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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Il brandissait son outil, ses cheveux blancs s'envolaient sous un vent de colère.- Cependant, risquait doucement Denise, sans lever les yeux, si l'on vous offrait unesomme raisonnable, il serait plus sage d'accepter. Alors, son obstination féroceéclatait.- Jamais !... La tête sous le couteau, je dirai non, tonnerre de Dieu !... J'ai encore dixans de bail, ils n'auront pas la maison avant dix ans, lorsque je devrais crever de faimentre les quatre murs vi<strong>des</strong>... Deux fois déjà, ils sont venus pour m'entortiller. Ilsm'offraient douze mille francs de mon fonds et les années à courir du bail, dix-huitmille francs, en tout trente mille... Pas pour cinquante mille ! Je les tiens, je veux lesvoir lécher la terre devant moi!- Trente mille francs, c'est beau, reprenait Denise. Vous pourriez aller vous établir plusloin... Et s'ils achetaient la maison ?Bourras, qui terminait la langue de son dogue, s'absorbait une minute, avec un rired'enfant vaguement épandu sur sa face neigeuse de Père éternel. Puis, il repartait.- La maison, pas de danger !... Ils parlaient de l'acheter l'année dernière, ils endonnaient quatre-vingt mille francs, le double de ce qu'elle vaut aujourd'hui. Mais lepropriétaire, un ancien fruitier, un gredin <strong>com</strong>me eux, a voulu les faire chanter. Et,d'ailleurs, ils se méfient de moi, ils savent bien que je céderais encore moins... Non !non ! j'y suis, j'y reste!L'empereur, avec tous ses canons, ne m'en délogerait pas.Denise n'osait plus souffler. Elle continuait de tirer son aiguille, pendant que le vieillardlâchait d'autres phrases entrecoupées, entre deux entailles de son canif: ça<strong>com</strong>mençait à freine, on verrait plus tard <strong>des</strong> choses extraordinaires, il avait <strong>des</strong> idéesqui balayeraient leur <strong>com</strong>ptoir de parapluies ; et, au fond de son obstination, grondaitla révolte du petit fabricant personnel, contre l'envahissement banal <strong>des</strong> articles debazar.Pépé, cependant, finissait par grimper sur les genoux de Bourras. Il tendait, vers latête de dogue, <strong>des</strong> mains impatientes.- Donne, monsieur.- Tout à l'heure, mon petit, répondait le vieux d'une voix qui devenait tendre. Il n'apas d'yeux, il faut lui faire <strong>des</strong> yeux, maintenant.Et, tout en fignolant un oeil, il s'adressait de nouveau à Denise.- Les entendez-vous ?... Ronflent-ils. encore, à côté ! c'est ça qui m'exaspère le plus,parole d'honneur ! de les avoir sans cesse dans le dos, avec leur sacrée musique delo<strong>com</strong>otive.Sa petite table en tremblait, disait-il. Toute la boutique était secouée, il passait sesaprès-midi sans un client, dans la trépidation de la foule qui s'écrasait au <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong><strong>Dames</strong>.C'était un sujet d'éternel rabâchage. Encore une bonne journée, on tapait derrière lemur, la soierie avait dû faire dix mille francs ; ou bien, il se gaudissait, le mur étaitresté froid, un coup de pluie avait tué la recette. Et les moindres rumeurs, les soufflesles plus faibles, lui fournissaient ainsi <strong>des</strong> <strong>com</strong>mentaires sans fin.- Tenez, on a glissé. Ah ! s'ils pouvaient tous se casser les reins !... Ça, ma chère, cesont <strong>des</strong> dames qui se disputent. Tant mieux ! tant mieux !... Hein ! entendez-vous lespaquets tomber dans les sous-sols ? C'est dégoûtant !Il ne fallait pas que Denise discutât ses explications, car il rappelait alors amèrementla manière indigne dont on l'avait congédiée. Puis, elle devait lui conter, pour lacentième fois, son passage aux confections, les souffrances du début, les petiteschambres malsaines, la mauvaise nourriture, la continuelle bataille <strong>des</strong> vendeurs ; et,tous deux, du matin au soir, ne parlaient ainsi que du magasin, le buvaient à chaqueheure dans l'air même qu'ils respiraient.- Donne, monsieur, répétait ardemment Pépé, les mains toujours tendues.La tête de dogue était finie, Bourras la reculait, l'avançait, avec une gaieté bruyante.- Prends garde, il va te mordre... Là, amuse-toi, et ne le casse pas, si c'est possible.103

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