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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Un instant, Denise resta immobile, les yeux perdus. Enfin, elle entra chez son oncle.Le drapier était seul, dans la boutique sombre du Vieil Elbeuf. La femme de ménage nevenait que le matin et le soir, pour faire un peu de cuisine et pour l'aider à ôter et àmettre les volets. Il passait les heures, au fond de cette solitude, sans que personnesouvent le dérangeât de la journée, effaré et ne trouvant plus les marchandises,lorsqu'une cliente se risquait encore. Et là, dans le silence, dans le demi-jour, ilmarchait continuellement, il gardait le pas alourdi de ses deuils, cédant à un besoinmaladif, à de véritables crises de marche forcée, <strong>com</strong>me s'il avait voulu bercer etendormir sa douleur.- Allez-vous mieux, mon oncle ? demanda Denise.Il ne s'arrêta qu'une seconde, il repartit, allant de la caisse à un angle obscur.- Oui, oui, très bien... Merci.Elle cherchait un sujet consolant, <strong>des</strong> paroles gaies, et n'en trouvait point.- Vous avez entendu ce bruit ? La maison est par terre.- Tiens ! c'est vrai, murmura-t-il d'un air étonné, ce devait être la maison... J'ai sentile sol trembler... Moi, ce matin, en les voyant sur le toit, j'avais fermé ma porte.Et il eut un geste vague, pour dire que ces choses ne l'intéressaient plus. Chaque foisqu'il revenait devant la caisse, il regardait la banquette vide, cette banquette develours usé, où sa femme et sa fille avaient grandi. Puis, lorsque son perpétuelpiétinement le ramenait à l'autre bout, il regardait les casiers noyés d'ombre, danslesquels achevaient de moisir quelques pièces de drap. C'était la maison veuve, ceuxqu'il aimait partis, son <strong>com</strong>merce tombé à une fin honteuse, lui seul promenant soncoeur mort et son orgueil abattu, au milieu de ces catastrophes. Il levait les yeux versle plafond noir, il écoutait le silence qui sortait <strong>des</strong> ténèbres de la petite salle àmanger, le coin familial dont il aimait autrefois jusqu'à l'odeur enfermée. Plus unsouffle dans l'antique logis, son pas régulier et pesant faisait sonner les vieux murs,<strong>com</strong>me s'il avait marché sur la tombe de ses tendresses.Enfin, Denise aborda le sujet qui l'amenait.- Mon oncle, vous ne pouvez rester ainsi. Il faudrait prendre une détermination.Il répondit sans s'arrêter :- Sans doute, mais que veux-tu que je fasse ? J'ai tâché de vendre, personne n'estvenu... Mon Dieu! un matin, je fermerai la boutique, et je m'en irai.Elle savait qu'une faillite n'était plus à craindre. Les créanciers avaient préférés'entendre, devant un pareil acharnement du sort. Tout payé, l'oncle allait simplementse trouver à la rue.- Mais que ferez-vous ensuite ? murmura-t-elle, cherchant une transition pour arriverà l'offre qu'elle n'osait formuler.- Je ne sais pas, répondit-il. On me ramassera bien.Il avait changé son trajet, il marchait de la salle à manger aux vitrines de ladevanture; et, maintenant, il considérait chaque fois d'un regard morne ces vitrineslamentables, avec leur étalage oublié. Ses yeux ne se levaient même pas sur la façadetriomphante du <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, dont les lignes architecturales se perdaient àdroite et à gauche, aux deux bouts de la rue. C'était un anéantissement, il ne trouvaitplus la force de se fâcher.- Écoutez, mon oncle, finit par dire Denise embarrassée, il y aurait peut-être une placepour vous...Elle se reprit, elle bégaya :- Oui, je suis chargée de vous offrir une place d'inspecteur.- Où donc ? demanda Baudu.- Mon Dieu ! là, en face... Chez nous... Six mille francs, un travail sans fatigue.Brusquement, il s'était arrêté devant elle. Mais, au lieu de s'emporter <strong>com</strong>me elle lecraignait, il devenait très pâle, il suc<strong>com</strong>bait sous une émotion douloureuse, d'uneamère résignation.- En face, en face, balbutia-t-il à plusieurs reprises. Tu veux que j'entre en face ?210

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