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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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avaient déjà battu le quartier, le concierge de la maison s'était mis en campagne à sontour.- Ne vous inquiétez pas, répétait Denise machinalement, sanglotant elle aussi.Alors, Mme Robineau, assise par terre, la tête à la hauteur du brancard, la joue contrela sangle où gisait son mari, soulagea son coeur.- Oh ! si je vous racontais... C'est pour moi qu'il a voulu mourir. Il me disait sanscesse : " Je t'ai volée, l'argent venait de toi. " Et, la nuit, il rêvait de ces soixante millefrancs, il se réveillait en sueur, se traitait d'incapable. Quand on n'avait pas plus detête, on ne risquait pas la fortune <strong>des</strong> autres. Vous savez qu'il a toujours été nerveux,l'esprit tourmenté. Il finissait par voir <strong>des</strong> choses qui me faisaient peur, il m'apercevaitdans la rue, en guenilles, mendiant, moi qu'il aimait si fort, qu'il désirait riche,heureuse...Mais, en tournant la tête, elle le retrouva les yeux ouverts ; et elle continua, de savoix bégayante :- Oh! mon chéri, pourquoi as-tu fait cela ?... Tu me crois donc bien vilaine ? Va, çam'est égal, que nous soyons ruinés.Pourvu qu'on soit ensemble, on n'est pas malheureux... Laisse-les donc tout prendre.Allons-nous-en quelque part, où tu n'entendras plus parler d'eux. Tu travailleras quandmême, tu verras <strong>com</strong>me ce sera bon encore.Son front était tombé près du visage pâle de son mari, tous deux se taisaientmaintenant, dans l'attendrissement de leur angoisse. Il y eut un silence, la boutiquesemblait dormir, engourdie par le crépuscule blafard qui la noyait ; tandis qu'onentendait, derrière la tôle mince de la fermeture le fracas de la rue, la vie du plein jourpassant avec le grondement <strong>des</strong> voitures et la bousculade <strong>des</strong> trottoirs. Enfin, Denise,qui allait, à chaque minute, jeter un coup d'oeil par la petite porte ouvrant sur levestibule de la maison, revint en criant :- Le médecin ! C'était un jeune homme, aux yeux vifs, que le concierge ramenait. Ilpréféra visiter le blessé avant qu'on le couchât. Une seule <strong>des</strong> jambes, la gauche, setrouvait cassée, au-<strong>des</strong>sus de la cheville. La rupture était simple, aucune <strong>com</strong>plicationne semblait à craindre. Et l'on se disposait à porter le brancard au fond, dans lachambre, lorsque Gaujean se présenta. Il venait rendre <strong>com</strong>pte d'une dernièredémarche, dans laquelle du reste il avait échoué : la déclaration de faillite étaitdéfinitive.- Quoi donc ? murmura-t-il, qu'est-il arrivé ?D'un mot, Denise le renseigna. Alors, il resta gêné. Robineau lui dit faiblement :- Je ne vous en veux pas, mais tout cela est un peu de votre faute.- Dame ! mon cher, répondit Gaujean, il fallait avoir <strong>des</strong> reins plus soli<strong>des</strong> que lesnôtres... Vous savez que je ne suis guère mieux portant que vous.On soulevait le brancard. Le blessé trouva encore la force de dire :- Non, non, <strong>des</strong> reins plus soli<strong>des</strong> auraient plié tout de même... Je <strong>com</strong>prends que lesvieux entêtés, <strong>com</strong>me Bourras et Baudu, y restent ; mais nous autres, qui étionsjeunes, qui acceptions le nouveau train <strong>des</strong> choses !... Non, voyez-vous, Gaujean,c'est la fin d'un monde.On l'emporta. Mme Robineau embrassa Denise, dans un élan où il y avait presque dela joie, à être enfin débarrassée du tracas <strong>des</strong> affaires. Et, <strong>com</strong>me Gaujean se retiraitavec la jeune fille, il lui confessa que ce pauvre diable de Robineau avait raison. C'étaitimbécile de vouloir lutter contre le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>. Lui, personnellement, sesentait perdu, s'il ne rentrait pas en grâce. Déjà, la veille, il avait fait une démarchesecrète auprès de Hutin, qui justement allait partir pour Lyon.Mais il désespérait, et il tâcha d'intéresser Denise, au courant sans doute de sapuissance.- Ma foi ! répétait-il, tans pis pour la fabrication ! On se moquerait de moi, si je meruinais en bataillant davantage dans l'intérêt <strong>des</strong> autres, lorsque les gaillards sedisputent à qui fabriquera le moins cher... Mon Dieu ! <strong>com</strong>me vous le disiez autrefois,207

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