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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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sympathie <strong>des</strong> deux vendeuses avait dû jusque-là se borner à de rares paroles,échangées en courant.Pauline occupait bien une chambre voisine, à droite de la chambre de Denise ; mais,<strong>com</strong>me elle disparaissait au sortir de table et ne revenait pas avant onze heures, cettedernière l'entendait seulement se mettre au lit, sans jamais la rencontrer, en dehors<strong>des</strong> heures de travail.Cette nuit-là, Denise s'était résignée à faire de nouveau le cordonnier. Elle tenait sessouliers, les examinait, regardait <strong>com</strong>ment elle pourrait les mener au bout du mois.Enfin, avec une forte aiguille, elle avait pris le parti de recoudre les semelles, quimenaçaient de quitter l'empeigne. Pendant ce temps, un col et <strong>des</strong> manchestrempaient dans la cuvette, pleine d'eau de savon.Chaque soir, elle entendait les mêmes bruits, ces demoiselles qui rentraient une àune, de courtes conversations chuchotées, <strong>des</strong> rires, parfois <strong>des</strong> querelles, qu'onétouffait. Puis, les lits craquaient, il y avait <strong>des</strong> bâillements ; et les chambrestombaient à un lourd sommeil. Sa voisine de gauche rêvait souvent tout haut, ce quil'avait effrayée d'abord. Peut-être, d'autres, à son exemple, veillaient-elles pour serac<strong>com</strong>moder, malgré le règlement; mais ce devait être avec les précautions qu'elleprenait elle-même, les gestes ralentis, les moindres chocs évités, car un silencefrissonnant sortait seul <strong>des</strong> portes closes.Onze heures étaient sonnées depuis dix minutes, lorsqu'un bruit de pas lui fit lever latête. Encore une de ces demoiselles qui se trouvait en retard ! Et elle reconnutPauline, en entendant celle-ci ouvrir la porte d'à côté. Mais elle demeura stupéfaite : lalingère revenait doucement et frappait chez elle.- Dépêchez-vous, c'est moi.Il était défendu aux vendeuses de se recevoir dans leurs chambres. <strong>Au</strong>ssi Denisetourna-t-elle la clef vivement, pour que sa voisine ne fût pas surprise par Mme Cabin,qui veillait à la stricte observation du règlement.- Elle était là ? demanda-t-elle en refermant la porte.- Qui ? Mme Cahin ? dit Pauline. Oh ! ce n'est pas d'elle que j'ai peur... Avec cent sous!Puis elle ajouta :- Voici longtemps que je veux causer. En bas, on ne peut jamais... Puis, vous m'avezeu l'air si triste, ce soir, à table !Denise la remerciait, la priait de s'asseoir, touchée de son air de bonne fille. Mais,dans le trouble où cette visite imprévue la mettait, elle n'avait pas lâché le soulierqu'elle était en train de recoudre ; et les yeux de Pauline tombèrent sur ce soulier. Ellehocha la tête, regarda autour d'elle, aperçut les manches et le col dans la cuvette.- Ma pauvre enfant, je m'en doutais, reprit-elle. Allez!je connais ça. Dans les premiers temps, quand je suis arrivée de Chartres, et que lepère Cugnot ne m'envoyait pas un sou, j'en ai lavé de ces chemises ! Oui, oui, jusqu'àmes chemises ! J'en avais deux, vous en auriez toujours trouvé une qui trempait.Elle s'était assise, essoufflée d'avoir couru. Sa large face, aux petits yeux vifs, à lagrande bouche tendre, avait une grâce, sous l'épaisseur <strong>des</strong> traits. Et, sans transition,tout d'un coup, elle conta son histoire : sa jeunesse au moulin, le père Cugnot ruinépar un procès, et qui l'avait envoyée à Paris faire fortune, avec vingt francs dans lapoche ; ensuite, ses débuts <strong>com</strong>me vendeuse, d'abord au fond d'un magasin <strong>des</strong>Batignolles, puis au <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>, de terribles débuts, toutes les blessures ettoutes les privations ; enfin, sa vie actuelle, les deux cents francs qu'elle gagnait parmois, les plaisirs qu'elle prenait, l'insouciance où elle laissait couler ses journées. Desbijoux, une broche, une chaîne de montre, luisaient sur sa robe de drap gros bleu,pincée coquettement à la taille ; et elle souriait sous sa toque de velours, ornée d'unegrande plume grise.Denise était devenue très rouge, avec son soulier. Elle voulait balbutier uneexplication.69

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