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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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passion du gain, tout le magasin autour d'eux alignait également <strong>des</strong> chiffres etflambait d'une même fièvre, dans la gaieté brutale <strong>des</strong> soirs de carnage.- Eh bien ! Bourdonde, cria Mouret, tremblez-vous encore ?Il était revenu à son poste favori, en haut de l'escalier de l'entresol, contre la rampe ;et, devant le massacre d'étoffes qui s'étalait sous lui, il avait un rire victorieux. Sescraintes du matin, ce moment d'impardonnable faiblesse que personne ne connaîtraitjamais, le jetait à un besoin tapageur de triomphe. La campagne était doncdéfinitivement gagnée, le petit <strong>com</strong>merce du quartier mis en pièces, le baronHartmann conquis, avec ses millions et ses terrains. Pendant qu'il regardait lescaissiers penchés sur leurs registres, additionnant les longues colonnes de chiffres,pendant qu'il écoutait le petit bruit de l'or, tombant de leurs doigts dans les sébiles decuivre, il voyait déjà le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong> grandir démesurément, élargir son hall,prolonger ses galeries jusqu'à la rue du Dix-Décembre.- Et maintenant, reprit-il, êtes-vous convaincu que la maison est trop petite ?... Onaurait vendu le double.Bourdonde s'humiliait, ravi du reste d'être dans son tort.Mais un spectacle les rendit graves. Comme tous les soirs, Lhomme, premier caissierde la vente, venait de centraliser les recettes particulières de chaque caisse ; après lesavoir additionnées, il affichait la recette totale, en embrochant dans sa pique de fer lafeuille où elle était inscrite; et il montait ensuite cette recette à la caisse centrale, dansun portefeuille et dans <strong>des</strong> sacs, selon la nature du numéraire. Ce jour-là, l'or etl'argent dominaient, il gravissait lentement l'escalier, portant trois sacs énormes. Privéde son bras droit, coupé au coude, il les serrait son bras gauche contre sa poitrine, ilen maintenait un avec son menton, pour l'empêcher de glisser. Son souffle forts'entendait de loin, il passait, écrasé et superbe, au milieu du respect <strong>des</strong> <strong>com</strong>mis.- Combien, Lhomme ? demanda Mouret.Le caissier répondit :- Quatre-vingt mille sept cent quarante-deux francs dix centimes !Un rire de jouissance souleva le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>. Le chiffre courait. C'était le plusgros chiffre qu'une maison de nouveautés eût encore jamais atteint en un jour.Et, le soir, lorsque Denise monta se coucher, elle s'appuyait aux cloisons de l'étroitcorridor, sous le zinc de la toiture. Dans sa chambre, la porte fermée, elle s'abandonnasur le lit, tellement les pieds lui faisaient du mal. Longtemps, elle regarda d'un airhébété la table de toilette, l'armoire, toute cette nudité d'hôtel garni. C'était donc làqu'elle allait vivre; et sa première journée se creusait, abominable, sans fin. Jamaiselle ne trouverait le courage de la re<strong>com</strong>mencer. Puis, elle s'aperçut qu'elle était vêtuede soie; cet uniforme l'accablait, elle eut l'enfantillage, pour défaire sa malle, devouloir remettre sa vieille robe de laine, restée au dossier d'une chaise. Mais quandelle fut rentrée dans ce pauvre vêtement à elle, une émotion l'étrangla, les sanglotsqu'elle contenait depuis le matin crevèrent brusquement en un flot de larmes chau<strong>des</strong>.Elle était retombée sur le lit, elle pleurait au souvenir de ses deux enfants, elle pleuraittoujours sans avoir la force de se déchausser, ivre de fatigue et de tristesse.64

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