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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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pauvre et maladroite. Et elle, pendant qu'il la sermonnait, ayant aperçu le portrait deMme Hédouin, dont le beau visage régulier souriait gravement dans le cadre d'or, setrouvait reprise d'un frisson, malgré les paroles encourageantes qu'il lui adressait.C'était la dame morte, celle que le quartier l'accusait d'avoir tuée, pour fonder lamaison sur le sang de ses membres.Mouret parlait toujours.- Allez, dit-il enfin, assis et continuant à écrire.Elle s'en alla, elle eut dans le corridor un soupir de profond soulagement.À partir de ce jour, Denise montra son grand courage. Sous les crises de sa sensibilité,il y avait une raison sans cesse agissante, toute une bravoure d'être faible et seul,s'obstinant gaiement au devoir qu'elle s'imposait. Elle faisait peu de bruit, elle allaitdevant elle, droit à son but, par-<strong>des</strong>sus les obstacles ; et cela simplement,naturellement, car sa nature même était dans cette douceur invincible.D'abord, elle eut à surmonter les terribles fatigues du rayon.Les paquets de vêtements lui cassaient les bras, au point que, pendant les sixpremières semaines, elle criait la nuit en se retournant, courbaturée, les épaulesmeurtries. Mais elle souffrit plus encore de ses souliers, de gros souliers apportés deValognes, et que le manque d'argent l'empêchait de remplacer par <strong>des</strong> bottineslégères. Toujours debout, piétinant du matin au soir, grondée si on la voyait s'appuyerune minute contre la boiserie, elle avait les pieds enflés, <strong>des</strong> petits pieds de fillette quisemblaient broyés dans <strong>des</strong> brodequins de torture ; les talons battaient de fièvre, laplante s'était couverte d'ampoules, dont la peau arrachée se collait à ses bas. Puis,elle éprouvait un délabrement du corps entier, les membres et les organes tirés parcette lassitude <strong>des</strong> jambes, de brusques troubles dans son sexe de femme, quetrahissaient les pâles couleurs de sa chair. Et elle, si mince, l'air si fragile, résista,pendant que beaucoup de vendeuses devaient quitter les nouveautés, atteintes demaladies spéciales. Sa bonne grâce à souffrir, l'entêtement de sa vaillance lamaintenaient souriante et droite, lorsqu'elle défaillait, à bout de forces, épuisée par untravail auquel <strong>des</strong> hommes auraient suc<strong>com</strong>bé.Ensuite, son tourment fut d'avoir le rayon contre elle. <strong>Au</strong> martyre physique s'ajoutaitla sourde persécution de ses camara<strong>des</strong>. Après deux mois de patience et de douceur,elle ne les avait pas encore désarmées. C'étaient <strong>des</strong> mots blessants, <strong>des</strong> inventionscruelles, une mise à l'écart qui la frappait au coeur; dans son besoin de tendresse. Onl'avait longtemps plaisantée sur son début fâcheux ; les mots de "sabot", de "tête depioche" circulaient, celles qui manquaient une vente étaient envoyées à Valognes, ellepassait enfin pour la bête du <strong>com</strong>ptoir. Puis, lorsqu'elle se révéla plus tard <strong>com</strong>me unevendeuse remarquable, au courant désormais du mécanisme de la maison, il y eut unestupeur indignée ; et, à partir de ce moment, ces demoiselles s'entendirent demanière à ne jamais lui laisser une cliente sérieuse. Marguerite et Clara lapoursuivaient d'une haine instinctive, serraient les rangs pour ne pas être mangéespar cette nouvelle venue, qu'elles redoutaient sous leur affectation de dédain. Quant àMme <strong>Au</strong>rélie, elle était blessée de la réserve fière de la jeune fille, qui ne tournait pasautour de sa jupe d'un air d'admiration caressante; aussi l'abandonnait-elle auxrancunes de ses favorites, <strong>des</strong> préférées de sa Cour, toujours agenouillées, occupées àla nourrir d'une flatterie continue, dont sa forte personne autoritaire avait besoin pours'épanouir. Un instant, la seconde, Mme Frédéric, parut ne pas entrer dans le <strong>com</strong>plot;mais ce devait être par inadvertance, car elle se montra également dure, dès qu'elles'aperçut <strong>des</strong> ennuis où ses bonnes manières pouvaient la mettre.Alors l'abandon fut <strong>com</strong>plet, toutes s'acharnèrent sur "la mal peignée ", celle-ci vécutdans une lutte de chaque heure, n'arrivant avec tout son courage qu'à se maintenir aurayon, difficilement.Maintenant, telle était sa vie. Il lui fallait sourire, faire la brave et la gracieuse, dansune robe de soie qui ne lui appartenait point; et elle agonisait de fatigue, mal nourrie,mal traitée, sous la continuelle menace d'un renvoi brutal. Sa chambre était son66

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