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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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- Non, non, laissez-moi, bégayait Denise. Si vous saviez <strong>com</strong>me j'ai du chagrin !Depuis que j'ai reçu cette lettre, je ne vis plus... Laissez-moi pleurer, cela me soulage.Très apitoyée, sans <strong>com</strong>prendre pourtant, la lingère chercha <strong>des</strong> consolations.D'abord, il ne voyait plus Clara.On disait bien qu'il allait chez une dame au-dehors, mais ce n'était pas prouvé. Puis,elle expliqua qu'on ne pouvait être jalouse d'un homme dans une pareille position. Ilavait trop d'argent, il était le maître après tout. Denise l'écoutait ; et, si elle avaitencore ignoré son amour, elle n'en aurait plus douté à la souffrance dont le nom deClara et l'allusion à Mme Desforges lui tordirent le coeur. Elle entendait la voixmauvaise de Clara, elle revoyait Mme Desforges la promener dans les magasins, avecson mépris de dame riche.- Alors, vous iriez, vous ? demanda-t-elle.Pauline, sans se consulter, cria :- Sans doute, est-ce qu'on peut faire autrement !Puis, elle réfléchit, elle ajouta :- Pas maintenant, autrefois, parce que maintenant je vais me marier avec Baugé, etce serait mal tout de même.En effet, Baugé, qui avait quitté depuis peu le Bon Marché pour le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong><strong>Dames</strong>, allait l'épouser, vers le milieu du mois. Bourdoncle n'aimait guère lesménages; cependant, ils avaient l'autorisation, ils espéraient même obtenir un congéde quinze jours.- Vous voyez bien, déclara Denise. Quand un homme vous aime, il vous épouse...Baugé vous épouse.Pauline eut un bon rire.- Mais, ma chérie, ce n'est pas la même chose. Baugé m'épouse, parce que c'estBaugé. Il est mon égal, ça va tout seul... Tandis que M. Mouret ! Est-ce que M. Mouretpeut épouser ses vendeuses ?- Oh! non, oh ! non, cria la jeune fille révoltée par l'absurdité de la question, et c'estpourquoi il n'aurait pas dû m'écrire.Ce raisonnement acheva d'étonner la lingère. Son visage épais, aux petits yeuxtendres, prenait une <strong>com</strong>misération maternelle. Puis, elle se leva, ouvrit le piano, jouadoucement avec un seul doigt Le Roi Dagobert, pour égayer la situation sans doute.Dans la nudité du salon, dont les housses blanches semblaient augmenter le vide,montaient les bruits de la rue, la mélopée lointaine d'une marchande criant <strong>des</strong> poisverts.Denise s'était renversée au fond du canapé, la tête contre le bois, secouée par unenouvelle crise de sanglots, qu'elle étouffait dans son mouchoir.- Encore ! reprit Pauline, en se retournant. Vous n'êtes vraiment pas raisonnable...Pourquoi m'avez-vous amenée ici ?Nous aurions mieux fait de rester dans votre chambre.Elle s'agenouilla devant elle, re<strong>com</strong>mença à la sermonner.Que d'autres auraient voulu être à sa place ! D'ailleurs, si la chose ne lui plaisait pas,c'était bien simple : elle n'avait qu'à dire non, sans se chagriner si fort. Mais elleréfléchirait, avant de risquer sa position par un refus que rien n'expliquait, puisqu'ellen'avait pas d'engagement ailleurs. Était-ce donc si terrible ? et la semonce finissait par<strong>des</strong> plaisanteries chuchotées gaiement, lorsqu'un bruit de pas vint du corridor.Pauline courut à la porte jeter un coup d'oeil.- Chut ! Mme <strong>Au</strong>rélie ! murmura-t-elle. Je me sauve... Et vous, essuyez vos yeux. Onn'a pas besoin de savoir.Quand Denise fut seule, elle se mit debout, renfonça ses larmes ; et, les mainstremblantes encore, de peur d'être surprise ainsi, elle ferma le piano, que son amieavait laissé ouvert. Mais elle entendit Mme <strong>Au</strong>rélie frapper à sa porte.Alors, elle quitta le salon.149

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