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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Et, machinalement, son regard fit le tour <strong>des</strong> coins obscurs, passant <strong>des</strong> <strong>com</strong>ptoirs nusaux casiers pleins, puis revint se fixer sur sa femme, qui se tenait toujours droite à lacaisse, dans l'attente vaine de la clientèle disparue.- Allons, c'est la fin, reprit-il. Ils nous ont tué notre <strong>com</strong>merce, et voilà qu'une de leurscoquines nous tue notre fille.Personne ne parla plus. Le roulement <strong>des</strong> voitures, qui ébranlait par instants lesdalles, passait <strong>com</strong>me une batterie funèbre de tambours, dans l'air immobile, étouffésous le plafond bas.Et, au milieu de cette morne tristesse <strong>des</strong> vieilles boutiques agonisantes, on entendit<strong>des</strong> coups sourds, frappés quelque part dans la maison. C'était Geneviève qui venaitde se réveiller et qui tapait avec un bâton, laissé près d'elle.- Montons vite, dit Baudu, se levant en sursaut. Tâche de rire, il ne faut pas qu'ellesache.Lui-même dans l'escalier, se frottait rudement les yeux, pour effacer la trace de seslarmes. Dès qu'il eut ouvert la porte, au premier étage, on entendit une faible voix,une voix éperdue, criant :- Oh ! je ne veux pas être seule... Oh ! ne me laissez pas seule... Oh ! j'ai peur d'êtreseule...Puis, quand elle aperçut Denise, Geneviève se calma, eut un sourire de joie.- Vous voilà donc !... Comme je vous ai attendue, depuis hier ! Je croyais déjà quevous m'abandonniez, vous aussi !C'était une pitié. La chambre de la jeune fille donnait sur la cour, une petite chambreoù tombait une clarté livide.D'abord, les parents avaient couché la malade dans leur propre chambre, sur la rue ;mais la vue du <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, en face, la bouleversait, et ils avaient dû laramener chez elle. Là, elle était allongée, si fluette sous les couvertures, qu'on nesentait même plus la forme et l'existence d'un corps.Ses maigres bras, brûlés de la fièvre ardente <strong>des</strong> phtisiques, avaient un perpétuelmouvement de recherche anxieuse et inconsciente ; tandis que ses cheveux noirs,lourds de passion, semblaient s'être encore épaissis et mangeaient de leur vie voraceson pauvre visage, où agonisait la dégénérescence dernière d'une longue famillepoussée à l'ombre, dans cette cave du vieux <strong>com</strong>merce parisien.Cependant, Denise, le coeur crevé de <strong>com</strong>misération, la regardait. Elle ne parlait pas,de peur de laisser couler ses larmes. Enfin, elle murmura:- Je suis venue tout de suite... Si je pouvais vous être utile ?Vous me demandiez... Voulez-vous que je reste ?Geneviève, l'haleine courte, les mains toujours errantes dans les plis de la couverture,ne la quittait pas <strong>des</strong> yeux.- Non, merci, je n'ai besoin de rien... Je voulais seulement vous embrasser.Des pleurs gonflèrent ses paupières. Alors, Denise, vivement, se pencha, la baisa surles joues, toute frissonnante de se sentir aux lèvres la flamme de ces joues creuses.Mais la malade l'avait prise, et elle l'étreignait, et elle la gardait dans unembrassement désespéré. Puis, ses regards allèrent vers son père. - Voulez-vous queje reste ? répéta Denise. Si vous aviez quelque chose à faire ?- Non, non.Les regards de Geneviève se tournaient obstinément vers son père, qui demeuraitdebout, l'air hébété, la gorge étranglée. Il finit par <strong>com</strong>prendre, il se retira, sansprononcer un mot, et l'on entendit son pas <strong>des</strong>cendre pesamment les marches.- Dites-moi, il est avec cette femme ? demanda la malade tout de suite, en saisissantla main de sa cousine, qu'elle fit asseoir au bord de la couchette. Oui, j'ai voulu vousvoir, il n'y a que vous pour me dire... N'est-ce pas, ils vivent ensemble ?Denise, dans la surprise de ces questions, balbutia, dut avouer la vérité, les bruits quicouraient au magasin. Clara, ennuyée de ce garçon qui lui tombait sur le dos, lui avaitdéjà fermé sa porte ; et Colomban, désolé, la poursuivait partout, tâchait d'obtenir198

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