aidaient celui-ci à gouverner le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, quelque chose <strong>com</strong>me un conseilde ministres sous un roi absolu. Chacun d'eux veillait sur une province.Bourdoncle était chargé de la surveillance générale.- Et vous, reprit-il familièrement, avez-vous bien dormi ?Lorsque Mouret eut répondu qu'il ne s'était pas couché, il hocha la tête, en murmurant:- Mauvaise hygiène.- Pourquoi donc ? dit l'autre avec gaieté ! Je suis moins fatigué que vous, mon cher.Vous avez les yeux bouffis de sommeil, vous vous alourdissez, à être trop sage...Amusez-vous donc, ça vous fouettera les idées !C'était toujours leur dispute amicale. Bourdonde, au début, avait battu ses maîtresses,parce que, disait-il, elles l'empêchaient de dormir. Maintenant, il faisait profession dehaïr les femmes, ayant sans doute au-dehors <strong>des</strong> rencontres dont il ne parlait pas,tant elles tenaient peu de place dans sa vie, et se contentant au magasin d'exploiterles clientes, avec un grand mépris pour leur frivolité à se ruiner en chiffons imbéciles.Mouret, au contraire, affectait <strong>des</strong> extases, restait devant les femmes ravi et câlin,emporté continuellement dans de nouveaux amours; et ses coups de coeur étaient<strong>com</strong>me une réclame à sa vente, on eût dit qu'il enveloppait tout le sexe de la mêmecaresse, pour mieux l'étourdir et le garder à sa merci.- J'ai vu Mme Desforges, cette nuit, reprit-il. Elle était délicieuse à ce bal.- Ce n'est pas avec elle que vous avez soupé ensuite?demanda l'associé.Mouret se récria.- Oh! par exemple ! elle est très honnête, mon cher... Non, j'ai soupé avec Héloïse, lapetite <strong>des</strong> Folies. Bête <strong>com</strong>me une oie, mais si drôle ! Il prit un autre paquet de traiteset continua de signer.Bourdoncle marchait toujours à petits pas. Il alla jeter un coup d'oeil dans la rueNeuve-Saint-<strong>Au</strong>gustin, par les hautes glaces de la fenêtre, puis revint en disant :- Vous savez qu'elles se vengeront.- Qui donc? demanda Mouret, auquel la conversation échappait.- Mais les femmes.Alors, il s'égaya davantage, il laissa percer le fond de sa brutalité, sous son aird'adoration sensuelle. D'un haussement d'épaules, il parut déclarer qu'il les jetteraittoutes par terre, <strong>com</strong>me <strong>des</strong> sacs vi<strong>des</strong>, le jour où elles l'auraient aidé à bâtir safortune. Bourdoncle, entêté, répétait de son air froid :- Elles se vengeront... Il y en aura une qui vengera les autres, c'est fatal.- As pas peur ! cria Mouret en exagérant son accent provençal. Celle-là n'est pasencore née, mon bon. Et, si elle vient, vous savez...Il avait levé son porte-plume, il le brandissait, et il le pointa dans le vide, <strong>com</strong>me s'ileût voulu percer d'un couteau un coeur invisible. L'associé reprit sa marche, s'inclinant<strong>com</strong>me toujours devant la supériorité du patron, dont le génie plein de trous ledéconcertait pourtant. Lui, si net, si logique, sans passion, sans chute possible, enétait encore à <strong>com</strong>prendre le côté fille du succès, Paris se donnant dans un baiser auplus hardi.Un silence régna. On n'entendait que la plume de Mouret.Puis, sur <strong>des</strong> questions brèves posées par lui, Bourdoncle fournit <strong>des</strong> renseignementsau sujet de la grande mise en vente <strong>des</strong> nouveautés d'hiver, qui devait avoir lieu lelundi suivant. C'était une très grosse affaire, la maison y jouait sa fortune, car lesbruits du quartier avaient un fond de vérité, Mouret se jetait en poète dans laspéculation, avec un tel faste, un besoin tel du colossal, que tout semblait devoircraquer sous lui. Il y avait là un sens nouveau du négoce, une apparente fantaisie<strong>com</strong>merciale, qui autrefois inquiétait Mme Hédouin, et qui aujourd'hui encore, malgréde premiers succès, consternait parfois les intéressés. On blâmait à voix basse lepatron d'aller trop vite; on l'accusait d'avoir agrandi dangereusement les magasins,18
avant de pouvoir <strong>com</strong>pter sur une augmentation suffisante de la clientèle ; ontremblait surtout en le voyant mettre tout l'argent de la caisse sur un coup de cartes,emplir les <strong>com</strong>ptoirs d'un entassement de marchandises, sans garder un sou deréserve. Ainsi, pour cette mise en vente, après les sommes considérables payées auxmaçons, le capital entier se trouvait dehors : une fois de plus, il s'agissait de vaincreou de mourir.Et lui, au milieu de cet effarement, gardait une gaieté triomphante, une certitude <strong>des</strong>millions, en homme adoré <strong>des</strong> femmes, et qui ne peut être trahi. Lorsque Bourdonclese permit de témoigner certaines craintes, à propos du développement exagéré donnéà <strong>des</strong> rayons dont le chiffre d'affaires restait douteux, il eut un beau rire de confianceen criant :- Laissez donc, mon cher, la maison est trop petite !L'autre parut abasourdi, pris d'une peur qu'il ne cherchait plus à cacher. La maisontrop petite ! une maison de nouveautés où il y avait dix-neuf rayons, et qui <strong>com</strong>ptaitquatre cent trois employés !- Mais sans doute, reprit Mouret, nous serons forcés de nous agrandir avant dix-huitmois... J'y songe sérieusement. Cette nuit, Mme Desforges m'a promis de me fairerencontrer demain chez elle avec une personne... Enfin, nous en causerons, quandl'idée sera mûre.Et, ayant fini de signer les traites, il se leva, il vint donner <strong>des</strong> tapes amicales sur lesépaules de l'intéressé, qui se remettait difficilement. Cet effroi <strong>des</strong> gens prudents,autour de lui, l'amusait. Dans un <strong>des</strong> accès de brusque franchise, dont il accablaitparfois ses familiers, il déclara qu'il était au fond plus juif que tous les juifs du monde :il tenait de son père, auquel il ressemblait physiquement et moralement, un gaillardqui connaissait le prix <strong>des</strong> sous ; et, s'il avait de sa mère ce brin de fantaisie nerveuse,c'était là peut-être le plus clair de sa chance, car il sentait la force invincible de sagrâce à tout oser.- Vous savez bien qu'on vous suivra jusqu'au bout, finit par dire Bourdonde.Alors, avant de <strong>des</strong>cendre dans le magasin jeter leur coup d'oeil habituel, tous deuxréglèrent encore certains détails. Ils examinèrent le spécimen d'un petit cahier àsouches que Mouret venait d'inventer pour les notes de débit. Ce dernier, ayantremarqué que les marchandises démodées, les rossignols, s'enlevaient d'autant plusrapidement que la guelte donnée aux <strong>com</strong>mis était plus forte, avait basé sur cetteobservation un nouveau <strong>com</strong>merce. Il intéressait désormais ses vendeurs à la ventede toutes les marchandises, il leur accordait un tant pour cent sur le moindre boutd'étoffe, le moindre objet vendu par eux : mécanisme qui avait bouleversé lesnouveautés, qui créait entre les <strong>com</strong>mis une lutte pour l'existence, dont les patronsbénéficiaient. Cette lutte devenait du reste entre ses mains la formule favorite, leprincipe d'organisation qu'il appliquait constamment. Il lâchait les passions, mettait lesforces en présence, laissait les gros manger les petits, et s'engraissait de cette bataille<strong>des</strong> intérêts. Le spécimen du cahier fut approuvé : en haut, sur la souche et sur lanote à détacher, se trouvaient l'indication du rayon et le numéro du vendeur ; puis,répétées également <strong>des</strong> deux côtés, il y avait <strong>des</strong> colonnes pour le métrage, ladésignation <strong>des</strong> articles, les prix ; et le vendeur signait simplement la note, avant dela remettre au caissier. De cette façon, le contrôle était <strong>des</strong> plus faciles, il suffisait decollationner les notes remises par la caisse au bureau de défalcation, avec les souchesrestées entre les mains <strong>des</strong> <strong>com</strong>mis.Chaque semaine, ces derniers toucheraient ainsi leur tant pour cent et leur guelte,sans erreur possible.- Nous serons moins volés, fit remarquer Bourdoncle avec satisfaction. Vous avez eu làune idée excellente.- Et j'ai songé cette nuit à autre chose, expliqua Mouret.Oui, mon cher, cette nuit, à ce souper... J'ai envie de donner aux employés du bureaude défalcation une petite prime, pour chaque erreur qu'ils relèveront dans les notes de19
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