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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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avaient pris leur vol dans l'air chaud <strong>des</strong> magasins, toute une nuée de ballons rougesqui flottaient à cette heure d'un bout à l'autre de Paris, portant au ciel le nom du<strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>!Cinq heures sonnèrent. De toutes ces dames, Mme Marty demeurait seule avec safille, dans la crise finale de la vente.Elle ne pouvait s'en détacher, lasse à mourir, retenue par <strong>des</strong> liens si forts, qu'ellerevenait toujours sur ses pas,s ans besoin, battant les rayons de sa curiositéinassouvie. C'était l'heure où la cohue, fouettée de réclames, achevait de sedétraquer; les soixante mille francs d'annonces payés aux journaux, les dix milleaffiches collées sur les murs, les deux cent mille catalogues lancés dans la circulation,après avoir vidé les bourses, laissaient à ces nerfs de femmes l'ébranlement de leurivresse ; et elles restaient secouées encore de toutes les inventions de Mouret, labaisse <strong>des</strong> prix, les rendus, les galanteries sans cesse renaissantes. Mme Martys'attardait devant les tables de proposition, parmi les appels enroués <strong>des</strong> vendeurs,dans le bruit d'or <strong>des</strong> caisses et le roulement <strong>des</strong> paquets tombant aux sous-sols ; elletraversait une fois de plus le rez-de-chaussée, le blanc, la soie, la ganterie, leslainages ; puis, elle remontait, s'abandonnait à la vibration métallique <strong>des</strong> escalierssuspendus et <strong>des</strong> ponts volants, retournait aux confections, à la lingerie, auxdentelles, poussait jusqu'au second étage, dans les hauteurs de la literie et <strong>des</strong>meubles, et, partout, les <strong>com</strong>mis, Hutin et Favier, Mignot et Liénard, Deloche, Pauline,Denise, les jambes mortes, donnaient un coup de force, arrachaient <strong>des</strong> victoires à lafièvre dernière <strong>des</strong> clientes. Cette fièvre, depuis le matin, avait grandi peu à peu,<strong>com</strong>me la griserie même qui se dégageait <strong>des</strong> étoffes remuées. La foule flambait sousl'incendie du soleil de cinq heures. Maintenant, Mme Marty avait la face animée etnerveuse d'une enfant qui a bu du vin pur. Entrée les yeux clairs, la peau fraîche dufroid de la rue, elle s'était lentement brûlé la vue et le teint, au spectacle de ce luxe,de ces couleurs violentes, dont le galop continu irritait sa passion.Lorsqu'elle partit enfin, après avoir dit qu'elle paierait chez elle, terrifiée par le chiffrede sa facture, elle avait les traits tirés, les yeux élargis d'une malade. Il lui fallut sebattre pour se dégager de l'écrasement obstiné de la porte ; on s'y tuait, au milieu dumassacre <strong>des</strong> sol<strong>des</strong>. Puis, sur le trottoir, quand elle eut retrouvé sa fille qu'elle avaitperdue, elle frissonna à l'air vif, elle demeura effarée, dans le détraquement de cettenévrose <strong>des</strong> grands bazars.Le soir, <strong>com</strong>me Denise revenait de dîner, un garçon l'appela.- Mademoiselle, on vous demande à la direction.Elle oubliait l'ordre que Mouret lui avait donné, le matin, de passer à son cabinet,après la vente. Il l'attendait debout.En entrant, elle ne repoussa pas la porte, qui resta ouverte.- Nous sommes contents de vous, mademoiselle, dit-il, et nous avons songé à voustémoigner notre satisfaction... Vous savez de quelle indigne manière Mme Frédéricnous a quittés.Dès demain, vous la remplacerez <strong>com</strong>me seconde.Denise l'écoutait, immobile de saisissement. Elle murmura, la voix tremblante :- Mais, monsieur, il y a <strong>des</strong> vendeuses beaucoup plus anciennes que moi au rayon.- Eh bien ? qu'est-ce que cela fait ? reprit-il. Vous êtes la plus capable, la plussérieuse. Je vous choisis, c'est bien naturel... N'êtes-vous pas satisfaite ?Alors, elle rougit. C'était, en elle, un bonheur et un embarras délicieux, où son premiereffroi se fondait. Pourquoi donc avait-elle songé d'abord aux suppositions dont on allaitaccueillir cette faveur inespérée ? Et elle demeurait confuse, malgré l'élan de sareconnaissance. Lui, la regardait en souriant, dans sa robe de soie toute simple, sansun bijou, n'ayant que le luxe de sa royale chevelure blonde. Elle s'était affinée, la peaublanche, l'air délicat et grave. Son insignifiance chétive d'autrefois devenait un charmed'une discrétion pénétrante.- Vous êtes bien bon, monsieur, balbutia-t-elle. Je ne sais <strong>com</strong>ment vous dire...145

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