un vêtement sur mesure, il vaudra ceux de Sauveur, et vous le payerez la moitiémoins cher. Mais voilà, c'est justement parce qu'il est moins cher, qu'il est moins bien.- Alors, elle ne va pas, cette confection? reprit Mme de Boves. Maintenant, jereconnais la demoiselle... Il fait un peu sombre, dans votre antichambre.- Oui, ajouta Mme Marty, je cherchais où j'avais déjà vu cette tournure... Eh bien !allez, ma chère, ne vous gênez pas avec nous.Henriette eut un geste de dédaigneuse insouciance.- Oh ! tout à l'heure, rien ne presse.Ces dames continuèrent la discussion sur les vêtements <strong>des</strong> grands magasins. Puis,Mme de Boves parla de son mari, qui, disait-elle, venait de partir en inspection, pourvisiter le dépôt d'étalons de Saint-Lô, et, justement, Henriette racontait que la maladied'une tante avait appelé la veille Mme Guibal en Franche-Comté. Du reste, elle ne<strong>com</strong>ptait pas non plus, ce jour-là, sur Mme Bourdelais, qui, toutes les fins de mois,s'enfermait avec une ouvrière, afin de passer en revue le linge de son petit monde.Cependant, Mme Marty semblait agitée d'une sourde inquiétude. La situation de M.Marty était menacée au lycée Bonaparte, à la suite de leçons données par le pauvrehomme, dans <strong>des</strong> institutions louches, où se faisait tout un négoce sur les diplômes debachelier ; il battait monnaie <strong>com</strong>me il pouvait, fiévreusement, pour suffire aux ragesde dépense qui saccageaient son ménage; et elle, en le voyant pleurer un soir, devantla crainte d'un renvoi, avait eu l'idée d'employer son amie Henriette auprès d'undirecteur du Ministère de l'instruction publique, que celle-ci connaissait. Henriette finitpar la tranquilliser d'un mot. Du reste, M. Marty allait venir lui-même connaître sonsort et apporter ses remerciements.- Vous avez l'air indisposé, monsieur Mouret, fit remarquer Mme de Boves.- Le travail ! répéta Vallagnosc avec son flegme ironique.Mouret s'était levé vivement, en homme désolé de s'oublier ainsi. Il prit sa placehabituelle au milieu de ces dames, il retrouva toute sa grâce. Les nouveautés d'hiverl'occupaient, il parla d'un arrivage considérable de dentelles; et Mme de Boves lequestionna sur le prix du point d'Alençon : elle en achèterait peut-être. Maintenant,elle se trouvait réduite à économiser les trente sous d'une voiture, elle rentrait maladede s'être arrêtée devant les étalages. Drapée dans un manteau qui datait déjà de deuxans, elle essayait en rêve sur ses épaules de reine toutes les étoffes chères qu'ellevoyait ; puis, c'était <strong>com</strong>me si on les lui arrachait de la peau, quand elle s'éveillaitvêtue de ses robes retapées, sans espoir de jamais satisfaire sa passion.- M. le baron Hartmann, annonça le domestique.Henriette remarqua de quelle heureuse poignée de main Mouret accueillit le nouveauvenu. Celui-ci salua ces dames, regarda le jeune homme de l'air fin qui éclairait parmoments sa grosse figure alsacienne.- Toujours dans les chiffons! murmura-t-il avec un sourire.Puis, en familier de la maison, il se permit d'ajouter :- Il y a une bien charmante jeune fille, dans l'antichambre...Qui est-ce ?- Oh ! personne, répondit Mme Desforges de sa voix mauvaise. Une demoiselle demagasin qui attend.Mais la porte restait entrouverte, le domestique servait le thé. Il sortait, rentrait denouveau, posait sur le guéridon le service de Chine, puis <strong>des</strong> assiettes de sandwicheset de biscuits. Dans le vaste salon; une lumière vive, adoucie par les plantes vertes,allumait les cuivres, baignait d'une joie tendre la soie <strong>des</strong> meubles ; et, chaque foisque la porte s'ouvrait, on apercevait un coin obscur de l'anti-chambre, éclairéeseulement par <strong>des</strong> vitres dépolies. Là, dans le noir, une forme sombre apparaissait,immobile et patiente. Denise se tenait debout ; il y avait bien une banquetterecouverte de cuir, mais une fierté l'en éloignait. Elle sentait l'injure. Depuis une demiheure,elle était là, sans un geste, sans un mot ; ces dames et le baron l'avaientdévisagée au passage ; maintenant, les voix du salon lui arrivaient par bouffées168
légères, tout ce luxe aimable la souffletait de son indifférence; et elle ne bougeaittoujours pas.Brusquement, dans l'entrebâillement de la porte, elle reconnut Mouret. Lui, venaitenfin de la deviner.- Est-ce une de vos vendeuses? demandait le baron Hartmann.Mouret avait réussi à cacher son grand trouble. L'émotion fit seulement trembler savoix.- Sans doute, mais je ne sais pas laquelle.- C'est la petite blonde <strong>des</strong> confections, se hâta de répondre Mme Marty, celle qui estseconde, je crois.Henriette le regardait à son tour.- Ah ! dit-il simplement.Et il tâcha de parler <strong>des</strong> fêtes données au roi de Prusse, depuis la veille à Paris. Mais lebaron revint avec malice sur les demoiselles <strong>des</strong> grands magasins. Il affectait devouloir s'instruire, il posait <strong>des</strong> questions : d'où venaient-elles en général ?avaient-elles d'aussi mauvaises moeurs qu'on le disait ? Toute une discussions'engagea.- Vraiment, répétait-il, vous les croyez sages ?Mouret défendait leur vertu avec une conviction qui faisait rire Vallagnosc. Alors,Bouthemont intervint, pour sauver son chef. Mon Dieu! il y avait un peu de tout parmielles, <strong>des</strong> coquines et de braves filles. Le niveau de leur moralité montait, d'ailleurs.<strong>Au</strong>trefois, on n'avait guère que les déclassées du <strong>com</strong>merce, les filles vagues etpauvres tombaient dans les nouveautés ; tandis que, maintenant, <strong>des</strong> familles de larue de Sèvres, par exemple, élevaient positivement leurs gamines pour le Bon Marché.En somme, quand elles voulaient se bien conduire, elles le pouvaient ; car ellesn'étaient pas, <strong>com</strong>me les ouvrières du pavé parisien, obligées de se nourrir et de seloger :elles avaient la table et le lit, leur existence se trouvait assurée, une existence trèsdure sans doute. Le pis était leur situation neutre, mal déterminée, entre laboutiquière et la dame.Ainsi jetées dans le luxe, souvent sans instruction première, elles formaient une classeà part, innommée. Leurs misères et leurs vices venaient de là.- Moi, dit Mme de Boves, je ne connais pas de créatures plus désagréables... C'est àles gifler, <strong>des</strong> fois.Et ces dames exhalèrent leur rancune. On se dévorait devant les <strong>com</strong>ptoirs, la femmey mangeait la femme, dans une rivalité aiguë d'argent et de beauté. C'était unejalousie maussade <strong>des</strong> vendeuses contre les clientes bien mises, les dames dont elless'efforçaient de copier les allures, et une jalousie encore plus aigre <strong>des</strong> clientes misespauvrement, <strong>des</strong> petites bourgeoises contre les vendeuses, ces filles vêtues de soie,dont elles voulaient obtenir une humilité de servante, pour un achat de dix sous.- Laissez donc ! conclut Henriette, toutes <strong>des</strong> malheureuses à vendre, <strong>com</strong>me leursmarchandises !Mouret eut la force de sourire. Le baron l'examinait, touché de sa grâce à se vaincre.<strong>Au</strong>ssi détourna-t-il la conversation, en reparlant <strong>des</strong> fêtes données au roi de Prusse:elles seraient superbes, tout le <strong>com</strong>merce parisien allait en profiter. Henriette setaisait, semblait rêveuse, partagée entre le désir d'oublier davantage Denise dansl'anti-chambre, et la peur que Mouret, prévenu maintenant, ne s'en allât. <strong>Au</strong>ssi finitellepar quitter son fauteuil.- Vous permettez ?- Comment donc, ma chère ! dit Mme Marty. Tenez ! je vais faire les honneurs de chezvous.Elle se leva, prit la théière, emplit les tasses. Henriette s'était tournée vers le baronHartmann.- Vous restez bien quelques minutes ?169
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Mais ce qui parut toucher ces messi
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