le bruit courait d'exécutionsnouvelles. Elle ne songeait guère pourtant aux menaces qui soufflaient, elle était toutentière à l'angoisse d'une aventure de Jean, plus terrifiante que les autres. Ce jour-là,il lui fallait quinze francs, dont l'envoi pouvait seul le sauver de la vengeance d'un maritrompé. La veille, elle avait reçu une première lettre, posant le drame; puis, coup surcoup, il en était venu deux autres, la dernière surtout qu'elle achevait, quand Paulinel'avait rencontrée, et où Jean lui annonçait sa mort pour le soir, s'il n'avait pas lesquinze francs. Elle se torturait l'esprit. Impossible de prendre sur la pension de Pépé,payée depuis deux jours. Toutes les malchances tombaient à la fois, car elle espéraitrentrer dans ses dix-huit francs trente, en s'adressant à Robineau, qui retrouveraitpeut-être l'entrepreneuse <strong>des</strong> noeuds de cravate ; mais Robineau, ayant obtenu uncongé de deux semaines, n'était pas revenu la veille, <strong>com</strong>me on l'attendait.Cependant, Pauline la questionnait encore, amicalement.Lorsque toutes deux se rejoignaient ainsi, au fond d'un rayon écarté, elles causaientquelques minutes, l'oeil aux aguets.Soudain, la lingère eut un geste de fuite : elle venait d'apercevoir la cravate blanched'un inspecteur, qui sortait <strong>des</strong> châles.- Ah ! non, c'est le père Jouve, murmura-t-elle d'un air rassuré. Je ne sais ce qu'il a,ce vieux, à rire, quand il nous voit ensemble... A votre place, j'aurais peur, car il esttrop gentil pour vous. Un chien fini, mauvais <strong>com</strong>me la gale, et qui croit encore parlerà ses troupiers !En effet, le père Jouve était détesté de tous les vendeurs, pour la sévérité de sasurveillance. Plus de la moitié <strong>des</strong> renvois se faisaient sur ses rapports. Son grand nezrouge d'ancien capitaine noceur ne s'humanisait que dans les <strong>com</strong>ptoirs tenus par <strong>des</strong>femmes.- Pourquoi aurais-je peur ? demanda Denise.- Dame ! répondit Pauline en riant, il exigera peut-être de la reconnaissance...Plusieurs de ces demoiselles se le ménagent.Jouve s'était éloigné, en feignant de ne pas les voir; et elles l'entendirent qui tombaitsur un vendeur <strong>des</strong> dentelles, coupable de regarder un cheval abattu, dans la rueNeuve-Saint-<strong>Au</strong>gustin.- À propos, reprit Pauline, est-ce que vous ne cherchiez pas M. Robineau, hier? Il estrevenu.Denise se crut sauvée.- Merci, je vais faire le tour alors et passer par la soierie...85
- Page 3 and 4:
en guirlandes; puis, c'était, à p
- Page 5 and 6:
ils faisaient leur entrée avec une
- Page 7 and 8:
Il fallut un instant à Denise, pou
- Page 9 and 10:
coeur, ses yeux retournaient toujou
- Page 11 and 12:
cette fente étroite, au fond de la
- Page 13 and 14:
En parlant, ses yeux faisaient le t
- Page 15 and 16:
ez-de-chaussée, blanc de salpêtre
- Page 17 and 18:
Il était aussi timide qu'elle, il
- Page 19 and 20:
avant de pouvoir compter sur une au
- Page 21 and 22:
négoce provincial, indigné de voi
- Page 23 and 24:
parmi ces paquets, après avoir con
- Page 25 and 26:
lentement au milieu des commis resp
- Page 27 and 28:
sentait perdue, toute petite dans l
- Page 29 and 30:
exaspérée de se sentir des épaul
- Page 31 and 32:
chez nous pour être accueillie...
- Page 33 and 34: Elle le regardait, elle songeait qu
- Page 35 and 36: tendre et si gaie d'ameublement, s'
- Page 37 and 38: - C'est mon seul plaisir, de bâill
- Page 39 and 40: allaient rester debout. Et il flair
- Page 41 and 42: Et les voix tombèrent, ne furent p
- Page 43 and 44: Mais elles le pressaient de questio
- Page 45 and 46: - Il y avait aussi ce mouchoir... D
- Page 47 and 48: là, tout un coin de consommation l
- Page 49 and 50: l'uniformité imposée de leur toil
- Page 51 and 52: secousse; elle rougit, elle se sent
- Page 53 and 54: nouvelle cliente se présenta, inte
- Page 55 and 56: - Je ne vous fais pas de mal, madam
- Page 57 and 58: Et elle s'en alla, précédée du v
- Page 59 and 60: ataille du négoce montait, les ven
- Page 61 and 62: la reconnut, occupée à débarrass
- Page 63 and 64: - Ma pauvre fille, ne soyez donc pa
- Page 65 and 66: VLe lendemain, Denise était descen
- Page 67 and 68: unique refuge, le seul endroit où
- Page 69 and 70: sympathie des deux vendeuses avait
- Page 71 and 72: gentil, chez lequel elle passait to
- Page 73 and 74: Tous n'étaient plus que des rouage
- Page 75 and 76: Et ce fut Denise qui souffrit de l'
- Page 77 and 78: descendirent à Joinville, passère
- Page 79 and 80: - Avec ça que vous êtes bien, au
- Page 81 and 82: pair, il couchait au magasin, où i
- Page 83: coup de hache. Tout lui devenait pr
- Page 87 and 88: Elle le regarda fixement, du regard
- Page 89 and 90: Beaucoup, en avalant de grosses bou
- Page 91 and 92: Mais ce qui parut toucher ces messi
- Page 93 and 94: argent. - Vous savez que ces messie
- Page 95 and 96: Jean recommençait :- Le mari qui a
- Page 97 and 98: s'imposer, quand personne ne l'aima
- Page 99 and 100: commissionnaire ; mais chez qui la
- Page 101 and 102: l'argent, des robes, une belle cham
- Page 103 and 104: Il brandissait son outil, ses cheve
- Page 105 and 106: out d'un mois, Denise faisait parti
- Page 107 and 108: - Oh! j'en souffre toujours... Pour
- Page 109 and 110: Pauline, dans une de ces rencontres
- Page 111 and 112: - Monsieur, je ne puis pas... Je vo
- Page 113 and 114: - Vous entendez, monsieur Baudu ? r
- Page 115 and 116: Après le potage, dès que la bonne
- Page 117 and 118: - Non, non, restez... Oh ! que mama
- Page 119 and 120: coup de vent, un nuage de plâtre s
- Page 121 and 122: on n'avait jamais vu ça, des commi
- Page 123 and 124: - Plus tard, répondit-il, lorsque
- Page 125 and 126: va avec tout le monde, elle se moqu
- Page 127 and 128: IXUn lundi, 14 mars, le Bonheur des
- Page 129 and 130: à une émeute; et il obtenait cet
- Page 131 and 132: avait calculé juste : toutes les m
- Page 133 and 134: Mme de Boves restait dédaigneuse.
- Page 135 and 136:
M. de Boves et Paul de Vallagnosc e
- Page 137 and 138:
- Comment ! madame, vous vous êtes
- Page 139 and 140:
Et, nerveusement, enchanté d'avoir
- Page 141 and 142:
L'autre, surprise, regarda Clara, p
- Page 143 and 144:
Edmond portait une collection de pe
- Page 145 and 146:
avaient pris leur vol dans l'air ch
- Page 147 and 148:
XLe premier dimanche d'août, on fa
- Page 149 and 150:
- Non, non, laissez-moi, bégayait
- Page 151 and 152:
- C'est ce que je lui ai dit, décl
- Page 153 and 154:
- Un peu plus bas, mademoiselle. No
- Page 155 and 156:
Bouthemont lui-même, que les histo
- Page 157 and 158:
- Poulet, dit Mignot derrière lui.
- Page 159 and 160:
Il reposa son verre gauchement, il
- Page 161 and 162:
Il la suivit dans la pièce voisine
- Page 163 and 164:
- Je veux, je veux, répétait-il a
- Page 165 and 166:
Ils parlaient de Mouret. L'année p
- Page 167 and 168:
Au temps de leur grande intimité,
- Page 169 and 170:
légères, tout ce luxe aimable la
- Page 171 and 172:
- Pourquoi pas ? dit Mouret naïvem
- Page 173 and 174:
à contenter. Heureuse de rabaisser
- Page 175 and 176:
Comme il se sentait tout secoué en
- Page 177 and 178:
- Pourquoi donc, madame ? Est-ce qu
- Page 179 and 180:
Jouve, en effet, sortait des dentel
- Page 181 and 182:
Le cas lui semblait impossible, cet
- Page 183 and 184:
Non toujours, dans tous les comptoi
- Page 185 and 186:
sortis le soir sous la redingote, r
- Page 187 and 188:
- J'avais six ans, ma mère m'emmen
- Page 189 and 190:
Elle le suivit, ils descendirent de
- Page 191 and 192:
femme morte prononcer la phrase, un
- Page 193 and 194:
des maux endurés, si convaincue, l
- Page 195 and 196:
Écoutez, je dois vous prévenir qu
- Page 197 and 198:
- Le père est là-haut, reprit Mme
- Page 199 and 200:
d'elle une rencontre de temps à au
- Page 201 and 202:
Honoré au cimetière Montmartre. O
- Page 203 and 204:
pouvoir s'arrêter, marchait toujou
- Page 205 and 206:
s'expliquait avec des gestes exasp
- Page 207 and 208:
avaient déjà battu le quartier, l
- Page 209 and 210:
la vente faite par le syndic; de so
- Page 211 and 212:
Denise elle-même était gagnée pa
- Page 213 and 214:
D'abord, au premier plan de cette g
- Page 215 and 216:
- Mon Dieu ! oui, j'ai voulu me ren
- Page 217 and 218:
elle se remettait en marche, il lui
- Page 219 and 220:
Justement, lorsque Bourdonde, ce jo
- Page 221 and 222:
- Montez à mon cabinet, après la
- Page 223 and 224:
les doigts de la couturière, le pa
- Page 225 and 226:
- Peut-être bien qu'elle se remari
- Page 227 and 228:
de l'appareil. Enfin, elles arrivè
- Page 229 and 230:
- Je sais, je sais, madame, répét
- Page 231 and 232:
faire un scandale... Que diable ! t
- Page 233 and 234:
Frémissant comme un jeune homme qu
- Page 235:
www.livrefrance.com235