taille; on désespérait de la sauver elle-même. Cependant, Bourdoncle regardait leteint de Pauline se plomber, tandis qu'il lui trouvait une raideur dans la démarche. Unmatin, il était près d'elle, aux trousseaux, quand un garçon de magasin, qui enlevaitun paquet, la heurta d'un tel coup, qu'elle porta les deux mains à son ventre, enpoussant un cri. Tout de suite, il l'emmena, la confessa, soumit au conseil la questionde son renvoi, sous le prétexte qu'elle avait besoin du bon air de la campagne:l'histoire du coup allait se répandre, l'effet serait désastreux sur le public, si elle faisaitune fausse couche, <strong>com</strong>me il y en avait eu déjà une aux layettes, l'année précédente.Mouret, qui n'assistait pas à ce conseil, ne put donner son avis que le soir. Mais Deniseavait eu le temps d'intervenir, et il ferma la bouche de Bourdoncle au nom <strong>des</strong> intérêtsmêmes de la maison. On voulait donc ameuter les mères, froisser les jeunesaccouchées de la clientèle ? Pompeusement, il fut décidé que toute vendeuse mariéequi deviendrait enceinte, serait mise chez une sage-femme spéciale, dès que saprésence au <strong>com</strong>ptoir blesserait les bonnes moeurs.Le lendemain, lorsque Denise monta voir à l'infirmerie Pauline, qui avait dû s'aliter à lasuite du coup reçu, celle-ci l'embrassa violemment sur les deux joues.- Que vous êtes gentille ! Sans vous, ils me jetaient dehors...Et ne vous inquiétez pas, le médecin affirme que ce ne sera rien.Baugé, échappé de son rayon, était là, de l'autre côté du lit.Il balbutiait aussi <strong>des</strong> remerciements, troublé devant Denise, qu'il traitait maintenanten personne arrivée et d'une classe supérieure. Ah! s'il entendait encore <strong>des</strong> saletéssur son <strong>com</strong>pte, c'était lui qui fermerait le bec <strong>des</strong> jaloux! Mais Pauline le renvoya, enhaussant amicalement les épaules.- Mon pauvre chéri, tu ne dis que <strong>des</strong> bêtises... Tiens! laisse-nous causer.L'infirmerie était une longue pièce claire, où douze lits s'alignaient, avec leurs rideauxblancs. On y soignait les <strong>com</strong>mis logés dans la maison, lorsqu'ils ne témoignaient pasle désir de rejoindre leurs familles. Mais, ce jour-là, Pauline seule s'y trouvait couchée,près d'une <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> fenêtres, qui ouvraient sur la rue Neuve-Saint-<strong>Au</strong>gustin. Et lesconfidences, les paroles tendres et chuchotées vinrent tout de suite, au milieu de ceslinges candi<strong>des</strong>, dans cet air assoupi, parfumé d'une vague odeur de lavande.- Il fait donc quand même ce que vous voulez?...Comme vous êtes dure, de lui causer tant de peine ! Voyons, expliquez-moi ça,puisque j'ose aborder ce sujet. Vous le détestez ?Elle avait gardé la main de Denise, assise près du lit, accoudée au traversin ; et cettedernière, gagnée par une soudaine émotion, les joues envahies de rougeur, eut unefaiblesse, à cette question directe et inattendue. Son secret lui échappa, elle cacha latête dans l'oreiller, en murmurant :- Je l'aime !Pauline restait stupéfaite.- Comment ! vous l'aimez ? Mais, c'est bien simple : dites oui.Denise, le visage toujours caché, répondait non d'un branle énergique de la tête. Etelle disait non, justement parce qu'elle l'aimait, sans expliquer cela. Certainement,c'était ridicule ; mais elle sentait ainsi, elle ne pouvait se refaire. La surprise de sonamie augmentait, elle demanda enfin :- Alors, tout ça, c'est pour en arriver à ce qu'il vous épouse ?Du coup, la jeune fille se redressa. Elle était bouleversée.- Lui, m'épouser ! oh ! non, oh! je vous jure que je n'ai jamais voulu une pareillechose !... Non, jamais un tel calcul n'est entré dans ma tête, et vous savez que j'aihorreur du mensonge !- Dame ! ma chère, reprit doucement Pauline, vous aurez l'idée de vous faire épouser,que vous ne vous y prendriez pas autrement... Il faudra bien que ça finisse, et il n'y aencore que le mariage, puisque vous ne voulez point de l'autre affaire...194
Écoutez, je dois vous prévenir que tout le monde a la même pensée : oui, on estpersuadé que vous lui tenez la dragée haute pour le mener devant M. le maire... MonDieu ! quelle drôle de femme vous êtes !Et elle dut consoler Denise, qui était retombée la tête sur le traversin, sanglotant,répétant qu'elle finirait par s'en aller, puisqu'on lui prêtait sans cesse toutes sortesd'histoires, qui ne pouvaient seulement lui entrer dans le crâne. Sans doute, quand unhomme aimait une femme, il devait l'épouser. Mais elle ne demandait rien, elle necalculait rien, elle suppliait seulement qu'on la laissât vivre tranquille, avec seschagrins et ses joies, <strong>com</strong>me tout le monde. Elle s'en irait.A la même minute, en bas, Mouret traversait les magasins.Il avait voulu s'étourdir en visitant les travaux une fois encore.Des mois s'étaient écoulés, la façade dressait maintenant ses lignes monumentales,derrière la vaste chemise de planches qui la cachait au public. Toute une armée dedécorateurs se mettaient à l'oeuvre : <strong>des</strong> marbriers, <strong>des</strong> faïenciers, <strong>des</strong> mosaïstes ; ondorait le groupe central, au-<strong>des</strong>sus de la porte, tandis que, sur l'acrotère, on scellaitdéjà les pié<strong>des</strong>taux qui devaient recevoir les statues <strong>des</strong> villes manufacturières de laFrance. Du matin au soir, le long de la rue du Dix-Décembre, ouverte depuis peu,stationnait une foule de badauds, le nez en l'air, ne voyant rien, mais préoccupés <strong>des</strong>merveilles qu'on se racontait de cette façade dont l'inauguration allait révolutionnerParis. Et c'était sur ce chantier enfiévré de travail, au milieu <strong>des</strong> artistes achevant laréalisation de son rêve, <strong>com</strong>mencée par les maçons, que Mouret venait de sentir plusamèrement que jamais la vanité de sa fortune. La pensée de Denise lui avaitbrusquement serré la poitrine, cette pensée qui, sans relâche, le traversait d'uneflamme, <strong>com</strong>me l'élancement d'un mal inguérissable. Il s'était enfui, il n'avait pastrouvé un mot de satisfaction, craignant de montrer ses larmes, laissant derrière lui ledégoût du triomphe. Cette façade, qui se trouvait debout enfin, lui semblait petite,pareille à un de ces murs de sable que les gamins bâtissent, et l'on aurait pu laprolonger d'un faubourg de la cité à l'autre, l'élever jusqu'aux étoiles, elle n'aurait pasrempli le vide de son coeur, que le seul " oui " d'une enfant pouvait <strong>com</strong>bler.Lorsque Mouret rentra dans son cabinet, il étouffait de sanglots contenus. Que voulaitelledonc ? il n'osait plus lui offrir de l'argent, l'idée confuse d'un mariage se levait, aumilieu de ses révoltes de jeune veuf. Et, dans l'énervement de son impuissance, seslarmes coulèrent. Il était malheureux.195
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lentement au milieu des commis resp
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Mais elles le pressaient de questio
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la reconnut, occupée à débarrass
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descendirent à Joinville, passère
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pair, il couchait au magasin, où i
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père tuerait sans cela. Alors, com
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Mais ce qui parut toucher ces messi
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argent. - Vous savez que ces messie
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Jean recommençait :- Le mari qui a
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commissionnaire ; mais chez qui la
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Il brandissait son outil, ses cheve
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va avec tout le monde, elle se moqu
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