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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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on voyait là une révolte, une façon de narguer le <strong>com</strong>ptoir tout entier, en s'affichantdehors avec une demoiselle du <strong>com</strong>ptoir ennemi.Jamais Denise n'avait plus souffert au rayon, et maintenant elle désespérait de leconquérir.- Laissez-les donc ! répétait Pauline, <strong>des</strong> poseuses qui sont bêtes <strong>com</strong>me <strong>des</strong> oies !Mais c'était justement ces allures de dame qui intimidaient la jeune fille. Presquetoutes les vendeuses, dans leur frottement quotidien avec la clientèle riche, prenaient<strong>des</strong> grâces, finissaient par être d'une classe vague, flottant entre l'ouvrière et labourgeoise ; et, sous leur art de s'habiller, sous les manières et les phrases apprises,il n'y avait souvent qu'une instruction fausse, la lecture <strong>des</strong> petits journaux, <strong>des</strong>tira<strong>des</strong> de drame, toutes les sottises courantes du pavé de Paris.- Vous savez que la mal peignée a un enfant, dit un matin Clara, en arrivant au rayon.Et, <strong>com</strong>me on s'étonnait :- Puisque je l'ai vue hier soir qui promenait le mioche !...Elle doit le remiser quelque part.À deux jours de là, Marguerite, en remontant de dîner, donna une autre nouvelle.- C'est du propre, je viens de voir l'amant de la mal peignée... Un ouvrier, imaginezvous! oui, un sale petit ouvrier, avec <strong>des</strong> cheveux jaunes, qui la guettait à travers lesvitres.Dès lors, ce fut une vérité acquise: Denise avait un manoeuvre pour amant, et cachaitun enfant dans le quartier.On la cribla d'allusions méchantes. La première fois qu'elle <strong>com</strong>prit, elle devint toutepâle, devant la monstruosité de pareilles suppositions. C'était abominable, elle vouluts'excuser, elle balbutia :- Mais ce sont mes frères !- Oh ! ses frères ! dit Clara de sa voix de blague.Il fallut que Mme <strong>Au</strong>rélie intervînt.- Taissez-vous ! mesdemoiselles, vous feriez mieux de changer ces étiquettes... MlleBaudu est bien libre de se mal conduire dehors. Si elle travaillait ici, au moins !Et cette défense sèche était une condamnation. La jeune fille, suffoquée <strong>com</strong>me si onl'avait accusée d'un crime, tâcha vainement d'expliquer les faits. On riait, on haussaitles épaules.Elle en garda une plaie vive au coeur. Deloche, lorsque le bruit se répandit, futtellement indigné, qu'il parlait de gifler ces demoiselles <strong>des</strong> confections; et, seule, lacrainte de la <strong>com</strong>promettre le retint. Depuis la soirée de Joinville, il avait pour elle unamour soumis, une amitié presque religieuse, qu'il lui témoignait par ses regards debon chien. Personne ne devait soupçonner leur affection, car on se serait moqué d'eux; mais cela ne l'empêchait pas de rêver de brusques violences, le coup de poingvengeur, si jamais on s'attaquait à elle devant lui.Denise finit par ne plus répondre. C'était trop odieux, personne ne la croirait. Quandune camarade risquait une nouvelle allusion, elle se contentait de la regarderfixement, d'un air triste et calme. D'ailleurs, elle avait d'autres ennuis, <strong>des</strong> soucismatériels qui la préoccupaient davantage. Jean continuait à n'être pas raisonnable, illa harcelait toujours de deman<strong>des</strong> d'argent. Peu de semaines se passaient, sansqu'elle reçût de lui toute une histoire, en quatre pages ; et quand le vaguemestre de lamaison lui remettait ces lettres d'une grosse écriture passionnée, elle se hâtait de lescacher dans sa poche, car les vendeuses affectaient de rire, en chantonnant <strong>des</strong>gaillardises. Puis, après avoir inventé <strong>des</strong> prétextes pour aller déchiffrer les lettres àl'autre bout du magasin, elle était prise de terreurs:ce pauvre Jean lui semblait perdu. Toutes les bour<strong>des</strong> réussissaient auprès d'elle, <strong>des</strong>aventures d'amour extraordinaires, dont son ignorance de ces choses exagérait encoreles périls.C'étaient une pièce de quarante sous pour échapper à la jalousie d'une femme, et <strong>des</strong>cinq francs, et <strong>des</strong> six francs qui devaient réparer l'honneur d'une pauvre fille, que son84

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