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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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argent. - Vous savez que ces messieurs ont réclamé, dit la lingère délicate, et que ladirection a promis...On l'interrompit avec <strong>des</strong> rires, on ne causa plus que de la direction. Toutes prenaientdu café, sauf Denise, qui ne pouvait le supporter, disait-elle. Et elles s'attardèrentdevant leurs tasses, les lingères en laine, d'une simplicité de petites bourgeoises, lesconfectionneuses en soie, la serviette au menton pour ne pas attraper de taches,pareilles à <strong>des</strong> dames qui seraient <strong>des</strong>cendues manger à l'office, avec leurs femmes dechambre. On avait ouvert le châssis vitré du soupirail, afin de changer l'air étouffant etempesté ; mais il fallut le refermer tout de suite, les roues <strong>des</strong> fiacres semblaientpasser sur la table.- Chut ! souffla Pauline, voici cette vieille bête !C'était l'inspecteur Jouve. Il rôdait ainsi volontiers, vers la fin <strong>des</strong> repas, du côté deces demoiselles. D'ailleurs, il avait la surveillance de leurs salles. Les yeux souriants, ilentrait, faisait le tour de la table ; quelquefois même, il causait, voulait savoir si ellesavaient déjeuné de bon appétit. Mais, <strong>com</strong>me il les inquiétait et les ennuyait, toutes sehâtaient de fuir. Bien que la cloche n'eût pas sonné, Clara disparut la première;d'autres la suivirent. Il ne resta bientôt plus que Denise et Pauline. Celle-ci, aprèsavoir bu son café, achevait ses pastilles de chocolat.- Tiens ! dit-elle en se levant, je vais envoyer un garçon me chercher <strong>des</strong> oranges...Venez-vous ?- Tout à l'heure, répondit Denise, qui mordillait une croûte, résolue à demeurer ladernière, de façon à pouvoir aborder Robineau, quand elle remonterait.Cependant, lorsqu'elle fut seule avec Jouve, elle ressentit un malaise ; et, contrariée,elle quitta enfin la table. Mais, en la voyant se diriger vers la porte, il lui barra lepassage :- Mademoiselle Baudu...Debout devant elle, il souriait d'un air paterne. Ses grosses moustaches grises, sescheveux taillés en brosse, lui donnaient une grande honnêteté militaire. Et il poussaiten avant sa poitrine, où s'étalait son ruban rouge.- Quoi donc, monsieur Jouve ? demanda-t-elle rassurée.- Je vous ai encore aperçue, ce matin, causant là-haut, derrière les tapis. Vous savezque c'est contraire au règlement, et si je faisais mon rapport... Elle vous aime doncbien, votre amie Pauline ?Ses moustaches remuèrent, une flamme incendia son nez énorme, un nez creux etrecourbé, aux appétits de taureau.- Hein? qu'avez-vous, toutes les deux, pour vous aimer <strong>com</strong>me ça ?Denise, sans <strong>com</strong>prendre, était reprise de malaise. Il s'approchait trop, il lui parlaitdans la figure.- C'est vrai, nous causions, monsieur Jouve, balbutia-t-elle, mais il n'y a pas grandmal à causer un peu... Vous êtes bien bon pour moi, merci tout de même.- Je ne devrais pas être bon, dit-il. La justice, je ne connais que ça... Seulement,quand on est si gentille...Et il s'approchait encore. Alors, elle eut tout à fait peur. Les paroles de Pauline luirevenaient à la mémoire, elle se rappelait les histoires qui couraient, <strong>des</strong> vendeusesterrorisées par le père Jouve, achetant sa bienveillance. <strong>Au</strong> magasin, d'ailleurs, il secontentait de petites privautés, claquait doucement de ses doigts enflés les joues <strong>des</strong>demoiselles <strong>com</strong>plaisantes, leur prenait les mains, puis les gardait, <strong>com</strong>me s'il lesavait oubliées dans les siennes. Cela restait paternel, et il ne lâchait le taureau quedehors, lorsqu'on voulait bien accepter <strong>des</strong> tartines de beurre, chez lui, rue <strong>des</strong>Moineaux.- Laissez-moi, murmura la jeune fille en reculant.- Voyons, disait-il, vous n'allez pas faire la sauvage avec un ami qui vous ménagetoujours. Soyez aimable, venez ce soir tremper une tartine dans une tasse de thé.C'est de bon coeur.93

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