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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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avait calculé juste : toutes les ménagères, une troupe serrée de petites-bourgeoises etde femmes en bonnet, donnaient assaut aux occasions, aux sol<strong>des</strong> et aux coupons,étalés jusque dans la rue. Des mains en l'air, continuellement, tâtaient " les pendus "de l'entrée, un calicot à sept sous, une grisaille laine et coton à neuf sous, surtout unOrléans à trente-huit centimes, qui ravageait les bourses pauvres. Il y avait <strong>des</strong>poussées d'épaules, une bousculade fiévreuse autour <strong>des</strong> casiers et <strong>des</strong> corbeilles, où<strong>des</strong> articles au rabais, dentelles à dix centimes, rubans à cinq sous, jarretières à troissous, gants, jupons, cravates, chaussettes et bas de coton s'éboulaient,disparaissaient, <strong>com</strong>me mangés par une foule vorace. Malgré le temps froid, les<strong>com</strong>mis qui vendaient au plein air du pavé, ne pouvaient suffire. Une femme grossejeta <strong>des</strong> cris. Deux petites filles manquèrent d'être étouffées.Toute la matinée, cet écrasement augmenta. Vers une heure, <strong>des</strong> queuess'établissaient, la rue était barrée, ainsi qu'en temps d'émeute. Justement, <strong>com</strong>meMme de Boves et sa fille Blanche se tenaient sur le trottoir d'en face, hésitantes, ellesfurent abordées par Mme Marty, également ac<strong>com</strong>pagnée de sa fille Valentine.- Hein ? quel monde ! dit la première. On se tue là-dedans...Je ne devais pas venir, j'étais au lit, puis je me suis levée pour prendre l'air.- C'est <strong>com</strong>me moi, déclara l'autre. J'ai promis à mon mari d'aller voir sa soeur, àMontmartre... Alors, en passant, j'ai songé que j'avais besoin d'une pièce de lacet.<strong>Au</strong>tant l'acheter ici qu'ailleurs, n'est-ce pas ? Oh ! je ne dépenserai pas un sou ! Il neme faut rien, du reste.Cependant, leurs yeux ne quittaient pas la porte, elles étaient prises et emportéesdans le vent de la foule.- Non, non, je n'entre pas, j'ai peur, murmura Mme de Boves.Blanche, allons-nous-en, nous serions broyées.Mais sa voix faiblissait, elle cédait peu à peu au désir d'entrer où entre le monde; et sacrainte se fondait dans l'attrait irrésistible de l'écrasement. Mme Marty s'était aussiabandonnée. Elle répétait :- Tiens ma robe, Valentine... Ah bien ! je n'ai jamais vu ça.On vous porte. Qu'est-ce que ça va être, à l'intérieur !Ces dames, saisies par le courant, ne pouvaient plus reculer. Comme les fleuves tirentà eux les eaux errantes d'une vallée, il semblait que le flot <strong>des</strong> clientes, coulant à pleinvestibule, buvait les passants de la rue, aspirait la population <strong>des</strong> quatre coins deParis. Elles n'avançaient que très lentement, serrées à perdre haleine, tenues deboutpar <strong>des</strong> épaules et <strong>des</strong> ventres, dont elles sentaient la molle chaleur ; et leur désirsatisfait jouissait de cette approche pénible, qui fouettait davantage leur curiosité.C'était un pêle-mêle de dames vêtues de soie, de petites-bourgeoises à robes pauvres,de filles en cheveux, toutes soulevées, enfiévrées de la même passion. Quelqueshommes, noyés sous les corsages débordants, jetaient <strong>des</strong> regards inquiets autourd'eux. Une nourrice, au plus épais, levait très haut son poupon, qui riait d'aise. Et,seule, une femme maigre se fâchait, éclatant en paroles mauvaises, accusant unevoisine de lui entrer dans le corps.- Je crois bien que mon jupon va y rester, répétait Mme de Boves. Muette, le visageencore frais du grand air, Mme Marty se haussait pour voir avant les autres, par<strong>des</strong>susles têtes, s'élargir les profondeurs <strong>des</strong> magasins. Les pupilles de ses yeux grisétaient minces <strong>com</strong>me celles d'une chatte arrivant du plein jour; et elle avait la chairreposée, le regard clair d'une personne qui s'éveille.- Ah ! enfin ! dit-elle en poussant un soupir.Ces dames venaient de se dégager. Elles étaient dans le hall Saint-<strong>Au</strong>gustin. Leursurprise fut grande de le trouver presque vide. Mais un bien-être les envahissait, illeur semblait entrer dans le printemps, au sortir de l'hiver de la rue. Tandis que,dehors, soufflait le vent glacé <strong>des</strong> giboulées, déjà la belle saison, dans les galeries du<strong>Bonheur</strong>, s'attiédissait avec les étoffes légères, l'éclat fleuri <strong>des</strong> nuances tendres, lagaieté champêtre <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> d'été et <strong>des</strong> ombrelles.131

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