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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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se revoyait devant le caveau où l'on <strong>des</strong>cendait Geneviève, elle apercevait son oncle etsa tante, seuls au fond de leur salle à manger obscure. Dans le profond silence, unbruit sourd d'écroulement traversait l'air mort : c'était la maison de Bourras quis'effondrait, <strong>com</strong>me minée par les gran<strong>des</strong> eaux. Le silence re<strong>com</strong>mençait, plussinistre, et un nouvel écroulement retentissait, puis un autre, puis un autre : lesRobineau, les Bédoré et soeur, les Vanpouille, craquaient et s'écrasaient chacun à sontour, le petit <strong>com</strong>merce du quartier Saint-Roch s'en allait sous une pioche invisible,avec de brusques tonnerres de charrettes qu'on décharge. Alors, un chagrin immensel'éveillait en sursaut. Mon Dieu ! que de tortures ! <strong>des</strong> familles qui pleurent, <strong>des</strong>vieillards jetés au pavé, tous les drames poignants de la ruine ! Et elle ne pouvaitsauver personne, et elle avait conscience que cela était bon, qu'il fallait ce fumier demisères à la santé du Paris de demain. <strong>Au</strong> jour, elle se calma, une grande tristesserésignée la tenait les yeux ouverts, tournés vers la fenêtre dont les vitres s'éclairaient.Oui, c'était la part du sang, toute révolution voulait <strong>des</strong> martyrs, on ne marchait enavant que sur <strong>des</strong> morts. Sa peur d'être une âme mauvaise, d'avoir travaillé aumeurtre de ses proches, se fondait à présent dans une pitié navrée, en face de cesmaux irrémédiables, qui sont l'enfantement douloureux de chaque génération. Ellefinit par chercher les soulagements possibles, sa bonté rêva longtemps aux moyens àprendre, pour sauver au moins les siens de l'écrasement final.Mouret, maintenant, se dressait devant elle, avec sa tête passionnée, aux yeuxcaressants. Certes, il ne lui refusait rien, elle était sûre qu'il accorderait tous lesdédommagements raisonnables. Et sa pensée s'égarait, tâchait de le juger. Elleconnaissait sa vie, n'ignorait pas le calcul ancien de ses tendresses, sa continuelleexploitation de la femme, <strong>des</strong> maîtresses prises pour faire son chemin, et sa liaisonavec Mme Desforges dans l'unique but de tenir le baron Hartmann, et toutes lesautres, les Clara de rencontre, le plaisir achevé, payé, rejeté au trottoir. Seulement,ces débuts d'un aventurier de l'amour, dont le magasin plaisantait, finissaient par seperdre dans le coup de génie de cet homme, dans sa grâce victorieuse. Il était laséduction. Ce qu'elle ne lui aurait jamais pardonné, c'était son mensonge d'autrefois,sa froideur d'amant sous la <strong>com</strong>édie galante de ses prévenances. Mais elle se sentaitsans rancune, aujourd'hui qu'il souffrait par elle. Cette souffrance l'avait grandi. Quandelle le voyait torturé, expiant si durement son dédain de la femme, il lui semblaitracheté de ses fautes.Dès ce matin-là, Denise obtint de Mouret les <strong>com</strong>pensations qu'elle jugerait légitimes,le jour où les Baudu et le vieux Bourras suc<strong>com</strong>beraient. Les semaines se passèrent,elle allait voir son oncle presque tous les après-midi, s'échappant quelques minutes,apportant son rire, son courage de brave fille, pour égayer la sombre boutique. Satante surtout l'inquiétait, elle était restée dans une stupeur blême, depuis la mort deGeneviève ; il semblait que sa vie s'en allât un peu à chaque heure; et, lorsqu'onl'interrogeait, elle répondait d'un air étonné qu'elle ne souffrait pas, qu'elle était<strong>com</strong>me prise de sommeil, simplement. Dans le quartier, on hochait la tête : la pauvredame ne s'ennuierait pas longtemps de sa fille.Un jour, Denise sortait de chez les Baudu, lorsque, au détour de la place Gaillon, elleentendit un grand cri. La foule se précipitait, un coup de panique soufflait, ce vent depeur et de pitié qui ameute brusquement une rue. C'était un omnibus à caisse brune,une <strong>des</strong> voitures faisant le trajet de la Bastille aux Batignolles, dont les rouespassaient sur le corps d'un homme, au débouché de la rue Neuve-Saint-<strong>Au</strong>gustin,devant la fontaine. Debout sur son siège, dans un mouvement furieux, le cocherretenait ses deux chevaux noirs, qui se cabraient ; et il jurait, il s'emportait en grosmots.- Nom de dieu ! nom de dieu !... Faites donc attention, sacré maladroit !Maintenant, l'omnibus était arrêté. La foule entourait le blessé, un sergent de ville setrouvait là par hasard. Toujours debout, appelant en témoignage les voyageurs del'impériale, qui s'étaient levés, eux aussi, pour se pencher et voir le sang, le cocher204

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