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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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<strong>des</strong> maux endurés, si convaincue, lorsqu'elle indiquait <strong>des</strong> réformes qui devaientconsolider la maison ; et il l'écoutait en la plaisantant, le sort <strong>des</strong> vendeurs étaitamélioré peu à peu, on remplaçait les renvois en masse par un système de congésaccordés aux mortes-saisons, enfin on allait créer une caisse de secours mutuels, quimettrait les employés à l'abri <strong>des</strong> chômages forcés, et leur assurerait une retraite.C'était l'embryon <strong>des</strong> vastes sociétés ouvrières du vingtième siècle.D'ailleurs, Denise ne s'en tenait pas à vouloir panser les plaies vives dont elle avaitsaigné: <strong>des</strong> idées délicates de femme, soufflées à Mouret, ravirent la clientèle. Elle fitaussi la joie de Lhomme, en appuyant un projet qu'il nourrissait depuis longtemps,celui de créer un corps de musique, dont les exécutants seraient tous choisis dans lepersonnel. Trois mois plus tard, Lhomme avait cent vingt musiciens sous sa direction,le rêve de sa vie était réalisé. Et une grande fête fut donnée dans les magasins, unconcert et un bal, pour présenter la musique du <strong>Bonheur</strong> à la clientèle, au mondeentier. Les journaux s'en occupèrent, Bourdoncle lui-même, ravagé par cesinnovations, dut s'incliner devant l'énorme réclame. Ensuite, on installa une salle dejeu pour les <strong>com</strong>mis, deux billards, <strong>des</strong> tables de trictrac et d'échecs. Il y eut <strong>des</strong>cours le soir dans la maison, cours d'anglais et d'allemand, cours de grammaire,d'arithmétique, et géographie; on alla jusqu'à <strong>des</strong> leçons d'équitation et d'escrime.Une bibliothèque fut créée, dix mille volumes mis à la disposition <strong>des</strong> employés. Et l'onajouta encore un médecin à demeure donnant <strong>des</strong> consultations gratuites, <strong>des</strong> bains,<strong>des</strong> buffets, un salon de coiffure. Toute la vie était là, on avait tout sans sortir, l'étude,la table, le lit, le vêtement. Le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong> se suffisait, plaisirs et besoins, aumilieu du grand Paris, occupé de ce tintamarre, de cette cité du travail qui poussait silargement dans le fumier <strong>des</strong> vieilles rues, ouvertes enfin au plein soleil.Alors, un nouveau mouvement d'opinion se fit en faveur de Denise. CommeBourdonde, vaincu, répétait avec désespoir à ses familiers qu'il aurait donné beaucouppour la coucher lui-même dans le lit de Mouret, il fut acquis qu'elle n'avait pas cédé,que sa toute-puissance résultait de ses refus. Et, dès ce moment, elle devintpopulaire. On n'ignorait pas les douceurs qu'on lui devait, on l'admirait pour la forcede sa volonté. En voilà une, au moins, qui mettait le pied sur la gorge du patron, etqui les vengeait tous, et qui savait tirer de lui autre chose que <strong>des</strong> promesses ! Elleétait donc venue, celle qui faisait respecter un peu les pauvres diables ! Lorsqu'elletraversait les <strong>com</strong>ptoirs, avec sa tête fine et obstinée, son air tendre et invincible, lesvendeurs lui souriaient, étaient fiers d'elle, l'auraient volontiers montrée à la foule.Denise, heureuse, se laissait porter par cette sympathie grandissante. Etait-cepossible, mon Dieu ! Elle se voyait arriver en jupe pauvre, effarée, perdue au milieu<strong>des</strong> engrenages de la terrible machine ; longtemps, elle avait eu la sensation de n'êtrerien, à peine un grain de mil sous les meules qui broyaient un monde ; et aujourd'hui,elle était l'âme même de ce monde, elle seule importait, elle pouvait d'un motprécipiter ou ralentir le colosse, abattu à ses petits pieds. Cependant, elle n'avait pasvoulu ces choses, elle s'était simplement présentée, sans calcul, avec l'unique charmede la douceur. Sa souveraineté lui causait parfois une surprise inquiète : qu'avaient-ilsdonc tous à lui obéir? elle n'était point jolie, elle ne faisait pas le mal. Puis, ellesouriait, le coeur apaisé, n'ayant en elle que de la bonté et de la raison, un amour dela vérité et de la logique qui était toute sa force.Une <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> joies de Denise, dans sa faveur, fut de pouvoir être utile à Pauline.Celle-ci était enceinte, et elle tremblait, car deux vendeuses, en quinze jours, avaientdû partir au septième mois de leur grossesse. La direction ne tolérait pas cesaccidents-là, la maternité était supprimée <strong>com</strong>me en<strong>com</strong>brante et indécente ; à larigueur, on permettait le mariage, mais on défendait les enfants. Pauline, sans doute,avait un mari dans la maison ; elle se méfiait pourtant, elle n'en était pas moinsimpossible au <strong>com</strong>ptoir ; et, afin de retarder un renvoi probable, elle se serrait àétouffer, résolue de cacher ça tant qu'elle pourrait. Une <strong>des</strong> deux vendeusescongédiées venait justement d'accoucher d'un enfant mort, pour s'être torturé ainsi la193

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