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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Honoré au cimetière Montmartre. On dut remonter la rue Saint-Roch et passer uneseconde fois devant le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>. C'était une obsession, ce pauvre corps dejeune fille était promené autour du grand magasin, <strong>com</strong>me la première victimetombée sous les balles, eu temps de révolution. À la porte, <strong>des</strong> flanelles rougesclaquaient au vent ainsi que <strong>des</strong> drapeaux, un étalage de tapis éclatait en unefloraison saignante d'énormes roses et de pivoines épanouies.Denise, cependant, était montée dans une voiture, agitée de doutes si cuisants, lapoitrine serrée d'une telle tristesse, qu'elle n'avait plus la force de marcher. Il y eutjustement un arrêt rue du Dix-Décembre, devant les échafaudages de la nouvellefaçade, qui gênait toujours la circulation. Et la jeune fille remarqua le vieux Bourras,resté en arrière, traînant la jambe, dans les roues mêmes de la voiture où elle setrouvait seule.Jamais il n'arriverait au cimetière. Il avait levé la tête, il la regardait. Puis, il monta.- Ce sont mes sacrés genoux, murmurait-il. Ne vous reculez donc pas!... Est-ce quec'est vous qu'on déteste !Elle le sentit amical et furieux, <strong>com</strong>me autrefois. Il grondait, déclarait ce diable deBaudu joliment solide, pour aller quand même, après de tels coups sur le crâne. Leconvoi avait repris sa marche lente; et, en se penchant, elle voyait en effet l'oncles'entêter derrière le corbillard, de son pas alourdi, qui semblait régler le train sourd etpénible du cortège. Alors, elle s'abandonna dans son coin, elle écouta les paroles sansfin du vieux marchand de parapluies, au long bercement mélancolique de la voiture.- Si la police ne devrait pas débarrasser la voie publique !...Il y a plus de dix-huit mois qu'ils nous en<strong>com</strong>brent, avec leur façade, où un hommes'est encore tué l'autre jour. N'importe ! lorsqu'ils voudront s'agrandir désormais, illeur faudra jeter <strong>des</strong> ponts par-<strong>des</strong>sus les rues... On dit que vous êtes deux mille septcents employés et que le chiffre d'affaires atteindra cent millions cette année... Centmillions ! mon Dieu ! cent millions !Denise n'avait rien à répondre. Le convoi venait de s'engager dans la rue de laChaussée-d'Antin, où <strong>des</strong> embarras de voitures l'attardaient. Bourras continua, lesyeux vagues, <strong>com</strong>me s'il eût maintenant rêvé tout haut. Il ne <strong>com</strong>prenait toujours pasle triomphe du <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, mais il avouait la défaite de l'ancien <strong>com</strong>merce. -Ce pauvre Robineau est fichu, il a une figure d'homme qui se noie... Et les Bédoré, etles Vanpouille, ça ne tient plus debout, c'est <strong>com</strong>me moi, les jambes cassées.Deslignières crèvera d'un coup de sang, Piot et Rivoire ont eu la jaunisse. Ah ! noussommes tous jolis, un beau cortège de carcasses que nous faisons à la chère enfant !Ça doit être drôle, pour les gens qui regardent défiler cette queue de faillites...D'ailleurs, il paraît que le nettoyage va continuer. Les coquins créent <strong>des</strong> rayons defleurs, de mo<strong>des</strong>, de parfumerie, de cordonnerie, que sais-je encore ? Grognet, leparfumeur de la rue de Grammont, peut déménager, et je ne donnerais pas dix francsde la cordonnerie Naud, rue d'Antin. Le choléra souffle jusqu'à la rue Sainte-Anne, oùLacassagne, qui tient les plumes et les fleurs, et Mme Chadeuil, dont les chapeauxsont pourtant connus, seront balayés avant deux ans... Après ceux-là, d'autres, ettoujours d'autres ! Tous les <strong>com</strong>merces du quartier y passeront. Quand <strong>des</strong> calicots semettent à vendre <strong>des</strong> savons et <strong>des</strong> galoches, ils peuvent bien avoir l'ambition devendre <strong>des</strong> pommes de terre frites. Ma parole, la terre se détraque !Le corbillard traversait alors la place de la Trinité, et, du coin de la sombre voiture, oùDenise écoutait la plainte continue du vieux marchand, bercée au train funèbre duconvoi, elle put voir, en débouchant de la rue de la Chaussée-d'Antin, le corps quimontait déjà la pente de la rue Blanche. Derrière l'oncle, à la marche aveugle etmuette de boeuf assommé, il lui semblait entendre le piétinement d'un troupeauconduit à l'abattoir, toute la déconfiture <strong>des</strong> boutiques d'un quartier, le petit<strong>com</strong>merce traînant sa ruine, avec un bruit mouillé de savates, dans la boue noire deParis. Cependant, Bourras parlait d'une voix plus sourde, <strong>com</strong>me ralentie par lamontée rude de la rue Blanche.201

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