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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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- Ma pauvre fille, ne soyez donc pas si sensible. Renfoncez ça, autrement on vous enfera bien d'autres... Moi qui vous parle, je suis de Chartres. Oui, parfaitement, PaulineCugnot ; et mes parents sont meuniers, là-bas... Eh bien ! on m'aurait mangée, lespremiers jours, si je ne m'étais pas mise en travers...Allons, du courage ! donnez-moi la main, nous causerons gentiment, quand vousvoudrez.Cette main qui se tendait, redoubla le trouble de Denise.Elle la serra furtivement, elle se hâta d'enlever une lourde charge de paletots,craignant encore de mal faire et d'être grondée, si on lui savait une amie.Cependant, Mme <strong>Au</strong>rélie elle-même venait de poser le manteau sur les épaules deMme Marty, et l'on se récriait : Oh ! très bien ! ravissant! tout de suite, ça prenait unetournure. Mme Desforges déclara qu'on ne trouverait pas mieux. Il y eut <strong>des</strong> saluts,Mouret prit congé, tandis que Vallagnosc, qui avait aperçu aux dentelles Mme deBoves et sa fille, se hâta d'aller offrir son bras à la mère. Déjà Marguerite, deboutdevant une <strong>des</strong> caisses de l'entresol, appelait les divers achats de Mme Marty, quipaya et qui donna l'ordre de porter le paquet dans sa voiture. Mme Desforges avaitretrouvé tous ses articles à la caisse 10. Puis, ces dames se rencontrèrent une foisencore dans le salon oriental. Elles partaient, mais ce fut au milieu d'une crise bavarded'admiration. Mme Guibal elle-même s'exaltait.- Oh ! délicieux !... On se dirait là-bas!- N'est-ce pas, un vrai harem? Et pas cher!- Les Smyrne, ah ! les Smyrne ! quels tons, quelle finesse !- Et ce Kurdistan, voyez donc ! un Delacroix !Lentement, la foule diminuait. Des volées de cloche, à une heure d'intervalle, avaientdéjà sonné les deux premières tables du soir; la troisième allait être servie, et dans lesrayons, peu à peu déserts, il ne restait que <strong>des</strong> clientes attardées, à qui leur rage dedépense faisait oublier l'heure. Du dehors ne venaient plus que les roulements <strong>des</strong>derniers fiacres, au milieu de la voix empâtée de Paris, un ronflement d'ogre repu,digérant les toiles et les draps, les soies et les dentelles, dont on le gavait depuis lematin. A l'intérieur, sous le flamboiement <strong>des</strong> becs de gaz, qui, brûlant dans lecrépuscule, avaient éclairé les secousses suprêmes de la vente, c'était <strong>com</strong>me unchamp de bataille encore chaud du massacre <strong>des</strong> tissus. Les vendeurs, harassés defatigue, campaient parmi la débâcle de leurs casiers et de leurs <strong>com</strong>ptoirs, queparaissait avoir saccagés le souffle furieux d'un ouragan. On longeait avec peine lesgaleries du rez-de-chaussée, obstruées par la débandade <strong>des</strong> chaises; il fallaitenjamber, à la ganterie, une barricade de cartons, entassés autour de Mignot; auxlainages, on ne passait plus du tout, Liénard sommeillait au-<strong>des</strong>sus d'une mer depièces, où <strong>des</strong> piles restées debout, à moitié détruites, semblaient <strong>des</strong> maisons dontun fleuve débordé charrie les ruines; et, plus loin, le blanc avait neigé à terre, onbutait contre <strong>des</strong> banquises de serviettes, on marchait sur les flocons légers <strong>des</strong>mouchoirs. Mêmes ravages en haut, dans les rayons de l'entresol: les fourruresjonchaient les parquets, les confections s'amoncelaient <strong>com</strong>me <strong>des</strong> capotes de soldatsmis hors de <strong>com</strong>bat, les dentelles et la lingerie, dépliées, froissées, jetées au hasard,faisaient songer à un peuple de femmes qui se serait déshabillé là, dans le désordred'un coup de désir; tandis que, en bas, au fond de la maison, le service du départ, enpleine activité, dégorgeait toujours les paquets dont il éclatait et qu'emportaient lesvoitures, dernier branle de la machine surchauffée. Mais, à la soie surtout, les clientess'étaient ruées en masse ;là, elles avaient fait place nette ; on y passait librement, lehall restait nu, tout le colossal approvisionnement du Paris-<strong>Bonheur</strong> venait d'êtredéchiqueté, balayé, <strong>com</strong>me sous un vol de sauterelles dévorantes. Et, au milieu de cevide, Hutin et Favier feuilletaient leurs cahiers de débit, calculaient leur tant pour cent,essoufflés de la lutte. Favier s'était fait quinze francs, Hutin n'avait pu arriver qu'àtreize, battu ce jour-là, enragé de sa mauvaise chance. Leurs yeux s'allumaient de la63

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