salon avec son ami, plaisantant l'un et l'autre. Le baron Hartmann lui demanda si lemanteau allait enfin ; et, sans se troubler, Mouret répondit qu'il y renonçait pour son<strong>com</strong>pte. Il y eut une exclamation. Pendant que Mme Marty se hâtait de le servir, Mmede Boves accusait les magasins de tenir toujours les vêtements trop étroits. Enfin, ilput s'asseoir près de Bouthemont, qui n'avait pas bougé. On les oublia, et sur lesquestions inquiètes de celui-ci, désireux de connaître son sort, il n'attendit pas d'êtredans la rue, il lui apprit que ces messieurs du conseil s'étaient décidés à se priver <strong>des</strong>es services. Entre chaque phrase, il buvait une cuillerée de thé, tout en protestant <strong>des</strong>on désespoir. Oh ! une querelle dont il se remettait à peine, car il avait quitté la sallehors de lui. Seulement, que faire ? il ne pouvait briser avec ces messieurs, pour unesimple question de personnel.Bouthemont, très pâle, dut encore le remercier.- Voilà un manteau terrible, fit remarquer Mme Marty.Henriette n'en sort pas.En effet, cette absence prolongée <strong>com</strong>mençait à gêner tout le monde. Mais, à l'instantmême, Mme Desforges reparut.- Vous y renoncez aussi ? cria gaiement Mme de Boves.- Comment ça ?- Oui, M. Mouret nous a dit que vous ne pouviez vous en tirer.Henriette montra la plus grande surprise.- M. Mouret a plaisanté. Ce manteau ira parfaitement.Elle semblait très calme, souriante. Sans doute elle avait baigné ses paupières, carelles étaient fraîches, sans une rougeur.Tandis que tout son être tressaillait et saignait encore, elle trouvait la force de cachersa torture, sous le masque de sa bonne grâce mondaine. Ce fut avec son rireaccoutumé qu'elle présenta <strong>des</strong> sandwiches à Vallagnosc. Le baron seul, qui laconnaissait bien, remarqua la légère contraction de ses lèvres et le feu sombre qu'ellen'avait pu éteindre au fond de ses yeux.Il devina toute la scène.- Mon Dieu! chacun son goût, disait Mme de Boves, en acceptant elle aussi unsandwich. Je connais <strong>des</strong> femmes qui n'achèteraient pas un ruban ailleurs qu'auLouvre. D'autres ne jurent que par le Bon Marché... C'est une question detempérament sans doute.- Le Bon Marché est bien province, murmura Mme Marty, et l'on est si bousculé auLouvre! Ces dames étaient retombées sur les grands magasins.Mouret dut donner son avis, il revint au milieu d'elles, et affecta d'être juste. Uneexcellente maison que le Bon Marché, solide, respectable ; mais le Louvre avaitcertainement une clientèle plus brillante. - Enfin, vous préférez le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>,dit le baron souriant.- Oui, répondit tranquillement Mouret. Chez nous, on aime les clientes.Toutes les femmes présentes furent de son avis. C'était bien cela, elles se trouvaient<strong>com</strong>me en partie fine au <strong>Bonheur</strong>, elles y sentaient une continuelle caresse deflatterie, une adoration épandue qui retenait les plus honnêtes. L'énorme succès dumagasin venait de cette séduction galante.- A propos, demanda Henriette, qui voulait montrer une grande liberté d'esprit, et maprotégée, qu'en faites-vous, monsieur Mouret ?... Vous savez, Mlle de Fontenailles.Et, se tournant vers Mme Marty :- Une marquise, ma chère, une pauvre fille tombée dans la gêne.- Mais, dit Mouret, elle gagne ses trois francs par jour à coudre <strong>des</strong> cahiersd'échantillons, et je crois que je vais lui faire épouser un de mes garçons de magasin.- Fi! l'horreur! cria Mme de Boves.Il la regarda, il reprit de sa voix calme :176
- Pourquoi donc, madame ? Est-ce qu'il ne vaut pas mieux pour elle épouser un bravegarçon, un gros travailleur, que de courir le risque d'être ramassée par <strong>des</strong> fainéantssur le trottoir?Vallagnosc voulut intervenir, en plaisantant.- Ne le poussez pas, madame. Il va vous dire que toutes les vieilles familles de Francedevraient se mettre à vendre du calicot.- Mais, déclara Mouret, pour beaucoup d'entre elles ce serait au moins une finhonorable.On finit par rire, le paradoxe semblait un peu fort. Lui, continuait à célébrer ce qu'ilappelait l'artistocratie du travail. Une faible rougeur avait coloré les joues de Mme deBoves, que sa gêne réduite aux expédients enrageait ; tandis que Mme Marty, aucontraire, approuvait, prise de remords, en songeant à son pauvre mari. Justement, ledomestique introduisit le professeur, qui venait la chercher. Il était plus sec, plus<strong>des</strong>séché par ses dures besognes, dans sa mince redingote, luisante. Quand il eutremercié Mme Desforges d'avoir parlé pour lui au ministère, il jeta vers Mouret leregard craintif d'un homme qui rencontre le mal dont il mourra. Et il resta saisid'entendre ce dernier lui adresser la parole.- N'est-ce pas, monsieur, que le travail mène à tout ?- Le travail et l'épargne, répondit-il avec un léger grelottement de tout son corps.Ajoutez l'épargne, monsieur.Cependant, Bouthemont était demeuré immobile dans son fauteuil. Les paroles deMouret sonnaient encore à ses oreilles.Il se leva enfin, il vint dire tout bas à Henriette :- Vous savez qu'il m'a signifié mon congé, oh ! très gentiment... Mais du diable s'il nes'en repent pas ! Je viens de trouver mon enseigne : <strong>Au</strong>x Quatre Saisons, et je meplante près de l'Opéra !Elle le regarda, ses yeux s'assombrirent.- Comptez sur moi, j'en suis... Attendez.Et elle attira le baron Hartmann dans l'embrasure d'une fenêtre. Sans attendre, elle luire<strong>com</strong>manda Bouthemont, le donna <strong>com</strong>me un gaillard qui allait à son tourrévolutionner Paris, en s'établissant à son <strong>com</strong>pte. Quand elle parla d'une <strong>com</strong>manditepour son nouveau protégé; le baron, bien qu'il ne s'étonnât plus de rien, ne putréprimer un geste d'effarement. C'était le quatrième garçon de génie qu'elle luiconfiait, il finissait par se sentir ridicule. Mais il ne refusa pas nettement, l'idée de fairenaître une concurrence au <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong> lui plaisait même assez ; car il avaitdéjà inventé, en matière de banque, de se créer ainsi <strong>des</strong> concurrences, pour endégoûter les autres. Puis, l'aventure l'amusait. Il promit d'examiner l'affaire.- Il faut que nous causions ce soir, revint dire Henriette à l'oreille de Bouthemont. Versneuf heures, ne manquez pas...Le baron est à nous.À ce moment, la vaste pièce s'emplissait de voix. Mouret, toujours debout au milieu deces dames, avait retrouvé sa bonne grâce : il se défendait gaiement de les ruiner enchiffons, il offrait de démontrer, chiffres en main, qu'il leur faisait économiser trentepour cent sur leurs achats. Le baron Hartmann le regardait, repris d'une admirationfraternelle d'ancien coureur de guilledou. Allons ! le duel était fini, Henriette restait parterre, elle ne serait certainement pas la femme qui devait venir. Et il crut revoir leprofil mo<strong>des</strong>te de la jeune fille, qu'il avait aperçue en traversant l'anti-chambre. Elleétait là, patiente, seule, redoutable dans sa douceur.XIICe fut le 25 septembre que <strong>com</strong>mencèrent les travaux de la nouvelle façade du<strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>. Le baron Hartmann, selon sa promesse, avait enlevé l'affaire,177
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gentil, chez lequel elle passait to
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Et ce fut Denise qui souffrit de l'
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père tuerait sans cela. Alors, com
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Jean recommençait :- Le mari qui a
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Il brandissait son outil, ses cheve
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