débit, en les collationnant... Vous <strong>com</strong>prenez, nous serons certains dès lors qu'ils n'ennégligeront pas une seule, car ils en inventeraient plutôt.Il se mit à rire, pendant que l'autre le regardait d'un air admiratif. Cette applicationnouvelle de la lutte pour l'existence l'enchantait, il avait le génie de la mécaniqueadministrative, il rêvait d'organiser la maison de manière à exploiter les appétits <strong>des</strong>autres, pour le contentement tranquille et <strong>com</strong>plet de ses propres appétits. Quand onvoulait faire rendre aux gens tout leur effort, disait-il souvent, et même tirer d'eux unpeu d'honnêteté, il fallait d'abord les mettre aux prises avec leurs besoins.- Eh bien ! <strong>des</strong>cendons, reprit Mouret. Il faut s'occuper de cette mise en vente... Lasoie est arrivée d'hier, n'est-ce pas ?et Bouthemont doit être à la réception.Bourdoncle le suivit. Le service de la réception se trouvait dans le sous-sol, du côté dela rue Neuve-Saint-<strong>Au</strong>gustin. Là, au ras du trottoir, s'ouvrait une cage vitrée, où lescamions déchargeaient les marchandises. Elles étaient pesées, puis elles basculaientsur une glissoire rapide, dont le chêne et les ferrures luisaient, polis sous le frottement<strong>des</strong> ballots et <strong>des</strong> caisses. Tous les arrivages entraient par cette trappe béante ; c'étaitun engouffrement continu, une chute d'étoffes qui tombait avec un ronflement derivière. <strong>Au</strong>x époques de grande vente surtout, la glissoire lâchait dans le sous-sol unflot intarissable, les soieries de Lyon, les lainages d'Angleterre, les toiles <strong>des</strong> Flandres,les calicots d'Alsace, les indiennes de Rouen ; et, parfois, les camions devaientprendre la file ; les paquets en coulant faisaient, au fond du trou, le bruit sourd d'unepierre jetée dans une eau profonde.Lorsqu'il passa, Mouret s'arrêta un instant devant la glissoire. Elle fonctionnait, <strong>des</strong>files de caisses <strong>des</strong>cendaient toutes seules, sans qu'on vît les hommes dont les mainsles poussaient, en haut ; et elles semblaient se précipiter d'elles-mêmes, ruisseler enpluie d'une source supérieure. Puis, <strong>des</strong> ballots parurent, tournant sur eux-mêmes<strong>com</strong>me <strong>des</strong> cailloux roulés.Mouret regardait, sans prononcer une parole. Mais, dans ses yeux clairs, cette débâclede marchandises qui tombait chez lui, ce flot qui lâchait <strong>des</strong> milliers de francs à laminute, mettait une courte flamme. Jamais encore il n'avait eu une conscience si nettede la bataille engagée. C'était cette débâcle de marchandises qu'il s'agissait de lanceraux quatre coins de Paris. Il n'ouvrit pas la bouche, il continua son inspection.Dans le jour gris qui venait <strong>des</strong> larges soupiraux, une équipe d'hommes recevait lesenvois, tandis que d'autres déclouaient les caisses et ouvraient les ballots, enprésence <strong>des</strong> chefs de rayon. Une agitation de chantier emplissait ce fond de cave, cesous-sol où <strong>des</strong> piliers de fonte soutenaient les voûtins, et dont les murs nus étaientcimentés.- Vous avez tout, Bouthemont? demanda Mouret, en s'approchant d'un jeune hommeà fortes épaules, en train de vérifier le contenu d'une caisse.- Oui, tout doit y être, répondit ce dernier. Mais j'en ai pour la matinée à <strong>com</strong>pter.Le chef de rayon consultait la facture d'un coup d'oeil, debout devant un grand<strong>com</strong>ptoir, sur lequel un de ses vendeurs posait, une à une, les pièces de soie qu'ilsortait de la caisse.Derrière eux, s'alignaient d'autres <strong>com</strong>ptoirs, en<strong>com</strong>brés également de marchandises,que tout un petit peuple de <strong>com</strong>mis examinaient. C'était un déballage général, uneconfusion apparente d'étoffes, étudiées, retournées, marquées, au milieu dubourdonnement <strong>des</strong> voix.Bouthemont, qui devenait célèbre sur la place, avait une face ronde de joyeux<strong>com</strong>père, avec une barbe d'un noir d'encre et de beaux yeux marron. Né à Montpellier,noceur, braillard, il était médiocre pour la vente; mais, pour l'achat, on ne connaissaitpas son pareil. Envoyé à Paris par son père, qui tenait là-bas un magasin denouveautés, il avait absolument refusé de retourner au pays, quand le bonhommes'était dit que le garçon en savait assez long pour lui succéder dans son <strong>com</strong>merce; et,dès lors, une rivalité avait grandi entre le père et le fils, le premier tout à son petit20
négoce provincial, indigné de voir un simple <strong>com</strong>mis gagner le triple de ce qu'il gagnaitlui-même, le second plaisantant la routine du vieux, faisant sonner ses gains etbouleversant la maison, à chacun de ses passages. Comme les autres chefs de<strong>com</strong>ptoir, celui-ci touchait, outre ses trois mille francs d'appointements fixes, un tantpour cent sur la vente. Montpellier, surpris et respectueux, répétait que le filsBouthemont avait, l'année précédente, empoché près de quinze mille francs ; et cen'était qu'un <strong>com</strong>mencement, <strong>des</strong> gens prédisaient au père exaspéré que ce chiffregrossirait encore.Cependant, Bourdonde avait pris une <strong>des</strong> pièces de soie, dont il examinait le graind'un air attentif d'homme <strong>com</strong>pétent. C'était une faille à lisière bleu et argent, lefameux Paris-<strong>Bonheur</strong>, avec laquelle Mouret <strong>com</strong>ptait porter un coup décisif.- Elle est vraiment très bonne, murmura l'intéressé.- Et elle fait surtout plus d'effet qu'elle n'est bonne, dit Bouthemont. Il n'y a queDumonteil pour nous fabriquer ça...À mon dernier voyage, quand je me suis fâché avec Gaujean, celui-ci voulait bienmettre cent métiers sur ce modèle, mais il exigeait vingt-cinq centimes de plus parmètre.Presque tous les mois, Bouthemont allait ainsi en fabrique, vivant <strong>des</strong> journées à Lyon,<strong>des</strong>cendant dans les premiers hôtels, ayant l'ordre de traiter les fabricants à bourseouverte. Il jouissait d'ailleurs d'une liberté absolue, il achetait <strong>com</strong>me bon lui semblait,pourvu que, chaque année, il augmentât dans une proportion fixée d'avance le chiffred'affaires de son <strong>com</strong>ptoir ; et c'était même sur cette augmentation qu'il touchait sontant pour cent d'intérêt. En somme, sa situation, au <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, <strong>com</strong>me cellede tous les chefs, ses collègues, se trouvait être celle d'un <strong>com</strong>merçant spécial, dansun ensemble de <strong>com</strong>merces divers, une sorte de vaste cité du négoce.- Alors, c'est décidé, reprit-il, nous la marquons cinq francs soixante... Vous savez quec'est à peine le prix d'achat.- Oui ! oui, cinq francs soixante, dit vivement Mouret, et si j'étais seul, je la donneraisà perte.Le chef de rayon eut un bon rire.- Oh ! moi, je ne demande pas mieux... Ça va tripler la vente, et <strong>com</strong>me mon seulintérêt est d'arriver à de grosses recettes...Mais Bourdoncle restait grave, les lèvres pincées. Lui, touchait son tant pour cent surle bénéfice total, et son affaire n'était pas de baisser les prix. Justement, le contrôlequ'il exerçait consistait à surveiller la marque, pour que Bouthemont, cédant au seuldésir d'accroître le chiffre de vente, ne vendît pas à trop petit gain. Du reste, il étaitrepris par ses inquiétu<strong>des</strong> anciennes, devant <strong>des</strong> <strong>com</strong>binaisons de réclame qui luiéchappaient. Il osa montrer sa répugnance, en disant :- Si nous la donnons à cinq francs soixante, c'est <strong>com</strong>me si nous la donnions à perte,puisqu'il faudra prélever nos frais qui sont considérables... On la vendrait partout àsept francs.Du coup, Mouret se fâcha. Il tapa de sa main ouverte sur la soie, il cria nerveusement:- Mais je le sais, et c'est pourquoi je désire en faire cadeau à nos clientes... En vérité,mon cher, vous n'aurez jamais le sens de la femme. Comprenez donc qu'elles vont sel'arracher, cette soie !- Sans doute, interrompit l'intéressé, qui s'entêtait, et plus elles se l'arracheront, plusnous perdrons.- Nous perdrons quelques centimes sur l'article, je le veux bien. Après? le beaumalheur, si nous attirons toutes les femmes et si nous les tenons à notre merci,séduites, affolées devant l'entassement de nos marchandises, vidant leur portemonnaiesans <strong>com</strong>pter ! Le tout, mon cher, est de les allumer, et il faut pour cela unarticle qui flatte, qui fasse époque. Ensuite, vous pouvez vendre les autres articlesaussi cher qu'ailleurs, elles croiront les payer chez vous meilleur marché. Par exemple,21
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