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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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d'elle une rencontre de temps à autre, par une humilité de chien battu. On assuraitqu'il allait entrer au Louvre.- Si vous l'aimez tant, il peut vous revenir encore, continua la jeune fille, pourendormir la mourante dans ce dernier espoir.Guérissez vite, il reconnaîtra ses fautes, il vous épousera.Geneviève l'interrompit. Elle avait écouté de tout son être, avec une passion muettequi la redressait. Mais elle retomba aussitôt.- Non, laissez, je sais bien que c'est fini... Je ne dis rien, parce que j'entends papapleurer, et que je ne veux pas rendre maman plus malade. Seulement, je m'en vais,voyez-vous, et si je vous appelais cette nuit, c'était par crainte de m'en aller avant lejour... Mon Dieu ! quand on pense qu'il n'est pas même heureux !Et, Denise s'étant récriée, en lui assurant que son état n'était pas si grave, elle luicoupa une seconde fois la parole, elle rejeta soudain la couverture d'un geste chastede vierge qui n'a plus rien à cacher dans la mort. Découverte jusqu'au ventre, ellemurmura :- Regardez-moi donc !... N'est-ce pas fini ?Tremblante, Denise quitta le bord de la couchette, <strong>com</strong>me si, d'un souffle, elle eûtcraint de détruire cette nudité misérable. C'était la fin de la chair, un corps de fiancéeusé dans l'attente, retourné à l'enfance grêle <strong>des</strong> premiers ans.Lentement, Geneviève se recouvrit, et elle répétait :- Vous voyez bien, je ne suis plus une femme... Ce serait mal, de le vouloir encore.Toutes deux se turent. Elles se regardaient de nouveau, ne trouvant plus une phrase.Ce fut Geneviève qui reprit :- Allons, ne restez pas là, vous avez vos affaires. Et merci, j'étais tourmentée dubesoin de savoir; maintenant, je suis contente. Si vous le revoyez, dites-lui que je luipardonne...Adieu, ma bonne Denise. Embrassez-moi bien, c'est la dernière fois. La jeune fillel'embrassa, en protestant.- Non, non, ne vous frappez donc pas, il vous faut <strong>des</strong> soins, rien de plus.Mais la malade eut un hochement de tête obstiné. Elle souriait, elle était sûre. Et,<strong>com</strong>me sa cousine se dirigeait enfin vers la porte :- Attendez, tapez avec ce bâton, pour que papa monte...J'ai trop peur toute seule.Puis, quand Baudu fut là, dans cette petite chambre morne, où il passait les heuressur une chaise, elle prit un air de gaieté, elle cria à Denise :- Ne venez pas demain, c'est inutile. Mais, dimanche, je vous attends, vous resterezl'après-midi avec moi.Le lendemain, à six heures, au petit jour, Geneviève expirait, après quatre heures d'unrâle affreux. Ce fut un samedi que tomba l'enterrement, par un temps noir, un ciel <strong>des</strong>uie qui pesait sur la ville frissonnante. Le Vieil Elbeuf, tendu de drap blanc, éclairait larue d'une tache blanche ; et les cierges, brûlant dans le jour bas, semblaient <strong>des</strong>étoiles noyées de crépuscule. Des couronnes de perles, un gros bouquet de rosesblanches, couvraient le cercueil, un cercueil étroit de fillette, posé sur l'allée obscurede la maison, au ras du trottoir, si près du ruisseau, que les voitures avaient déjàéclaboussé les draperies. Tout le vieux quartier suait l'humidité, exhalait son odeurmoisie de cave, avec sa continuelle bousculade de passants sur le pavé boueux.Dès neuf heures, Denise était venue, pour rester auprès de sa tante. Mais, <strong>com</strong>me leconvoi allait partir, celle-ci, qui ne pleurait plus, les yeux brûlés de larmes, la pria <strong>des</strong>uivre le corps et de veiller sur l'oncle, dont l'accablement muet, la douleur imbécileinquiétait la famille. En bas, la jeune fille trouva la rue pleine de monde. Le petit<strong>com</strong>merce du quartier voulait donner aux Baudu un témoignage de sympathie ; et il yavait aussi, dans cet empressement, <strong>com</strong>me une manifestation contre le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong><strong>Dames</strong>, que l'on accusait de la lente agonie de Geneviève. Toutes les victimes dumonstre étaient là, Bédoré et soeur, les bonnetiers de la rue Gaillon, les fourreurs199

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