qui l'usait terriblement; une tache lui donnait la fièvre, le moindre accroc devenait unecatastrophe. Et rien à elle, pas un sou, pas de quoi acheter les menus objets dont unefemme a besoin; elle avait dû attendre quinze jours pour renouveler sa provision de filet d'aiguilles. <strong>Au</strong>ssi étaient-ce <strong>des</strong> désastres, lorsque Jean, avec ses histoires d'amour,tombait tout d'un coup et saccageait le budget. Une pièce de vingt sous emportéecreusait un gouffre. Quant à trouver dix francs le lendemain, il ne fallait pas y songerun instant. Jusqu'au petit jour, elle eut <strong>des</strong> cauchemars, Pépé jeté à la rue, tandisqu'elle retournait les pavés de ses doigts meurtris, pour voir s'il n'y avait pas del'argent <strong>des</strong>sous.Le lendemain, justement, elle eut à sourire, à jouer son rôle de fille bien mise. Desclientes connues vinrent au rayon, Mme <strong>Au</strong>rélie l'appela plusieurs fois, lui jeta sur lesépaules <strong>des</strong> manteaux, afin qu'elle en fit valoir les coupes nouvelles. Et, tandis qu'ellese cambrait, avec <strong>des</strong> grâces imposées de gravures de mode, elle songeait auxquarante francs de la pension de Pépé, qu'elle avait promis de payer le soir. Elle sepasserait bien encore de bottines, ce mois-là ; mais, en joignant même aux trentefrancs qui lui restaient, les quatre francs mis de côté sou à sou, cela ne lui feraitjamais que trente-quatre francs; et, où prendrait-elle six francs pour <strong>com</strong>pléter lasomme ? C'était une angoisse dont son coeur défaillait.- Remarquez, les épaules sont libres, disait Mme <strong>Au</strong>rélie.C'est très distingué et très <strong>com</strong>mode... Mademoiselle peut croiser les bras.- Oh ! parfaitement, répétait Denise, qui gardait un air aimable. On ne le sent pas...Madame en sera contente.Maintenant, elle se reprochait d'être allée, l'autre dimanche, chercher Pépé chez MmeGras, pour le promener aux Champs-Élysées. Le pauvre enfant sortait si rarementavec elle ! Mais il avait fallu lui acheter du pain d'épice et une pelle, puis le mener voirGuignol ; et tout de suite cela était monté à vingt-neuf sous. Vraiment, Jean nesongeait guère au petit, lorsqu'il faisait <strong>des</strong> sottises. Ensuite, tout retombait sur elle.- Du moment qu'il ne plaît pas à madame..., reprenait la première. Tenez!mademoiselle, mettez la rotonde, afin que madame juge.Et Denise marchait à petit pas, la rotonde aux épaules, en disant :- Elle est plus chaude... C'est la mode de cette année.Jusqu'au soir, derrière sa bonne grâce de métier, elle se tortura ainsi pour savoir oùtrouver de l'argent. Ces demoiselles, débordées, lui laissèrent faire une venteimportante ; mais on était au mardi, il fallait attendre quatre jours, avant de toucherla semaine. Après le dîner, elle résolut de remettre au lendemain sa visite chez MmeGras. Elle s'excuserait, dirait avoir été retenue ; et d'ici là, peut-être aurait-elle les sixfrancs.Comme Denise évitait les moindres dépenses, elle montait se coucher de bonne heure.Que pouvait-elle faire sur les trottoirs, sans un sou, avec sa sauvagerie, et toujoursinquiétée par la grande ville, où elle ne connaissait que les rues voisines du magasin?Après s'être risquée jusqu'au Palais-Royal, pour prendre l'air, elle rentrait vite,s'enfermait, se mettait à coudre ou à savonner. C'était, le long du couloir <strong>des</strong>chambres; une promiscuité de caserne, <strong>des</strong> filles souvent peu soignées, <strong>des</strong><strong>com</strong>mérages d'eaux de toilette et de linges sales, toute une aigreur qui se dépensaiten brouilles et en rac<strong>com</strong>modements continuels. Du reste, défense de remonterpendant le jour ; elles ne vivaient pas là, elles y logeaient la nuit, n'y rentrant le soirqu'à la dernière minute, s'en échappant le matin, endormies encore, mal réveillées parun débarbouillage rapide ; et ce coup de vent qui balayait sans cesse le couloir, lafatigue <strong>des</strong> treize heures de travail qui les jetait au lit sans un souffle, achevaient dechanger les <strong>com</strong>bles en une auberge traversée par la maussaderie éreintée d'unedébandade de voyageurs. Denise n'avait pas d'amie. De toutes ces demoiselles, uneseule, Pauline Cugnot, lui témoignait quelque tendresse; et encore, les rayons <strong>des</strong>confections et de la lingerie, installés côte à côte, se trouvant en guerre ouverte, la68
sympathie <strong>des</strong> deux vendeuses avait dû jusque-là se borner à de rares paroles,échangées en courant.Pauline occupait bien une chambre voisine, à droite de la chambre de Denise ; mais,<strong>com</strong>me elle disparaissait au sortir de table et ne revenait pas avant onze heures, cettedernière l'entendait seulement se mettre au lit, sans jamais la rencontrer, en dehors<strong>des</strong> heures de travail.Cette nuit-là, Denise s'était résignée à faire de nouveau le cordonnier. Elle tenait sessouliers, les examinait, regardait <strong>com</strong>ment elle pourrait les mener au bout du mois.Enfin, avec une forte aiguille, elle avait pris le parti de recoudre les semelles, quimenaçaient de quitter l'empeigne. Pendant ce temps, un col et <strong>des</strong> manchestrempaient dans la cuvette, pleine d'eau de savon.Chaque soir, elle entendait les mêmes bruits, ces demoiselles qui rentraient une àune, de courtes conversations chuchotées, <strong>des</strong> rires, parfois <strong>des</strong> querelles, qu'onétouffait. Puis, les lits craquaient, il y avait <strong>des</strong> bâillements ; et les chambrestombaient à un lourd sommeil. Sa voisine de gauche rêvait souvent tout haut, ce quil'avait effrayée d'abord. Peut-être, d'autres, à son exemple, veillaient-elles pour serac<strong>com</strong>moder, malgré le règlement; mais ce devait être avec les précautions qu'elleprenait elle-même, les gestes ralentis, les moindres chocs évités, car un silencefrissonnant sortait seul <strong>des</strong> portes closes.Onze heures étaient sonnées depuis dix minutes, lorsqu'un bruit de pas lui fit lever latête. Encore une de ces demoiselles qui se trouvait en retard ! Et elle reconnutPauline, en entendant celle-ci ouvrir la porte d'à côté. Mais elle demeura stupéfaite : lalingère revenait doucement et frappait chez elle.- Dépêchez-vous, c'est moi.Il était défendu aux vendeuses de se recevoir dans leurs chambres. <strong>Au</strong>ssi Denisetourna-t-elle la clef vivement, pour que sa voisine ne fût pas surprise par Mme Cabin,qui veillait à la stricte observation du règlement.- Elle était là ? demanda-t-elle en refermant la porte.- Qui ? Mme Cahin ? dit Pauline. Oh ! ce n'est pas d'elle que j'ai peur... Avec cent sous!Puis elle ajouta :- Voici longtemps que je veux causer. En bas, on ne peut jamais... Puis, vous m'avezeu l'air si triste, ce soir, à table !Denise la remerciait, la priait de s'asseoir, touchée de son air de bonne fille. Mais,dans le trouble où cette visite imprévue la mettait, elle n'avait pas lâché le soulierqu'elle était en train de recoudre ; et les yeux de Pauline tombèrent sur ce soulier. Ellehocha la tête, regarda autour d'elle, aperçut les manches et le col dans la cuvette.- Ma pauvre enfant, je m'en doutais, reprit-elle. Allez!je connais ça. Dans les premiers temps, quand je suis arrivée de Chartres, et que lepère Cugnot ne m'envoyait pas un sou, j'en ai lavé de ces chemises ! Oui, oui, jusqu'àmes chemises ! J'en avais deux, vous en auriez toujours trouvé une qui trempait.Elle s'était assise, essoufflée d'avoir couru. Sa large face, aux petits yeux vifs, à lagrande bouche tendre, avait une grâce, sous l'épaisseur <strong>des</strong> traits. Et, sans transition,tout d'un coup, elle conta son histoire : sa jeunesse au moulin, le père Cugnot ruinépar un procès, et qui l'avait envoyée à Paris faire fortune, avec vingt francs dans lapoche ; ensuite, ses débuts <strong>com</strong>me vendeuse, d'abord au fond d'un magasin <strong>des</strong>Batignolles, puis au <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, de terribles débuts, toutes les blessures ettoutes les privations ; enfin, sa vie actuelle, les deux cents francs qu'elle gagnait parmois, les plaisirs qu'elle prenait, l'insouciance où elle laissait couler ses journées. Desbijoux, une broche, une chaîne de montre, luisaient sur sa robe de drap gros bleu,pincée coquettement à la taille ; et elle souriait sous sa toque de velours, ornée d'unegrande plume grise.Denise était devenue très rouge, avec son soulier. Elle voulait balbutier uneexplication.69
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