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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Denise elle-même était gagnée par cette émotion. Elle revoyait la longue lutte <strong>des</strong>deux boutiques, elle assistait aux convois de Geneviève et de Mme Baudu, elle avaitsous les yeux le Vieil Elbeuf renversé, égorgé à terre par le <strong>Bonheur</strong> <strong>des</strong> <strong>Dames</strong>. Etl'idée de son oncle entrant en face, se promenant là en cravate blanche, lui faisaitsauter le coeur de pitié et de révolte.- Voyons, Denise, ma fille, est-ce possible ? dit-il simplement, tandis qu'il croisait sespauvres mains tremblantes.- Non, non, mon oncle ! cria-t-elle dans un élan de tout son être juste et bon. Ceserait mal... Pardonnez-moi, je vous en supplie.Il avait repris sa marche, son pas ébranlait de nouveau le vide sépulcral de la maison.Et, quand elle le quitta, il allait, il allait toujours, dans cette lo<strong>com</strong>otion entêtée <strong>des</strong>grands désespoirs qui tournent sur eux-mêmes, sans pouvoir en sortir jamais.Denise, cette nuit-là, eut encore une insomnie. Elle venait de toucher le fond de sonimpuissance. Même en faveur <strong>des</strong> siens, elle ne trouvait pas un soulagement. Jusqu'aubout, il lui fallut assister à l'oeuvre invincible de la vie, qui veut la mort pourcontinuelle semence. Elle ne se débattait plus, elle acceptait cette loi de la lutte ; maisson âme de femme s'emplissait d'une bonté en pleurs, d'une tendresse fraternelle, àl'idée de l'humanité souffrante. Depuis <strong>des</strong> années, elle-même était prise entre lesrouages de la machine. N'y avait-elle pas saigné ? ne l'avait-on pas meurtrie, chassée,traînée dans l'injure ?<strong>Au</strong>jourd'hui encore, elle s'épouvantait parfois, lorsqu'elle se sentait choisie par lalogique <strong>des</strong> faits. Pourquoi elle, si chétive ? pourquoi sa petite main pesant tout d'uncoup si lourd, au milieu de la besogne du monstre ? Et la force qui balayait tout,l'emportait à son tour, elle dont la venue devait être une revanche. Mouret avaitinventé cette mécanique à écraser le monde, dont le fonctionnement brutal l'indignait; il avait semé le quartier de ruines, dépouillé les uns, tué les autres ; et elle l'aimaitquand même pour la grandeur de son oeuvre, elle l'aimait davantage à chacun <strong>des</strong>excès de son pouvoir, malgré le flot de larmes qui la soulevait, devant la misèresacrée <strong>des</strong> vaincus.211

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