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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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s'expliquait avec <strong>des</strong> gestes exaspérés, la gorge étranglée d'une colère croissante. -On n'a pas idée... Qui est-ce qui m'a fichu un particulier pareil ? Il était là <strong>com</strong>me chezlui. J'ai crié, et le voilà qui se fout sous les roues !Alors, un ouvrier, un peintre en bâtiment, accouru avec son pinceau d'une devanturevoisine, dit d'une voix aiguë, au milieu <strong>des</strong> clameurs :- Ne te fais donc pas de bile ! Je l'ai vu, il s'est collé <strong>des</strong>sous, parbleu!... Tiens ! il apiqué une tête <strong>com</strong>me ça. Encore un qui s'embêtait, faut croire !D'autres voix s'élevèrent, on tombait d'accord sur l'idée d'un suicide, pendant que lesergent de ville verbalisait. Des dames, toutes pâles, <strong>des</strong>cendaient vivement,emportaient, sans se retourner, l'horreur de la secousse molle dont l'omnibus leuravait remué les entrailles, en passant sur le corps. Cependant, Denise s'approcha,attirée par la pitié active, qui la faisait se mêler de tous les accidents, <strong>des</strong> chiensécrasés, <strong>des</strong> chevaux abattus, <strong>des</strong> couvreurs tombés <strong>des</strong> toits. Et, sur le pavé, ellereconnut le malheureux, évanoui, la redingote souillée de boue.- C'est M. Robineau! cria-t-elle, dans son douloureux étonnement.Tout de suite, le sergent de ville interrogea cette jeune fille.Elle donna le nom, la profession, l'adresse. Grâce à l'énergie du cocher, l'omnibusavait fait un crochet, et les jambes seules de Robineau s'étaient trouvées engagéessous les roues.Seulement, il y avait à craindre qu'elles ne fussent rompues l'une et l'autre. Quatrehommes de bonne volonté transportèrent le blessé chez un pharmacien de la rueGaillon, pendant que l'omnibus reprenait lentement sa marche.- Nom de Dieu ! dit le cocher en enveloppant ses chevaux d'un coup de fouet, j'ai faitma journée.Denise avait suivi Robineau chez le pharmacien. Celui-ci, dans l'attente d'un médecin,qu'on ne pouvait trouver, déclarait qu'il n'y avait aucun danger immédiat et que lemieux était de porter le blessé à son domicile, puisqu'il habitait le voisinage. Unhomme était allé au poste de police demander un brancard. Alors, la jeune fille conçutla bonne pensée de partir en avant, afin de préparer Mme Robineau à ce coup affreux.Mais elle eut toutes les peines du monde à gagner la rue, au travers de la foule, quis'écrasait devant la porte. Cette foule, avide de mort, augmentait de minute en minute; <strong>des</strong> enfants, <strong>des</strong> femmes, se haussaient, tenaient bon dans les poussées brutales ;et chaque nouveau venu inventait son accident, c'était à cette heure un mari quel'amant de sa femme avait jeté par la fenêtre. Rue Neuve-<strong>des</strong>-Petits-Champs, Deniseaperçut de loin Mme Robineau sur la porte de la spécialité de soies. Cela lui donna unprétexte pour s'arrêter, et elle causa un instant, en cherchant une façon d'amortir laterrible nouvelle. Le magasin sentait le désordre et l'abandon <strong>des</strong> luttes dernières,dans un <strong>com</strong>merce qui se meurt. C'était le dénouement prévu de la grande bataille<strong>des</strong> deux soies rivales, le Paris-<strong>Bonheur</strong> avait écrasé la concurrence, à la suite d'unenouvelle baisse de cinq centimes : il ne se vendait plus que quatre francs quatrevingt-quinze,la soie de Gaujean avait trouvé son Waterloo. Depuis deux mois,Robineau, réduit aux expédients, menait une vie d'enfer, pour empêcher unedéclaration de faillite.- J'ai vu passer votre mari sur la place Gaillon, murmura Denise, qui avait fini parentrer dans la boutique.Mme Robineau, dont une sourde inquiétude semblait ramener continuellement lesregards vers la rue, dit vivement :- Ah ! tout à l'heure, n'est-ce pas ?... Je l'attends, il devrait être ici. Ce matin, M.Gaujean est venu, et ils sont sortis ensemble.Elle était toujours charmante, délicate et gaie ; mais une grossesse avancée déjà lafatiguait, elle restait plus effarée, plus dépaysée que jamais, dans ces affaires,auxquelles sa nature tendre ne mordait pas, et qui tournaient mal. Comme elle lerépétait souvent, pourquoi donc tout ça ? ne serait-ce pas plus gentil de vivretranquille, au fond d'un petit logement, où l'on ne mangerait que du pain ?205

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