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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Vanpouille frères, et Deslignières le bimbelotier, et Piot et Rivoire les marchands demeubles ; même Mlle Tatin, la lingère, et le gantier Quinette, balayés depuislongtemps par la faillite, s'étaient fait un devoir de venir, l'une <strong>des</strong> Batignolles, l'autrede la Bastille, où ils avaient dû reprendre du travail chez les autres. En attendant lecorbillard qu'une erreur attardait, ce monde vêtu de noir, piétinant dans la boue, levait<strong>des</strong> regards de haine sur le <strong>Bonheur</strong>, dont les vitrines claires, les étalages éclatants degaieté, leur semblaient une insulte, en face du Vieil Elbeuf, qui attristait de son deuill'autre côté de la rue.Quelques têtes de <strong>com</strong>mis curieux se montraient derrière les glaces ; mais le colossegardait son indifférence de machine lancée à toute vapeur, inconsciente <strong>des</strong> mortsqu'elle peut faire en chemin.Denise cherchait <strong>des</strong> yeux son frère Jean. Elle finit par l'apercevoir devant la boutiquede Bourras, où elle le rejoignit pour lui re<strong>com</strong>mander de marcher près de l'oncle et dele soutenir, s'il avait de la peine à marcher. Depuis quelques semaines, Jean étaitgrave, <strong>com</strong>me tourmenté d'une préoccupation. Ce jour-là, serré dans une redingotenoire, homme fait à cette heure et gagnant <strong>des</strong> journées de vingt francs, il semblait sidigne et si triste, que sa soeur en fut frappée, car elle ne le soupçonnait pas d'aimer àce point leur cousine. Désireuse d'éviter à Pépé <strong>des</strong> tristesses inutiles, elle l'avaitlaissé chez Mme Gras, en se promettant d'aller l'y chercher l'après-midi, pour lui faireembrasser son oncle et sa tante.Cependant, le corbillard n'arrivait toujours pas, et Denise, très émue, regardait brûlerles cierges, lorsqu'elle tressaillit, au son connu d'une voix qui parlait derrière elle.C'était Bourras. Il avait appelé d'un signe un marchand de marrons, installé en face,dans une étroite guérite, prise sur la boutique d'un marchand de vin, et il lui disait :- Hein ? Vigouroux, rendez-moi ce service... Vous voyez, je retire le bouton... Siquelqu'un venait, vous diriez de repasser. Mais que ça ne vous dérange pas, il neviendra personne.Puis, il resta debout au bord du trottoir, attendant <strong>com</strong>me les autres. Denise, gênée,avait jeté un coup d'oeil sur la boutique. Maintenant, il l'abandonnait, on ne voyaitplus, à l'étalage, qu'une débandade pitoyable de parapluies mangés par l'air et decannes noires de gaz. Les embellissements qu'il y avait faits, les peintures vert tendre,les glaces, l'enseigne dorée, tout craquait, se salissait déjà, offrait cette décrépituderapide et lamentable du faux luxe, badigeonné sur <strong>des</strong> ruines.Pourtant, si les anciennes crevasses reparaissaient, si les taches d'humidité avaientrepoussé sous les dorures, la maison tenait toujours, entêtée, collée au flanc du<strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, <strong>com</strong>me une verrue déshonorante, qui, bien que gercée etpourrie, refusait d'en tomber.- Ah ! les misérables, gronda Bourras, ils ne veulent même pas qu'on l'emporte !Le corbillard, qui arrivait enfin, venait d'être accroché par une voiture du <strong>Bonheur</strong>,dont les panneaux vernis filaient, jetant dans la brume leur rayonnement d'astre, autrot rapide de deux chevaux superbes. Et le vieux marchand lançait vers Denise uncoup d'oeil oblique, allumé sous la broussaille de ses sourcils.Lentement, le convoi s'ébranla, pataugeant au milieu <strong>des</strong> flaques, dans le silence <strong>des</strong>fiacres et <strong>des</strong> omnibus brusquement arrêtés. Lorsque le corps drapé de blanc traversala place Gaillon, les regards sombres du cortège plongèrent une fois encore derrièreles glaces du grand magasin, où seules deux vendeuses accourues regardaient,heureuses de cette distraction. Baudu suivait le corbillard, d'un pas lourd et machinal;et il avait refusé d'un signe le bras de Jean, qui marchait près de lui. Puis, après laqueue du monde, venaient trois voitures de deuil. Comme on coupait la rue Neuve<strong>des</strong>-Petits-Champs,Robineau accourut se joindre au cortège, très pâle, l'air vieilli.À Saint-Roch, beaucoup de femmes attendaient, les petites <strong>com</strong>merçantes du quartier,qui avaient redouté l'en<strong>com</strong>brement de la maison mortuaire. La manifestation tournaità l'émeute ; et, lorsque, après le service, le convoi se remit en marche, tous leshommes suivirent de nouveau, bien qu'il y eût une longue course, de la rue Saint-200

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