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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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out d'un mois, Denise faisait partie de la famille, ainsi que l'autre vendeuse, unepetite femme poitrinaire et silencieuse. On ne se gênait plus devant elles, on causait<strong>des</strong> affaires, à table, dans l'arrière-boutique, qui donnait sur une grande cour. Et ce futlà qu'un soir on décida l'entrée en campagne contre le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>.Gaujean était venu dîner. Dès le rôti, un gigot bourgeois, il avait abordé la question,de sa voix blanche de Lyonnais, épaissie par les brouillards du Rhône.- Ça devient impossible, répétait-il. Ils arrivent chez Dumonteil, n'est-ce pas ? seréservent la propriété d'un <strong>des</strong>sin, emportent du coup trois cents pièces, en exigeantune diminution de cinquante centimes par mètre ; et, <strong>com</strong>me ils payent <strong>com</strong>ptant, ilsbénéficient encore de l'es<strong>com</strong>pte de dix-huit pour cent... Souvent, Dumonteil ne gagnepas vingt centimes. Il travaille pour occuper ses métiers, car tout métier qui chômeest un métier qui meurt... Alors, <strong>com</strong>ment voulez-vous que nous, avec notre outillageplus restreint, et surtout avec nos façonniers, nous puissions soutenir la lutte ?Robineau, rêveur, oubliait de manger.- Trois cents pièces ! murmura-t-il. Moi, je tremble, quand j'en prends douze, et àquatre-vingt-dix jours... Ils peuvent afficher un franc, deux francs meilleur marchéque nous. J'ai calculé qu'il y a une baisse de quinze pour cent au moins sur leursarticles de catalogue, quand on les <strong>com</strong>pare à nos prix... C'est ce qui tue le petit<strong>com</strong>merce.Il était dans une heure de découragement. Sa femme, inquiète, le regardait d'un airtendre. Elle ne mordait point aux affaires, la tête cassée par tous ces chiffres, ne<strong>com</strong>prenant pas qu'on se donnât un pareil souci, lorsqu'il était si facile de rire et <strong>des</strong>'aimer. Pourtant, il suffisait que son mari voulût vaincre :elle se passionnait avec lui, serait morte à son. <strong>com</strong>ptoir.- Mais pourquoi tous les fabricants ne s'entendent-ils pas ensemble ? repritviolemment Robineau. Ils leur feraient la loi, au lieu de la subir.Gaujean, qui avait redemandé une tranche de gigot, mâchait, avec lenteur.- Ah ! pourquoi, pourquoi... Il faut que les métiers travaillent, je vous l'ai dit. Quandon a <strong>des</strong> tissages un peu partout, aux environs de Lyon, dans le Gard, dans l'Isère, onne peut chômer un jour, sans <strong>des</strong> pertes énormes... Puis, nous autres qui employonsparfois <strong>des</strong> façonniers ayant dix ou quinze métiers, nous sommes davantage maîtresde la production, au point de vue du stock ; tandis que les grands fabricants letrouvent obligés d'avoir de continuels débouchés, les plus larges et les plus rapi<strong>des</strong>possible... <strong>Au</strong>ssi sont-ils à genoux devant les grands magasins. J'en connais trois ouquatre qui se les disputent, qui consentent à perdre pour obtenir leurs ordres. Et ils serattrapent avec les petites maisons <strong>com</strong>me la vôtre. Oui, s'ils existent par eux, ilsgagnent par vous... La crise finira Dieu sait <strong>com</strong>ment ! - C'est odieux! conclutRobineau, que ce cri de colère soulagea.Denise écoutait, en silence. Elle était secrètement pour les grands magasins, dans sonamour instinctif de la logique et de la vie. On se taisait, on mangeait <strong>des</strong> haricots vertsde conserve ; et elle finit par se risquer à dire d'un air gai.- Le public ne se plaint pas, lui !Mme Robineau ne put retenir un léger rire, qui mécontenta son mari et Gaujean. Sansdoute, le client était satisfait, puisque, en fin de <strong>com</strong>pte, c'était le client qui bénéficiaitde la baisse <strong>des</strong> prix. Seulement, il fallait bien que chacun vécût :où irait-on, si, sous le prétexte du bonheur général, on engraissait le consommateurau détriment du producteur? Et une discussion s'engagea. Denise affectait deplaisanter, tout en apportant <strong>des</strong> arguments soli<strong>des</strong>: les intermédiairesdisparaissaient, agents de fabrique, représentants, <strong>com</strong>missionnaires, ce qui entraitpour beaucoup dans le bon marché ; du reste, les fabricants ne pouvaient même plusvivre sans les grands magasins, car dès qu'un d'entre eux perdait leur clientèle, lafaillite devenait fatale ; enfin, il y avait là une évolution naturelle du <strong>com</strong>merce, onn'empêcherait pas les choses d'aller <strong>com</strong>me elles devaient aller, quand tout le mondey travaillait, bon gré, mal gré.105

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