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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Il reposa son verre gauchement, il se mit à sucer les feuilles d'artichaut qu'il avaitmangées déjà.- Passez donc la carafe à Deloche, dit tranquillement Mignot. Il a soif.Les rires redoublèrent. Ces messieurs prenaient <strong>des</strong> assiettes propres aux piles qui sedressaient sur la table, de distance en distance : tandis que les garçons promenaientle <strong>des</strong>sert, <strong>des</strong> pêches dans <strong>des</strong> corbeilles. Et tous se tinrent les côtes, lorsque Mignotajouta :- Chacun son goût, Deloche mange la pêche au vin.Celui-ci restait immobile. La tête basse, <strong>com</strong>me sourd, il ne semblait pas entendre lesplaisanteries, il éprouvait un regret désespéré de ce qu'il venait de faire. Ces gensavaient raison, à quel titre la défendait-il? on allait croire toutes sortes de vilaineschoses, il se serait battu lui-même, de l'avoir ainsi <strong>com</strong>promise, en voulantl'innocenter. C'était sa chance habituelle, il aurait mieux fait de crever tout de suite,car il ne pouvait même céder à son coeur, sans <strong>com</strong>mettre <strong>des</strong> bêtises. Des larmes luimontaient aux yeux. N'était-ce pas également sa faute, si le magasin causait de lalettre écrite par le patron ? Il les entendait bien ricaner, avec <strong>des</strong> mots crus sur cetteinvitation, dont Liénard seul avait reçu la confidence ; et il s'accusait, il n'aurait pas dûlaisser parler Pauline devant ce dernier, il se rendait responsable de l'indiscrétion<strong>com</strong>mise.- Pourquoi avez-vous raconté ça ? murmura-t-il enfin d'une voix douloureuse. C'esttrès mal.- Moi! répondit Liénard, mais je ne l'ai dit qu'à une ou deux personnes, en exigeant lesecret... Est-ce qu'on sait <strong>com</strong>ment les choses se répandent !Lorsque Deloche se décida à boire un verre d'eau, toute la table éclata encore. Onfinissait, les employés, renversés sur leurs chaises, attendaient le coup de cloche,s'interpellant de loin dans l'abandon du repas. <strong>Au</strong> grand <strong>com</strong>ptoir central, on avaitdemandé peu de suppléments, d'autant plus que, ce jour-là, c'était la maison quipayait le café. Les tasses fumaient, <strong>des</strong> visages en sueur luisaient sous les vapeurslégères, flottantes <strong>com</strong>me <strong>des</strong> nuées bleues de cigarettes. <strong>Au</strong>x fenêtres, les storestombaient, immobiles, sans un battement. Un d'eux remonta, une nappe de soleiltraversa la salle, incendia le plafond. Le brouhaha <strong>des</strong> voix battait les murs d'un telbruit, que le coup de cloche ne fut d'abord entendu que <strong>des</strong> tables voisines de laporte. On se leva, la débandade de la sortie emplit longuement les corridors.Cependant, Deloche était resté en arrière, pour échapper aux mots d'esprit quicontinuaient. Baugé sortit même avant lui ; et Baugé d'habitude quittait la salle ledernier, faisait un détour et rencontrait Pauline, au moment où celle-ci se rendait auréfectoire <strong>des</strong> dames : c'était une manoeuvre arrêtée entre eux, la seule manière <strong>des</strong>e voir une minute, durant les heures de travail. Mais, ce jour-là, <strong>com</strong>me ils sebaisaient à pleine bouche, dans un angle du corridor, Denise qui montait égalementdéjeuner, les surprit. Elle marchait d'un pas difficile, à cause de son pied.- Oh! ma chère, balbutia Pauline très rouge, ne dites rien, n'est-ce pas ?Baugé, avec ses gros membres, sa carrure de géant, tremblait ainsi qu'un petitgarçon. Il murmura :- C'est qu'ils nous flanqueraient très bien dehors... Notre mariage a beau êtreannoncé, ils ne <strong>com</strong>prennent pas qu'on s'embrasse, ces animaux-là !Denise, toute remuée, affecta de ne pas les avoir vus. Et Baugé se sauvait, lorsqueDeloche, qui prenait le plus long, parut à son tour. Il voulut s'excuser, il balbutia <strong>des</strong>phrases que Denise ne saisit pas d'abord. Puis, <strong>com</strong>me il reprochait à Pauline d'avoirparlé devant Liénard, et que celle-ci demeurait embarrassée, la jeune fille eut enfinl'explication <strong>des</strong> mots qu'on chuchotait derrière elle, depuis le matin. C'était l'histoirede la lettre qui circulait. Elle fut reprise du frisson dont cette lettre l'avait secouée, ellese voyait déshabillée par tous les hommes.- Moi, je ne savais pas, répétait Pauline. D'ailleurs, il n'y a rien là-dedans de vilain...On laisse causer, ils ragent tous, pardi !159

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