coup de folie de la mode, toujours plus chère. Et si, chez eux, la femme était reine,adulée et flattée dans ses faiblesses, entourée de prévenances, elle y régnait en reineamoureuse, dont les sujets trafiquent, et qui paye d'une goutte de son sang chacun <strong>des</strong>es caprices. Sous la grâce même de sa galanterie, Mouret laissait ainsi passer labrutalité d'un juif vendant de la femme à la livre : il lui élevait un temple, la faisaitencenser par une légion de <strong>com</strong>mis, créait le rite d'un culte nouveau ; il ne pensaitqu'à elle, cherchait sans relâche à imaginer <strong>des</strong> séductions plus gran<strong>des</strong>; et, derrièreelle, quand il lui avait vidé la poche et détraqué les nerfs, il était plein du secretmépris de l'homme auquel une maîtresse vient de faire la bêtise de se donner.- Ayez donc les femmes, dit-il tout bas au baron, en riant d'un rire hardi, vous vendrezle monde !Maintenant, le baron <strong>com</strong>prenait. Quelques phrases avaient suffi, il devinait le reste,et une exploitation si galante l'échauffait, remuait en lui son passé de viveur. Il clignaitles yeux d'un air d'intelligence, il finissait par admirer l'inventeur de cette mécanique àmanger les femmes. C'était très fort. Il eut le mot de Bourdoncle, un mot que luisouffla sa vieille expérience.- Vous savez qu'elles se rattraperont.Mais Mouret haussa les épaules, dans un mouvement d'écrasant dédain. Toutes luiappartenaient, étaient sa chose, et il n'était à aucune. Quand il aurait tiré d'elles safortune et son plaisir, il les jetterait en tas à la borne, pour ceux qui pourraient encorey trouver leur vie. C'était un dédain raisonné de méridional et de spéculateur.- Eh bien! cher monsieur, demanda-t-il pour conclure, voulez-vous être avec moi ?L'affaire <strong>des</strong> terrains vous semble-t-elle possible ?Le baron, à demi conquis, hésitait pourtant à s'engager de la sorte. Un doute restaitau fond du charme qui opérait peu à peu sur lui. Il allait répondre d'une façon évasive,lorsqu'un appel pressant de ces dames lui évita cette peine. Des voix répétaient, aumilieu de légers rires :- Monsieur Mouret ! monsieur Mouret !Et <strong>com</strong>me celui-ci, contrarié d'être interrompu, feignait de ne pas entendre, Mme deBoves, debout depuis un moment, vint jusqu'à la porte du petit salon.- On vous réclame, monsieur Mouret... Ce n'est guère galant de vous enterrer dans lescoins pour causer d'affaires.Alors, il se décida, et avec une bonne grâce apparente, un air de ravissement, dont lebaron fut émerveillé. Tous deux se levèrent, passèrent dans le grand salon.- Mais je suis à votre disposition, mesdames, dit-il en entrant, le sourire aux lèvres.Un brouhaha de triomphe l'accueillit. Il dut s'avancer davantage, ces dames lui firentplace au milieu d'elles. Le soleil venait de se coucher derrière les arbres du jardin, lejour tombait, une ombre fine noyait peu à peu la vaste pièce.C'était l'heure attendrie du crépuscule, cette minute de discrète volupté, dans lesappartements parisiens, entre la clarté de la rue qui se meurt et les lampes qu'onallume encore à l'office. M. de Boves et Vallagnosc, toujours debout devant la fenêtre,jetaient sur le tapis une nappe d'ombre ; tandis que, immobile dans le dernier coup delumière qui venait de l'autre fenêtre, M. Marty, entré discrètement depuis quelquesminutes, mettait son profil pauvre, une redingote étriquée et propre, un visage blêmipar le professorat, et que la conversation de ces dames sur la toilette achevait debouleverser.- Est-ce toujours pour lundi prochain, cette mise en vente ?demandait justement Mme Marty.- Mais, sans doute, madame, répondit Mouret d'une voix de flûte, une voix d'acteurqu'il prenait, quand il parlait aux femmes.Henriette alors intervint.- Vous savez, nous irons toutes... On dit que vous préparez <strong>des</strong> merveilles.- Oh ! <strong>des</strong> merveilles! murmura-t-il d'un air de fatuité mo<strong>des</strong>te, je tâche simplementd'être digne de vos suffrages.42
Mais elles le pressaient de questions. Mme Bourdelais, Mme Guibal, Blanche ellemême,voulaient savoir.- Voyons, donnez-nous <strong>des</strong> détails, répétait Mme de Boves avec insistance. Vous nousfaites mourir.Et elles l'entouraient, lorsque Henriette remarqua qu'il n'avait seulement pas pris unetasse de thé. Alors, ce fut une désolation ; quatre d'entre elles se mirent à le servir,mais à la condition qu'il répondrait ensuite. Henriette versait, Mme Marty tenait latasse, pendant que Mme de Boves et Mme Bourdelais se disputaient l'honneur de lesucrer. Puis, quand il eut refusé de s'asseoir, et qu'il <strong>com</strong>mença à boire son thélentement, debout au milieu d'elles, toutes se rapprochèrent, l'emprisonnèrent ducercle étroit de leurs jupes. La tête levée, les regards luisants, elles lui souriaient.- Votre soie, votre Paris-<strong>Bonheur</strong>, dont tous les journaux parlent ? reprit Mme Marty,impatiente.- Oh ! répondit-il, un article extraordinaire, une faille à gros grain, souple, solide...Vous la verrez, mesdames. Et vous ne la trouverez que chez nous, car nous en avonsacheté la propriété exclusive.- Vraiment! une belle soie à cinq francs soixante ! dit Mme Bourdelais enthousiasmée.C'est à ne pas croire.Cette soie, depuis que les réclames étaient lancées, occupait dans leur vie quotidienneune place considérable. Elles en causaient, elles se la promettaient, travaillées de désiret de doute. Et, sous la curiosité bavarde dont elles accablaient le jeune homme,apparaissaient leurs tempéraments particuliers d'acheteuses: Mme Marty, emportéepar sa rage de dépense, prenant tout au <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, sans choix, au hasard<strong>des</strong> étalages; Mme Guibal, s'y promenant <strong>des</strong> heures sans jamais faire une emplette,heureuse et satisfaite de donner un simple régal à ses yeux; Mme de Boves, serréed'argent, toujours torturée d'une envie trop grosse, gardant rancune auxmarchandises, qu'elle ne pouvait emporter; Mme Bourdelais, d'un flair de bourgeoisesage et pratique, allant droit aux occasions, usant <strong>des</strong> grands magasins avec une telleadresse de bonne ménagère, exempte de fièvre, qu'elle y réalisait de forteséconomies; Henriette enfin, qui, très élégante, y achetait seulement certains articles,ses gants, de la bonneterie, tout le gros linge.- Nous avons d'autres étoffes étonnantes de bon marché et de richesse, continuaitMouret de sa voix chantante. Ainsi, je vous re<strong>com</strong>mande notre Cuir-d'or, un taffetasd'un brillant in<strong>com</strong>parable... Dans les soies de fantaisie, il y a <strong>des</strong> dispositionscharmantes, <strong>des</strong> <strong>des</strong>sins choisis entre mille par notre acheteur; et, <strong>com</strong>me velours,vous trouverez la plus riche collection de nuances... Je vous avertis qu'on porterabeaucoup de drap cette année. Vous verrez nos matelassés, nos cheviottes...Elles ne l'interrompaient plus, elles resserraient encore leur cercle, la boucheentrouverte par un vague sourire, le visage rapproché et tendu, <strong>com</strong>me dans unélancement de tout leur être vers le tentateur. Leurs yeux pâlissaient, un léger frissoncourait sur leurs nuques. Et lui gardait son calme de conquérant, au milieu <strong>des</strong> odeurstroublantes qui montaient de leurs chevelures. Il continuait à boire, entre chaquephrase, une petite gorgée de thé, dont le parfum attiédissait ces odeurs plus âpres, oùil y avait une pointe de fauve. Devant une séduction si maîtresse d'elle-même, assezforte pour jouer ainsi de la femme, sans se prendre aux ivresses qu'elle exhale, lebaron Hartmann, qui ne le quittait pas du regard, sentait son admiration grandir.- Alors, on portera du drap? reprit Mme Marty, dont le visage ravagé s'embellissait depassion coquette. Il faudra que je voie.Mme Bourdelais, qui gardait son oeil clair, dit à son tour :- N'est-ce pas ? la vente <strong>des</strong> coupons est le jeudi, chez vous...J'attendrai, j'ai tout mon petit monde à vêtir.Et, tournant sa fine tête blonde vers la maîtresse de la maison.- Toi, c'est toujours Sauveur qui t'habille ?43
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