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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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- Je suis très coûtent de vous avoir rencontrée, finit par balbutier Deloche, qui sedécida à parler le premier. Vous ne savez pas <strong>com</strong>bien vous me faites plaisir, enconsentant à vous promener avec moi.Et, les ténèbres aidant, après bien <strong>des</strong> paroles embarrassées, il osa dire qu'il l'aimait.Depuis longtemps, il voulait le lui écrire ; et jamais elle ne l'aurait su peut-être, sanscette belle nuit <strong>com</strong>plice, sans cette eau qui chantait et ces arbres qui les couvraientdu rideau de leurs ombrages. Pourtant, elle ne répondait point, elle marchait toujoursà son bras, du même pas de souffrance. Il cherchait à lui voir le visage, lorsqu'ilentendit un léger sanglot.- Oh ! mon Dieu ! reprit-il, vous pleurez, mademoiselle, vous pleurez... Est-ce que jevous ai fait de la peine ?- Non, non, murmura-t-elle.Elle tâchait de retenir ses larmes, mais elle ne le pouvait pas.A table déjà, elle avait cru que son coeur éclatait. Et, maintenant, elle s'abandonnaitdans cette ombre, <strong>des</strong> sanglots venaient de l'étouffer, en pensant que, si Hutin setrouvait à la place de Deloche et lui disait ainsi <strong>des</strong> tendresses, elle serait sans force.Cet aveu qu'elle se faisait enfin, l'emplissait de confusion. Une honte lui brûlait la face,<strong>com</strong>me si elle fût tombée sous ces arbres, aux bras de ce garçon qui s'étalait avec <strong>des</strong>filles.- Je ne voulais pas vous offenser, répétait Deloche que les larmes gagnaient.- Non, écoutez, dit-elle d'une voix encore tremblante, je n'ai aucune colère contrevous. Seulement, je vous en prie, ne me parlez plus <strong>com</strong>me vous venez de le faire...Ce que vous demandez est impossible. Oh ! vous êtes un bon garçon, je veux bienêtre votre amie, mais pas davantage... Entendez-vous, votre amie!Il frémissait. Après quelques pas faits en silence, il balbutia :- Enfin, vous ne m'aimez pas ?Et, <strong>com</strong>me elle lui évitait le chagrin d'un non brutal, il reprit d'une voix douce etnavrée :- D'ailleurs, je m'y attendais... Jamais je n'ai eu de chance, je sais que je ne puis êtreheureux. Chez moi, on me battait.A Paris, j'ai toujours été un souffre-douleur. Voyez-vous, lorsqu'on ne sait pas prendreles maîtresses <strong>des</strong> autres, et qu'on est assez gauche pour ne pas gagner de l'argentautant qu'eux, eh bien ! on devrait crever tout de suite dans un coin... Oh ! soyeztranquille, je ne vous tourmenterai plus. Quant à vous aimer, vous ne pouvez m'enempêcher, n'est-ce pas ? Je vous aimerai pour rien, <strong>com</strong>me une bête... Voilà ! toutfiche le camp, c'est ma part dans la vie.À son tour, il pleura. Elle le consolait, et dans leur effusion amicale, ils apprirent qu'ilsétaient du même pays, elle de Valognes, lui de Briquebec, à treize kilomètres. Ce futun nouveau lien. Son père à lui, petit huissier nécessiteux, d'une jalousie maladive, lerossait en le traitant de bâtard, exaspéré de sa longue figure blême et de ses cheveuxde chanvre, qui, disait-il, n'étaient pas dans la famille. Ils en arrivèrent à parler <strong>des</strong>grands herbages entourés de haies vives, <strong>des</strong> sentiers couverts qui se perdent sousles ormes, <strong>des</strong> routes gazonnées <strong>com</strong>me <strong>des</strong> allées de parc. <strong>Au</strong>tour d'eux, la nuitpâlissait encore, ils distinguaient les joncs de la rive, la dentelle <strong>des</strong> ombrages, noiresur le scintillement <strong>des</strong> étoiles ; et un apaisement leur venait, ils oubliaient leursmaux, rapprochés par leur malchance, dans une amitié de bons camara<strong>des</strong>.- Eh bien ? demanda vivement Pauline à Denise, en la prenant à part, quand ils furentdevant la station.La jeune fille <strong>com</strong>prit au sourire et au ton de tendre curiosité. Elle devint très rouge,en répondant :- Mais jamais, ma chère ! Puisque je vous ai dit que je ne voulais pas !... Il est de monpays. Nous causions de Valognes.Pauline et Baugé restèrent perplexes, dérangés dans leurs idées, ne sachant plus quecroire. Deloche les quitta sur la place de la Bastille ; <strong>com</strong>me tous les jeunes gens au80

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