Maintenant, du trottoir d'en face, les passants s'étonnaient, à le regarder agiter lesbras et sculpter ses manches. Et il était galopé de fièvre, il craignait de salir, ils'engouffrait davantage, dans ce <strong>com</strong>merce luxueux, auquel il ne <strong>com</strong>prenait rien.Cependant, <strong>com</strong>me chez Robineau, la campagne contre le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong> étaitouverte chez Bourras. Il venait de lancer son invention, le parapluie à godet, qui plustard devait se populariser. Du reste, le <strong>Bonheur</strong> perfectionna immédiatementl'invention. Alors, la lutte s'engagea sur les prix. Il eut un article à un franc quatrevingt-quinze,en zanella, monture acier, inusable, disait l'étiquette. Mais il voulutsurtout battre son concurrent avec ses manches, <strong>des</strong> manches de bambou, decornouiller, d'olivier, de myrte, de rotin, toutes les variétés de manches imaginables.Le <strong>Bonheur</strong>, moins artiste, soignait l'étoffe, vantait ses alpagas et ses mohairs, sessergés et ses taffetas cuits. Et la victoire lui resta, le vieillard désespéré répéta quel'art était fichu, qu'il en était réduit à tailler ses manches pour le plaisir, sans espoir deles vendre.- C'est ma faute ! criait-il à Denise. Est-ce que j'aurais dû tenir <strong>des</strong> saletés à un franc.quatre-vingt-quinze ?... Voilà où les idées nouvelles peuvent conduire. J'ai voulusuivre l'exemple de ces brigands, tant mieux si j'en crève !Juillet fut très chaud. Denise souffrait dans son étroite chambre, sous les ardoises.<strong>Au</strong>ssi lorsqu'elle sortait de son magasin, prenait-elle Pépé chez Bourras ; et, au lieu demonter tout de suite, elle allait respirer un peu l'air <strong>des</strong> Tuileries, jusqu'à la fermeture<strong>des</strong> grilles. Un soir, <strong>com</strong>me elle se dirigeait vers les marronniers, elle resta saisie : àquelques pas, marchant droit à elle, il lui semblait reconnaître Hutin. Puis, son coeurbattit violemment. C'était Mouret, qui avait dîné sur la rive gauche et qui se hâtait <strong>des</strong>e rendre à pied chez Mme Desforges. <strong>Au</strong> brusque mouvement que fit la jeune fillepour lui échapper, il la regarda. La nuit tombait, il la reconnut pourtant.- C'est vous, mademoiselle.Elle ne répondit pas, éperdue qu'il eût daigné s'arrêter. Lui, souriant, cachait sa gênesous un air d'aimable protection.- Vous êtes toujours à Paris ?- Oui, monsieur, dit-elle enfin.Lentement, elle reculait, elle cherchait à saluer, pour continuer sa promenade. Mais ilrevint lui-même sur ses pas, il la suivit sous les ombres noires <strong>des</strong> grandsmarronniers. Une fraîcheur tombait, <strong>des</strong> enfants riaient au loin., en poussant <strong>des</strong>cerceaux.- C'est votre frère, n'est-ce pas ? demanda-t-il encore, les yeux sur Pépé. .Celui-ci intimidé par cette présence extraordinaire d'un monsieur, marchait gravementprès de sa soeur, dont il tenait la main :- Oui, monsieur, répondit-elle de nouveau.Elle avait rougi, elle songeait aux inventions abominables de Marguerite et de Clara.Sans doute, Mouret <strong>com</strong>prit la cause de sa rougeur, car il ajouta vivement :- Écoutez, mademoiselle, j'ai <strong>des</strong> excuses à vous présenter...Oui, j'aurais été heureux de vous dire plus tôt <strong>com</strong>bien j'ai regretté l'erreur qui a été<strong>com</strong>mise. On vous a accusée trop légèrement d'une faute... Enfin, le mal est fait, jevoulais seulement vous apprendre que tout le monde, chez nous, connaît aujourd'huivotre tendresse pour vos frères...Il continua, fut d'une politesse respectueuse, à laquelle les vendeuses du <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong><strong>Dames</strong> n'étaient guère habituées de sa part. Le trouble de Denise avait augmenté ;mais une joie inondait son coeur. Il savait donc qu'elle ne s'était donnée à personne !Tous deux gardaient le silence, il restait près d'elle, réglant ses pas sur les petits pasde l'enfant ; et les bruits lointains de Paris se mouraient, sous les ombres noires <strong>des</strong>grands arbres.- Je n'ai qu'une réhabilitation à vous offrir, mademoiselle, reprit-il. Naturellement, sivous désirez rentrer chez nous...Elle l'interrompit, elle refusa avec une hâte fébrile.110
- Monsieur, je ne puis pas... Je vous remercie tout de même, mais j'ai trouvé ailleurs.Il le savait, on lui avait appris depuis peu qu'elle était chez Robineau. Et,tranquillement, sur un pied d'égalité charmante, il lui parla de ce dernier, auquel ilrendait justice : un garçon d'une intelligence vive, trop nerveux seulement. Ilaboutirait à une catastrophe, Gaujean l'avait écrasé d'une affaire trop lourde, où tousdeux resteraient. Alors, Denise, gagnée par cette familiarité, se livra davantage, laissavoir qu'elle était pour les grands magasins, dans la bataille livrée entre ceux-ci et lepetit <strong>com</strong>merce ; elle s'animait, citait <strong>des</strong> exemples, se montrait au courant de laquestion, remplie même d'idées larges et nouvelles. Lui, ravi, l'écoutait avec surprise.Il se tournait, tâchait de distinguer ses traits, dans la nuit grandissante. Elle semblaittoujours la même, vêtue d'une robe simple, le visage doux ; mais, de cet effacementmo<strong>des</strong>te, montait un parfum pénétrant dont il subissait la puissance. Sans doute,cette petite s'était faite à l'air de Paris, la voilà qui devenait femme, et elle étaittroublante, si raisonnable, avec ses beaux cheveux, lourds de tendresse.- Puisque vous êtes <strong>des</strong> nôtres, dit-il en riant, pourquoi restez-vous chez nosadversaires ?... Ainsi, ne m'a-t-on pas dit également que vous logiez chez ce Bourras ?- Un bien digne homme, murmura-t-elle.- Non, laissez donc ! un vieux toqué, un fou qui me forcera à le mettre sur la paille,lorsque je voudrais m'en débarrasser avec une fortune !... D'abord, votre place n'estpas chez lui, sa maison est mal famée, il loue à <strong>des</strong> personnes...Mais il sentit la jeune fille confuse, il se hâta d'ajouter :- On peut être honnête partout, et il y a même plus de mérite à l'être, quand on n'estpas riche.Ils firent de nouveau quelques pas en silence. Pépé semblait écouter de son air attentifd'enfant précoce. Par moments, il levait les yeux sur sa soeur, dont la main brûlante,secouée de légers tressaillements, l'étonnait :- Tenez ! reprit gaiement Mouret, voulez-vous être mon ambassadeur ? Demain,j'avais l'intention d'augmenter encore mon offre, de faire proposer à Bourras quatrevingtmille francs... Parlez-lui en la première, dites-lui donc qu'il se suicide. Il vousécoutera peut-être, puisqu'il a de l'amitié pour vous, et vous lui rendriez un véritableservice.- Soit ! répondit Denise, souriante elle aussi. Je ferai la <strong>com</strong>mission, mais je doute deréussir.Et le silence retomba. Ni l'un ni l'autre n'avait plus rien à se dire. Un instant, il essayade causer de l'oncle Baudu ; puis, il dut se taire, en voyant le malaise de la jeune fille.Cependant, ils continuaient de se promener côte à côte, ils débouchèrent enfin, vers larue de Rivoli, dans une allée où il faisait jour encore. <strong>Au</strong> sortir de la nuit <strong>des</strong> arbres, cefut <strong>com</strong>me un brusque réveil. Il <strong>com</strong>prit qu'il ne pouvait la retenir davantage.- Bonsoir, mademoiselle.- Bonsoir, monsieur.Mais il ne s'en allait pas. En levant les yeux, d'un coup d'oeil, il venait d'apercevoirdevant lui, au coin de la rue d'Alger, les fenêtres éclairées de Mme Desforges, quil'attendait. Et il avait reporté ses regards sur Denise, il la voyait bien, dans le pâlecrépuscule : elle était toute chétive auprès d'Henriette, pourquoi dont lui chauffait-elleainsi le coeur? C'était un caprice imbécile.- Voici un petit garçon qui se fatigue, reprit-il pour dire encore quelque chose. Etrappelez-vous bien, n'est-ce pas ? que notre maison vous est ouverte. Vous n'aurezqu'à y frapper, je vous donnerai toutes les <strong>com</strong>pensations désirables... Bonsoir,mademoiselle.- Bonsoir, monsieur.Quand Mouret l'eut quittée, Denise rentra sous les marronniers, dans l'ombre noire.Longtemps, elle marcha sans but, entre les troncs énormes, le sang au visage, la têtebourdonnante d'idées confuses. Pépé, toujours pendu à sa main, allongeait ses courtesjambes pour la suivre. Elle l'oubliait. Il finit par dire :111
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chez nous pour être accueillie...
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tendre et si gaie d'ameublement, s'
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- Il y avait aussi ce mouchoir... D
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secousse; elle rougit, elle se sent
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