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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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à contenter. Heureuse de rabaisser la jeune fille à cette besogne de servante, elle luidonnait <strong>des</strong> ordres brefs, en guettant sur la face de Mouret les moindres plis nerveux.- Mettez une épingle ici. Eh ! non, pas là, ici, près de la manche. Vous ne <strong>com</strong>prenezdonc pas ?... Ce n'est pas ça, voici la poche qui reparaît... Et prenez garde, vous mepiquez maintenant !À deux reprises encore, Mouret tâcha vainement d'intervenir, pour faire cesser cettescène. Son coeur bondissait, sous l'humiliation de son amour ; et il aimait Denisedavantage, d'une tendresse émue, devant le beau silence qu'elle gardait. Si les mainsde la jeune fille tremblaient toujours un peu, d'être ainsi traitée en face de lui, elleacceptait les nécessités du métier, avec la résignation fière d'une fille de courage.Quand Mme Desforges <strong>com</strong>prit qu'ils ne se trahiraient pas, elle chercha autre chose,elle inventa de sourire à Mouret, de l'afficher <strong>com</strong>me son amant. Alors, les épinglesétant venues à manquer :- Tenez, mon ami, regardez dans la boîte d'ivoire, sur la toilette... Vraiment ! elle estvide ?... Soyez aimable, voyez donc sur la cheminée de la chambre : vous savez, aucoin de la glace.Et elle le mettait chez lui, l'installait en homme qui avait couché là, qui connaissait laplace <strong>des</strong> peignes et <strong>des</strong> brosses.Quand il lui rapporta une pincée d'épingles, elle les prit une par une, le força de resterdebout près d'elle, le regardant, lui parlant à voix basse.- Je ne suis pas bossue peut-être... Donnez votre main, tâtez les épaules, par plaisir.Est-ce que je suis faite ainsi ?Denise, lentement, avait levé les yeux, plus pâle encore, et s'était remise à piquer ensilence les épingles. Mouret n'apercevait que ses lourds cheveux blonds, tordus sur lanuque délicate ; mais, au frisson qui les soulevait, il croyait voir le malaise et la hontedu visage. Maintenant, elle le repousserait, elle le renverrait à cette femme, qui necachait même pas sa liaison devant les étrangers. Et <strong>des</strong> brutalités lui venaient auxpoignets, il aurait battu Henriette. Comment la faire taire ? <strong>com</strong>ment dire à Denisequ'il l'adorait, qu'elle seule existait à cette heure, qu'il lui sacrifiait toutes sesanciennes tendresses d'un jour? Une fille n'aurait pas eu les familiarités équivoques decette bourgeoise. Il retira sa main, il répéta :- Vous avez tort de vous entêter, madame, puisque je trouve moi-même que cevêtement est manqué.Un <strong>des</strong> becs de gaz sifflait ; et, dans l'air étouffé et moite de la pièce, on n'entenditplus que ce souffle ardent. Les glaces de l'armoire reflétaient de larges pans de clartévive sur les tentures de soie rouge, où dansaient les ombres <strong>des</strong> deux femmes.Un flacon de verveine, qu'on avait oublié de reboucher, exhalait une odeur vague etperdue de bouquet qui se fane.- Voilà, madame, tout ce que je puis faire, dit enfin Denise en se relevant.Elle se sentait à bout de forces. Deux fois, elle s'était enfoncé les épingles dans lesmains, <strong>com</strong>me aveuglée, les yeux troubles. Était-il du <strong>com</strong>plot ? l'avait-il fait venir,pour se venger de ses refus, en lui montrant que d'autres femmes l'aimaient ? Et cettepensée la glaçait, elle ne se souvenait pas d'avoir jamais eu besoin d'autant decourage, même aux heures terribles de son existence où le pain lui avait manqué.Ce n'était rien encore d'être humiliée ainsi, mais de le voir presque aux bras d'uneautre, <strong>com</strong>me si elle n'eût pas été là ! Henriette s'examinait devant la glace. Denouveau, elle éclata en paroles dures.- C'est une plaisanterie, mademoiselle. Il va plus mal qu'auparavant... Regardez<strong>com</strong>me il me bride la poitrine. J'ai l'air d'une nourrice.Alors, Denise, poussée à bout, eut une parole fâcheuse.- Madame est un peu forte... Nous ne pouvons pourtant pas faire que madame soitmoins forte.- Forte, forte, répéta Henriette qui blêmissait à son tour.173

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