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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Pauline, dans une de ces rencontres, lui confia qu'elle allait peut-être épouser sonamant; c'était elle qui hésitait encore, on n'aimait guère les vendeuses mariées au<strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>.Cette idée de mariage surprit Denise, elle n'osa conseiller son amie. Un jour queColomban venait de l'arrêter près de la fontaine, pour lui parler de Clara, celle-cijustement traversa la place; et la jeune fille dut s'échapper, car il la suppliait dedemander à son ancienne camarade si elle voulait bien se marier avec lui. Qu'avaientilsdonc tous ? Pourquoi se tourmenter de la sorte ? Elle s'estimait très heureuse den'aimer personne.- Vous savez la nouvelle ? lui dit un soir le marchand de parapluies, <strong>com</strong>me ellerentrait.- Non, monsieur Bourras.- Eh bien ! les gredins ont acheté l'Hôtel Duvillard... Je suis cerné !Il agitait ses grands bras, dans une crise de fureur qui hérissait sa crinière blanche.- Un micmac à n'y rien <strong>com</strong>prendre ! reprit-il. Il paraît que l'hôtel appartenait auCrédit Immobilier, dont le président, le baron Hartmann, vient de le céder à notrefameux Mouret...Maintenant, ils me tiennent à droite, à gauche, derrière, tenez ! voyez-vous, <strong>com</strong>me jetiens dans mon poing cette pomme de canne ! C'était vrai, on avait dû signer lacession la veille. La petite maison de Bourras, serrée entre le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong> etl'Hôtel Duvillard, accrochée là <strong>com</strong>me un nid d'hirondelle dans la fente d'un mur,semblait devoir être écrasée du coup, le jour où le magasin envahirait l'hôtel, et cejour était venu, le colosse tournait le faible obstacle, le ceignait de son entassementde marchandises, menaçait de l'engloutir, de l'absorber par la seule force de sonaspiration géante. Bourras sentait bien l'étreinte dont craquait sa boutique. Il croyaitle voir diminuer, il craignait d'être bu lui-même, de passer de l'autre côté avec sesparapluies et ses cannes, tant la terrible mécanique ronflait à cette heure.- Hein ! les entendez-vous ? criait-il. Si l'on ne dirait pas qu'ils mangent les murailles !Et, dans ma cave, dans mon grenier, partout, c'est le même bruit de scie mordant leplâtre...N'importe ! ils ne m'aplatiront peut-être pas <strong>com</strong>me une feuille de papier. Je resterai,quand ils feraient éclater mon toit et que la pluie tomberait à seaux dans mon lit !Ce fut à ce moment que Mouret fit faire à Bourras de nouvelles propositions : ongrossissait le chiffre, on achetait son fonds et le droit au bail cinquante mille francs.Cette offre redoubla la colère du vieillard, il refusa avec <strong>des</strong> injures.Fallait-il que ces gredins volassent le monde, pour payer cinquante mille francs unechose qui n'en valait pas dix mille ! Et il défendait sa boutique <strong>com</strong>me une fillehonnête défend sa vertu, au nom de l'honneur, par respect de lui-même.Denise vit Bourras préoccupé pendant une quinzaine de jours. Il tournaitfiévreusement, métrait les murs de sa maison, la regardait du milieu de la rue, avec<strong>des</strong> airs d'architecte.Puis, un matin, <strong>des</strong> ouvriers arrivèrent. C'était la bataille décisive, il avait l'idéetéméraire de battre le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong> sur son terrain, en faisant <strong>des</strong> concessionsau luxe moderne.Les clientes, qui lui reprochaient sa boutique sombre, reviendraient certainement,quand elles la verraient flamber, toute neuve. D'abord, on boucha les crevasses et onbadigeonna la façade ; ensuite, on repeignit les boiseries de la devanture en vert clair;même on poussa la splendeur jusqu'à dorer l'enseigne. Trois mille francs, que Bourrastenait de côté <strong>com</strong>me une ressource suprême, furent dévorés. D'ailleurs, le quartierétait en révolution ; on venait le contempler au milieu de ces richesses, perdant latête, ne retrouvant pas ses habitu<strong>des</strong>. Il ne semblait plus chez lui, dans ce cadreluisant, sur ces fonds tendres, effaré avec sa grande barbe et ses cheveux.109

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