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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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- Non, monsieur, rien encore, affirmait l'inspecteur.C'était surtout avec Deloche que Bourdoncle <strong>com</strong>ptait surprendre Denise. Un matin,lui-même les avait aperçus en train de rire dans le sous-sol. En attendant, il traitait lajeune fille de puissance à puissance, car il ne la dédaignait plus, il la sentait assezforte pour le culbuter lui-même, malgré ses dix ans de service, s'il perdait la partie.- Je vous re<strong>com</strong>mande le jeune homme <strong>des</strong> dentelles, concluait-il chaque fois. Ils sonttoujours ensemble. Si vous les pincez, appelez-moi, et je me charge du reste.Mouret, cependant, vivait dans l'angoisse. Etait-ce possible ?cet enfant le torturait à ce point! Toujours il la revoyait arrivant au <strong>Bonheur</strong>, avec sesgros souliers, sa mince robe noire, son air sauvage. Elle bégayait, tous se moquaientd'elle, lui-même l'avait trouvée laide d'abord..Laide ! et, maintenant, elle l'aurait faitmettre à genoux d'un regard, il ne l'apercevait plus que dans un rayonnement ! Puis,elle était restée la dernière de la maison, rebutée, plaisantée, traitée par lui en bêtecurieuse. Pendant <strong>des</strong> mois, il avait voulu voir <strong>com</strong>ment une fille poussait, il s'étaitamusé à cette expérience, sans <strong>com</strong>prendre qu'il y jouait son coeur. Elle, peu à peu,grandissait, devenait redoutable. Peut-être l'aimait-il depuis la première minute,même à l'époque où il ne croyait avoir que de la pitié.Et, pourtant, il ne s'était senti à elle que le soir de leur promenade, sous lesmarronniers <strong>des</strong> Tuileries. Sa vie partait de là, il entendait les rires d'un groupe defillettes, le ruissellement lointain d'un jet d'eau, tandis que, dans l'ombre chaude, ellemarchait près de lui, silencieuse. Ensuite, il ne savait plus, sa fièvre avait augmentéd'heure en heure, tout son sang, tout son être s'était donné. Une enfant pareille, étaitcepossible ?Quand elle passait à présent, le vent léger de sa robe lui paraissait si fort, qu'ilchancelait.Longtemps, il s'était révolté, et parfois encore, il s'indignait, il voulait se dégager decette possession imbécile. Qu'avait-elle donc pour le lier ainsi ? ne l'avait-il pas vuesans chaussures ?n'était-elle pas entrée presque par charité ? <strong>Au</strong> moins, s'il se fût agi d'une de cescréatures superbes qui ameutent la foule !mais cette petite fille, cette rien du tout ! Elle avait, en somme, une de ces figuresmoutonnières dont on ne dit rien. Elle ne devait même pas être d'une intelligence vive,car il se rappelait ses mauvais débuts de vendeuse. Puis, après chacune de sescolères, il y avait en lui une rechute de passion, <strong>com</strong>me une terreur sacrée d'avoirinsulté son idole. Elle apportait tout ce qu'on trouve de bon chez la femme, le courage,la gaieté, la simplicité ; et, de sa douceur, montait un charme, d'une subtilitépénétrante de parfum. On pouvait ne pas la voir, la coudoyer ainsi que la premièrevenue ; bientôt, le charme agissait avec une force lente, invincible ; on lui appartenaità jamais, si elle daignait sourire. Tout souriait alors dans son visage blanc, ses yeuxde pervenche, ses joues et son menton. troués de fossettes ; tandis que ses lourdscheveux blonds semblaient s'éclairer aussi, d'une beauté royale et conquérante. Ils'avouait vaincu, elle était intelligente <strong>com</strong>me elle était belle, son intelligence venaitdu meilleur de son être. Lorsque les autres vendeuses, chez lui, n'avaient qu'uneéducation de frottement, le vernis qui s'écaille <strong>des</strong> filles déclassées, elle, sansélégances fausses, gardait sa grâce, la saveur de son origine. Les idées <strong>com</strong>mercialesles plus larges naissaient de la pratique, sous ce front étroit, dont les lignes puresannonçaient la volonté et l'amour de l'ordre. Et il aurait joint les deux mains, pour luidemander pardon de blasphémer, dans ses heures de révolte.<strong>Au</strong>ssi pourquoi se refusait-elle avec une pareille obstination ? Vingt fois, il l'avaitsuppliée, augmentant ses offres, offrant de l'argent, beaucoup d'argent. Puis, il s'étaitdit qu'elle devait être ambitieuse, il lui avait promis de la nommer première, dès qu'unrayon serait vacant. Et elle refusait, elle refusait encore !C'était pour lui une stupeur, une lutte où son désir s'enrageait.180

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