augmentations. Après leur sortie du magasin, ils vivaient surtout au Café Saint-Roch.Vide de clients pendant le jour, ce café s'emplissait vers huit heures et demi d'un flotdébordant d'employés de <strong>com</strong>merce, le flot lâché à la rue par la haute porte de laplace Gaillon. Dès lors, éclataient un bruit assourdissant de dominos, <strong>des</strong> rires, <strong>des</strong>voix glapissantes, au milieu de la fumée épaisse <strong>des</strong> pipes. La bière et le cafécoulaient. Dans le coin de gauche, Liénard demandait <strong>des</strong> choses chères, tandis queDeloche se contentait d'un bock, qu'il mettait quatre heures à boire. C'était là quecelui-ci avait entendu Favier, à une table voisine, raconter <strong>des</strong> abominations surDenise, la façon dont elle avait " fait " le patron, en se retroussant, quand elle montaitun escalier devant lui. Il s'était retenu de le gifler. Puis, <strong>com</strong>me l'autre continuait,disait que la petite <strong>des</strong>cendait chaque nuit retrouver son amant, il l'avait traité dementeur, fou de colère.- Quel sale individu !... Il ment, entendez-vous !Et, dans l'émotion qui le secouait, il lâchait <strong>des</strong> aveux, la voix bégayante, vidant soncoeur.- Je la connais, je le sais bien... Elle n'a jamais eu de l'amitié que pour un homme :oui, pour M. Hutin, et encore il ne s'en est pas aperçu, il ne peut même pas se vanterde l'avoir touchée du bout <strong>des</strong> doigts.Le récit de cette querelle, grossi, dénaturé, égayait déjà le magasin, lorsque l'histoirede la lettre de Mouret circula.Justement, ce fut à un vendeur de la soie que Liénard confia d'abord la nouvelle. Chezles soyeux, l'inventaire fonctionnait rondement. Favier et deux <strong>com</strong>mis, sur <strong>des</strong>escabeaux, vidaient les casiers, passaient au fur et à mesure les pièces d'étoffe àHutin, qui, debout au milieu d'une table, criait les chiffres, après avoir consulté lesétiquettes ; et il jetait ensuite les pièces parterre, elles en<strong>com</strong>braient peu à peu leparquet, elles montaient <strong>com</strong>me une marée d'automne. D'autres employés écrivaient,Albert Lhomme aidait ces messieurs, le teint brouillé par une nuit blanche, passéedans un bastringue de la Chapelle. Une nappe de soleil tombait <strong>des</strong> vitres du hall, quilaissaient voir le bleu ardent du ciel.- Tirez donc les stores ! criait Bouthemont, très occupé à surveiller la besogne. Il estinsupportable, ce soleil !Favier, en train de se hausser pour atteindre une pièce, grogna sourdement :- S'il est permis d'enfermer le monde par ce temps superbe !Pas de danger qu'il pleuve, un jour d'inventaire !... Et l'on vous tient sous les verrous<strong>com</strong>me <strong>des</strong> galériens, lorsque tout Paris se promène !Il passa la pièce à Hutin. Sur l'étiquette, le métrage était porté, diminué à chaquevente de la quantité vendue ; ce qui simplifiait beaucoup le travail. Le second cria :- Soie de fantaisie, petits carreaux, vingt et un mètres, à six francs cinquante !Et la soie alla grossir le tas, par terre. Puis, il continua une conversation <strong>com</strong>mencée,en disant à Favier :- Alors, il a voulu vous battre ?- Mais oui. Je buvais tranquillement mon bock... Ça valait bien la peine de démentir, lapetite vient de recevoir une lettre du patron, qui l'invite à dîner... Toute la boîte encause.- Comment ! ce n'était pas fait !Favier lui tendait une nouvelle pièce.- N'est-ce pas ? on en aurait mis la main au feu. Ça semblait déjà un vieux collage.- Idem, vingt-cinq mètres ! lança Hutin.On entendit le coup sourd de la pièce, tandis qu'il ajoutait plus bas :- Vous savez qu'elle a fait la vie chez ce vieux toqué de Bourras.Maintenant, tout le rayon s'égayait, sans que la besogne en fût interrompue pourtant.On se murmurait le nom de la jeune fille, les dos s'enflaient, les nez tournaient à lafriandise.154
Bouthemont lui-même, que les histoires gaillar<strong>des</strong> épanouissaient, ne put se tenir delâcher une plaisanterie, dont le mauvais goût le fit éclater d'aise. Albert, réveillé, juraavoir vu la seconde <strong>des</strong> confections entre deux militaires, au Gros-Caillou.Justement, Mignot <strong>des</strong>cendait, avec les vingt francs qu'il venait d'emprunter ; et ils'était arrêté, il coulait dix francs dans la main d'Albert, en lui donnant rendez-vouspour le soir, une noce projetée, entravée par le manque d'argent, possible enfin,malgré la médiocrité de la somme. Mais le beau Mignot, lorsqu'il apprit l'envoi de lalettre, eut une réflexion si grossière, que Bouthemont se vit forcé d'intervenir.- En voilà assez, messieurs. Ça ne nous regarde pas...Allez, allez donc, monsieur Hutin.- Soie de fantaisie, petits carreaux, trente-deux mètres, à six francs cinquante ! criace dernier.Les plumes marchaient de nouveau, les paquets tombaient régulièrement, la mared'étoffes montait toujours, <strong>com</strong>me si les eaux d'un fleuve s'y fussent déversées. Etl'appel <strong>des</strong> soies de fantaisie ne cessait pas, Favier, à demi-voix, fit alors remarquerque le stock serait joli : la direction allait être contente, cette grosse bête deBouthemont était peut-être le premier acheteur de Paris, mais <strong>com</strong>me vendeur onn'avait jamais vu un pareil sabot. Hutin souriait, enchanté, approuvant d'un regardamical ; car, après avoir lui-même introduit jadis Bouthemont au <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>,pour en chasser Robineau, il le minait à son tour, dans le but obstiné de lui prendre saplace. C'était la même guerre qu'autrefois, <strong>des</strong> insinuations perfi<strong>des</strong> glissées à l'oreille<strong>des</strong> chefs, <strong>des</strong> excès de zèle afin de se faire valoir, toute une campagne menée avecune sournoiserie affable.Cependant, Favier, auquel Hutin témoignait une nouvelle con<strong>des</strong>cendance, le regardaiten <strong>des</strong>sous, maigre et froid, la bile au visage, <strong>com</strong>me s'il eût <strong>com</strong>pté les bouchéesdans ce petit homme trapu, ayant l'air d'attendre que le camarade eût mangéBouthemont, pour le manger ensuite. Lui, espérait avoir la place de second, si l'autreobtenait celle de chef de <strong>com</strong>ptoir. Puis, on verrait. Et tous deux, pris de la fièvre quibattait d'un bout à l'autre <strong>des</strong> magasins, causaient <strong>des</strong> augmentations probables, sanscesser d'appeler le stock <strong>des</strong> soies de fantaisie: on prévoyait que Bouthemont irait àses trente mille francs, cette année-là ; Hutin dépasserait dix mille ; Favier estimaitson fixe et son tant pour cent à cinq mille cinq cents.Chaque saison, les affaires du <strong>com</strong>ptoir augmentaient, les vendeurs y montaient engrade et y doublaient leurs sol<strong>des</strong>, <strong>com</strong>me <strong>des</strong> officiers en temps de campagne.- Ah çà, est-ce que ce n'est pas fini, ces petites soies?dit brusquement Bouthemont, l'air agacé. <strong>Au</strong>ssi quel fichu printemps, toujours de l'eau! On n'a acheté que <strong>des</strong> soies noires.Sa grosse figure rieuse se rembrunissait, il regardait le tas s'élargir par terre, tandisque Hutin répétait plus haut, d'une voix sonore, où perçait le triomphe :- Soie de fantaisie, petits carreaux, vingt-huit mètres, à six francs cinquante !Il y en avait encore tout un casier. Favier, les bras rompus, y mettait de la lenteur.Comme il donnait pourtant les dernières pièces à Hutin, il reprit à voix basse :- Dites donc, j'oubliais... Vous a-t-on raconté que la seconde <strong>des</strong> confections a eu unetoquade pour vous ?Le jeune homme parut très surpris.- Tiens ! <strong>com</strong>ment ça ?- Oui, c'est ce grand serin de Deloche qui nous a fait la confidence... Je me souviens,autrefois, quand elle vous reluquait.Depuis qu'il était second, Hutin avait lâché les chanteuses de café-concert et affichait<strong>des</strong> institutrices. Très flatté au fond, il répondit d'un air de mépris :- Je les aime plus étoffées, mon cher, et puis on ne va pas avec tout le monde, <strong>com</strong>mele patron.Il s'interrompit, il cria :- Poult de soie blanc, trente-cinq mètres, à huit francs soixante-quinze!155
- Page 3 and 4:
en guirlandes; puis, c'était, à p
- Page 5 and 6:
ils faisaient leur entrée avec une
- Page 7 and 8:
Il fallut un instant à Denise, pou
- Page 9 and 10:
coeur, ses yeux retournaient toujou
- Page 11 and 12:
cette fente étroite, au fond de la
- Page 13 and 14:
En parlant, ses yeux faisaient le t
- Page 15 and 16:
ez-de-chaussée, blanc de salpêtre
- Page 17 and 18:
Il était aussi timide qu'elle, il
- Page 19 and 20:
avant de pouvoir compter sur une au
- Page 21 and 22:
négoce provincial, indigné de voi
- Page 23 and 24:
parmi ces paquets, après avoir con
- Page 25 and 26:
lentement au milieu des commis resp
- Page 27 and 28:
sentait perdue, toute petite dans l
- Page 29 and 30:
exaspérée de se sentir des épaul
- Page 31 and 32:
chez nous pour être accueillie...
- Page 33 and 34:
Elle le regardait, elle songeait qu
- Page 35 and 36:
tendre et si gaie d'ameublement, s'
- Page 37 and 38:
- C'est mon seul plaisir, de bâill
- Page 39 and 40:
allaient rester debout. Et il flair
- Page 41 and 42:
Et les voix tombèrent, ne furent p
- Page 43 and 44:
Mais elles le pressaient de questio
- Page 45 and 46:
- Il y avait aussi ce mouchoir... D
- Page 47 and 48:
là, tout un coin de consommation l
- Page 49 and 50:
l'uniformité imposée de leur toil
- Page 51 and 52:
secousse; elle rougit, elle se sent
- Page 53 and 54:
nouvelle cliente se présenta, inte
- Page 55 and 56:
- Je ne vous fais pas de mal, madam
- Page 57 and 58:
Et elle s'en alla, précédée du v
- Page 59 and 60:
ataille du négoce montait, les ven
- Page 61 and 62:
la reconnut, occupée à débarrass
- Page 63 and 64:
- Ma pauvre fille, ne soyez donc pa
- Page 65 and 66:
VLe lendemain, Denise était descen
- Page 67 and 68:
unique refuge, le seul endroit où
- Page 69 and 70:
sympathie des deux vendeuses avait
- Page 71 and 72:
gentil, chez lequel elle passait to
- Page 73 and 74:
Tous n'étaient plus que des rouage
- Page 75 and 76:
Et ce fut Denise qui souffrit de l'
- Page 77 and 78:
descendirent à Joinville, passère
- Page 79 and 80:
- Avec ça que vous êtes bien, au
- Page 81 and 82:
pair, il couchait au magasin, où i
- Page 83 and 84:
coup de hache. Tout lui devenait pr
- Page 85 and 86:
père tuerait sans cela. Alors, com
- Page 87 and 88:
Elle le regarda fixement, du regard
- Page 89 and 90:
Beaucoup, en avalant de grosses bou
- Page 91 and 92:
Mais ce qui parut toucher ces messi
- Page 93 and 94:
argent. - Vous savez que ces messie
- Page 95 and 96:
Jean recommençait :- Le mari qui a
- Page 97 and 98:
s'imposer, quand personne ne l'aima
- Page 99 and 100:
commissionnaire ; mais chez qui la
- Page 101 and 102:
l'argent, des robes, une belle cham
- Page 103 and 104: Il brandissait son outil, ses cheve
- Page 105 and 106: out d'un mois, Denise faisait parti
- Page 107 and 108: - Oh! j'en souffre toujours... Pour
- Page 109 and 110: Pauline, dans une de ces rencontres
- Page 111 and 112: - Monsieur, je ne puis pas... Je vo
- Page 113 and 114: - Vous entendez, monsieur Baudu ? r
- Page 115 and 116: Après le potage, dès que la bonne
- Page 117 and 118: - Non, non, restez... Oh ! que mama
- Page 119 and 120: coup de vent, un nuage de plâtre s
- Page 121 and 122: on n'avait jamais vu ça, des commi
- Page 123 and 124: - Plus tard, répondit-il, lorsque
- Page 125 and 126: va avec tout le monde, elle se moqu
- Page 127 and 128: IXUn lundi, 14 mars, le Bonheur des
- Page 129 and 130: à une émeute; et il obtenait cet
- Page 131 and 132: avait calculé juste : toutes les m
- Page 133 and 134: Mme de Boves restait dédaigneuse.
- Page 135 and 136: M. de Boves et Paul de Vallagnosc e
- Page 137 and 138: - Comment ! madame, vous vous êtes
- Page 139 and 140: Et, nerveusement, enchanté d'avoir
- Page 141 and 142: L'autre, surprise, regarda Clara, p
- Page 143 and 144: Edmond portait une collection de pe
- Page 145 and 146: avaient pris leur vol dans l'air ch
- Page 147 and 148: XLe premier dimanche d'août, on fa
- Page 149 and 150: - Non, non, laissez-moi, bégayait
- Page 151 and 152: - C'est ce que je lui ai dit, décl
- Page 153: - Un peu plus bas, mademoiselle. No
- Page 157 and 158: - Poulet, dit Mignot derrière lui.
- Page 159 and 160: Il reposa son verre gauchement, il
- Page 161 and 162: Il la suivit dans la pièce voisine
- Page 163 and 164: - Je veux, je veux, répétait-il a
- Page 165 and 166: Ils parlaient de Mouret. L'année p
- Page 167 and 168: Au temps de leur grande intimité,
- Page 169 and 170: légères, tout ce luxe aimable la
- Page 171 and 172: - Pourquoi pas ? dit Mouret naïvem
- Page 173 and 174: à contenter. Heureuse de rabaisser
- Page 175 and 176: Comme il se sentait tout secoué en
- Page 177 and 178: - Pourquoi donc, madame ? Est-ce qu
- Page 179 and 180: Jouve, en effet, sortait des dentel
- Page 181 and 182: Le cas lui semblait impossible, cet
- Page 183 and 184: Non toujours, dans tous les comptoi
- Page 185 and 186: sortis le soir sous la redingote, r
- Page 187 and 188: - J'avais six ans, ma mère m'emmen
- Page 189 and 190: Elle le suivit, ils descendirent de
- Page 191 and 192: femme morte prononcer la phrase, un
- Page 193 and 194: des maux endurés, si convaincue, l
- Page 195 and 196: Écoutez, je dois vous prévenir qu
- Page 197 and 198: - Le père est là-haut, reprit Mme
- Page 199 and 200: d'elle une rencontre de temps à au
- Page 201 and 202: Honoré au cimetière Montmartre. O
- Page 203 and 204: pouvoir s'arrêter, marchait toujou
- Page 205 and 206:
s'expliquait avec des gestes exasp
- Page 207 and 208:
avaient déjà battu le quartier, l
- Page 209 and 210:
la vente faite par le syndic; de so
- Page 211 and 212:
Denise elle-même était gagnée pa
- Page 213 and 214:
D'abord, au premier plan de cette g
- Page 215 and 216:
- Mon Dieu ! oui, j'ai voulu me ren
- Page 217 and 218:
elle se remettait en marche, il lui
- Page 219 and 220:
Justement, lorsque Bourdonde, ce jo
- Page 221 and 222:
- Montez à mon cabinet, après la
- Page 223 and 224:
les doigts de la couturière, le pa
- Page 225 and 226:
- Peut-être bien qu'elle se remari
- Page 227 and 228:
de l'appareil. Enfin, elles arrivè
- Page 229 and 230:
- Je sais, je sais, madame, répét
- Page 231 and 232:
faire un scandale... Que diable ! t
- Page 233 and 234:
Frémissant comme un jeune homme qu
- Page 235:
www.livrefrance.com235