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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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- Moi, j'ai mon <strong>com</strong>pte... Mais je le tiens tout de même et je ne le lâche pas. Il aencore perdu en appel. Ah ! ça m'a coûté bon : près de deux ans de procès, et lesavoués, et les avocats !N'importe, il ne passera pas sous ma boutique, les juges ont décidé qu'un tel travailn'avait point le caractère d'une réparation motivée. Quand on pense qu'il parlait decréer, là-<strong>des</strong>sous, un salon de lumières, pour juger la couleur <strong>des</strong> étoffes au gaz, unepièce souterraine qui aurait relié la bonneterie à la draperie ! Et il ne dérange plus, ilne peut avaler qu'un vieux démoli de mon espèce lui barre la route, quand tout lemonde est à genoux devant son argent... Jamais ! je ne veux pas ! c'est bien entendu.Possible que je reste sur le carreau. Depuis que j'ai à me battre contre les huissiers, jesais que le gredin recherche mes créances, histoire sans doute de me jouer un vilaintour. Ça ne fait rien, il dit oui, je dis non, et je dirai non toujours; tonnerre de Dieu !même lorsque je serai cloué entre quatre planches, <strong>com</strong>me la petite qui s'en va, làbas.Quand on arriva au boulevard de Clichy, la voiture roula plus vite, on entenditl'essoufflement du monde, la hâte inconsciente du cortège, pressé d'en finir. Ce queBourras ne disait pas nettement, c'était la misère noire où il était tombé, la têteperdue dans les tracas du petit boutiquier qui sombre et qui s'entête pour durer, sousla grêle <strong>des</strong> protêts. Denise, au courant de sa situation, rompit enfin le silence, enmurmurant d'une voix de prière :- Monsieur Bourras, ne faites pas le méchant davantage...Laissez-moi arranger les choses.Il l'interrompit d'un geste violent.- Taisez-vous, ça ne regarde personne... Vous êtes une bonne petite fille, je sais quevous lui rendez la vie dure, à cet homme qui vous croyait à vendre <strong>com</strong>me mamaison. Mais que répondriez-vous, si je vous conseillais de dire oui ? Hein ? vousm'enverriez coucher... Eh bien ! lorsque je dis non, ne mettez pas votre nez làdedans.Et, la voiture s'étant arrêtée à la route du cimetière, il <strong>des</strong>cendit avec la jeune fille. Lecaveau <strong>des</strong> Baudu se trouvait dans la première allée, à gauche. En quelques minutes,la cérémonie fut terminée. Jean avait écarté l'oncle, qui regardait le trou d'un airbéant. La queue du cortège se répandait parmi les tombes voisines, tous les visagesde ces boutiquiers, appauvris de sang au fond de leurs rez-de-chaussée malsains,prenaient une laideur souffrante, sous le ciel couleur de boue. Quand le cercueil rouladoucement, <strong>des</strong> joues éraflées de couperose pâlirent, <strong>des</strong> nez s'abaissèrent pincésd'anémie, <strong>des</strong> paupières jaunes de bile, meurtries par les chiffres, se détournèrent.- Nous devrions tous nous coller dans ce trou, dit Bourras à Denise, qui était restéeprès de lui. Cette petite, c'est le quartier qu'on enterre... Oh! je me <strong>com</strong>prends,l'ancien <strong>com</strong>merce peut aller rejoindre ces roses blanches qu'on jette avec elle.Denise ramena son oncle et son frère, dans une voiture de deuil. La journée fut pourelle d'une tristesse noire. D'abord, elle <strong>com</strong>mençait à s'inquiéter de la pâleur de Jean ;et, quand elle eut <strong>com</strong>pris qu'il s'agissait d'une nouvelle histoire de femme, elle voulutle faire taire, en lui ouvrant sa bourse ; mais il secouait la tête, il refusait, c'étaitsérieux cette fois, la nièce d'un pâtissier très riche, qui n'acceptait pas même <strong>des</strong>bouquets de violettes. Ensuite, l'après-midi, lorsque Denise alla chercher Pépé chezMme Gras, celle-ci lui déclara qu'il devenait trop grand pour qu'elle le gardâtdavantage ; encore un tracas, il faudrait trouver un collège, éloigner l'enfant peutêtre.Et elle eut enfin, en menant Pépé embrasser les Baudu, l'âme déchirée par ladouleur morne du Vieil Elbeuf. La boutique était fermée, l'oncle et la tante se tenaientau fond de la petite salle, dont ils oubliaient d'allumer le gaz, malgré l'obscurité<strong>com</strong>plète de cette journée d'hiver. Il n'y avait plus qu'eux, ils demeuraient face à face,dans la maison vidée lentement par la ruine ; et la mort de leur fille creusaitdavantage les coins de ténèbres, était <strong>com</strong>me le craquement suprême qui allait fairese rompre les vieilles poutres mangées d'humidité. Sous cet écrasement, l'oncle, sans202

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