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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Mme de Boves restait dédaigneuse. Elle détestait la proposition, un <strong>com</strong>mis quil'appelait, la mettait en fuite. Surprise, Mme Marty ne <strong>com</strong>prenait pas cette horreurnerveuse du boniment, car elle avait l'autre nature, elle était <strong>des</strong> femmes heureusesde se laisser violenter, de baigner dans la caresse de l'offre publique, avec lajouissance de mettre ses mains partout et de perdre son temps en paroles inutiles.- Maintenant, reprit-elle, vite à mon lacet... Je ne veux même plus rien voir.Cependant, <strong>com</strong>me elle traversait les foulards et la ganterie, son coeur défaillit denouveau. Il y avait là, sous la lumière diffuse, un étalage aux colorations vives etgaies, d'un effet ravissant. Les <strong>com</strong>ptoirs, rangés symétriquement, semblaient être<strong>des</strong> plates-ban<strong>des</strong>, changeaient le hall en un parterre français, où souriait là gammetendre <strong>des</strong> fleurs. À nu sur le bois, dans <strong>des</strong> cartons éventrés, hors <strong>des</strong> casiers troppleins, une moisson de foulards mettait le rouge vif <strong>des</strong> géraniums, le blanc laiteux<strong>des</strong> pétunias, le jaune d'or <strong>des</strong> chrysanthèmes, le bleu.céleste <strong>des</strong> verveines; et, plus haut, sur <strong>des</strong> tiges de cuivre, s'enguirlandait une autrefloraison, <strong>des</strong> fichus jetés, <strong>des</strong> rubans déroulés, tout un cordon éclatant qui seprolongeait, montait autour <strong>des</strong> colonnes, se multipliait dans les glaces. Mais ce quiameutait la foule, c'était, à la ganterie, un chalet suisse fait uniquement avec <strong>des</strong>gants : un chef-d'oeuvre de Mignot, qui avait exigé deux jours de travail. D'abord, <strong>des</strong>gants noirs établissaient le rez-de-chaussée; puis, venaient <strong>des</strong> gants paille, réséda,sang de boeuf, distribués dans la décoration, bordant les fenêtres, indiquant lesbalcons, remplaçant les tuiles.- Que désire madame ? demanda Mignot en voyant Mme Marty plantée devant lechalet. Voici <strong>des</strong> gants de Suède à un franc soixante-quinze, première qualité...Il avait la proposition acharnée, appelant les passantes du fond de son <strong>com</strong>ptoir, lesimportunant de sa politesse. Comme elle refusait de la tête, il continua :- Des gants du Tyrol à un franc vingt-cinq... Des gants de Turin pour enfants, <strong>des</strong>gants brodés toutes couleurs...- Non, merci, je n'ai besoin de rien, déclara Mme Marty.Mais il sentit que sa voix mollissait, il l'attaqua plus rudement, en lui mettant sous lesyeux les gants brodés ; et elle fut sans force, elle en acheta une paire. Puis, <strong>com</strong>meMme de Boves la regardait avec un sourire, elle rougit.- Hein? suis-je enfant?... Si je ne me dépêche pas de prendre mon lacet et de mesauver, je suis perdue.Par malheur, il y avait, à la mercerie, un en<strong>com</strong>brement tel, qu'elle ne put se faireservir. Toutes deux attendaient depuis dix minutes, et elles s'irritaient, lorsque larencontre de Mme Bourdelais et de ses trois enfants, les occupa. Cette dernièreexpliquait de son air tranquille de jolie femme pratique, qu'elle avait voulu montrer çaaux petits. Madeleine avait dix ans, Edmond huit, Lucien quatre ; et ils riaient d'aise,c'était une partie à bon <strong>com</strong>pte, promise depuis longtemps.- Elles sont drôles, je vais acheter une ombrelle rouge, dit tout à coup Mme Marty, quipiétinait, impatientée de rester là, à ne rien faire.Elle en choisit une de quatorze francs cinquante. Mme Bourdelais, après avoir suivil'achat d'un regard de blâme, lui dit amicalement :- Vous avez bien tort de vous presser. Dans un mois, vous l'auriez eue pour dixfrancs... Ce n'est pas moi qu'ils attraperont ! .Et elle fit toute une théorie de bonne ménagère. Puisque les magasins baissaient lesprix, il n'y avait qu'à attendre. Elle ne voulait pas être exploitée par eux, c'était ellequi profitait de leurs véritables occasions. Même elle y apportait une lutte de malice,elle se vantait de ne leur avoir jamais laissé un sou de gain.- Voyons, finit-elle par dire, j'ai promis à mon petit monde de lui montrer <strong>des</strong> images,là-haut, dans le salon... Venez donc avec moi, vous avez le temps.Alors, le lacet fut oublié, Mme Marty céda tout de suite, tandis que Mme de Bovesrefusait, préférant faire d'abord le tour du rez-de-chaussée. Du reste, ces damesespéraient bien se retrouver en haut. Mme Bourdelais cherchait un escalier, lorsqu'elle133

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