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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Elle se débattait, maintenant.- Non ! non !La salle à manger demeurait vide, le garçon n'avait point reparu. Jouve, l'oreilletendue au bruit <strong>des</strong> pas, jeta vivement un regard autour de lui ; et, très excité,sortant de sa tenue, dépassant ses familiarités de père, il voulut la baiser sur le cou.- Petite méchante, petite bête... Quand on a <strong>des</strong> cheveux <strong>com</strong>me ça, est-ce qu'on estsi bête ? Venez donc ce soir, c'est pour rire.Mais elle s'affolait, dans une révolte terrifiée, à l'approche de ce visage brûlant, dontelle sentait le souffle. Tout d'un coup, elle le poussa, d'un effort si rude, qu'il chancelaet faillit tomber sur la table. Une chaise heureusement le reçut ; tandis que le chocfaisait rouler une carafe de vin, qui éclaboussa la cravate blanche et trempa le rubanrouge. Et il restait là, sans s'essuyer, étranglé de colère, devant une brutalité pareille.Comment! lorsqu'il ne s'attendait à rien, lorsqu'il n'y mettait pas ses forces et qu'ilcédait simplement à sa bonté !- Ah ! mademoiselle, vous vous en repentirez, parole d'honneur ! Denise s'était enfuie.Justement, la cloche sonnait ; et, troublée, encore frémissante, elle oublia Robineau,elle remonta au <strong>com</strong>ptoir. Puis, elle n'osa plus re<strong>des</strong>cendre. Comme le soleil, l'aprèsmidi,chauffait la façade de la place Gaillon, on étouffait dans les salons de l'entresol,malgré les stores.Quelques clientes vinrent, mirent ces demoiselles en nage, sans rien acheter. Tout lerayon bâillait, sous les grands yeux somnolents de Mme <strong>Au</strong>rélie. Enfin, vers troisheures, Denise, voyant la première s'assoupir, fila doucement, reprit sa course àtravers le magasin, de son air affairé. Pour dépister les curieux, qui pouvaient la suivredu regard, elle ne <strong>des</strong>cendit pas directement à la soie ; d'abord, elle parut avoir affaireaux dentelles, elle aborda Deloche, lui demanda un renseignement ; ensuite, au rezde-chaussée,elle traversa la rouennerie, et elle entrait aux cravates, lorsqu'un sursautde surprise l'arrêta net.Jean était devant elle.- Comment ! c'est toi ? murmura-t-elle toute pâle.Il avait gardé sa blouse de travail, et il était nu-tête, avec ses cheveux blonds endésordre, dont les frisures coulaient sur sa peau de fille. Debout devant un casier deminces cravates noires, il semblait réfléchir profondément.- Que fais-tu là ? reprit-elle.- Dame ! répondit-il, je t'attendais... Tu me défends de venir.Alors, je suis bien entré, mais je n'ai rien dit à personne. Oh! tu peux être tranquille.Ne fais pas semblant de me connaître, si tu veux.Des vendeurs les regardaient déjà, l'air étonné. Jean baissa la voix.- Tu sais, elle a voulu m'ac<strong>com</strong>pagner. Oui, elle est sur la place, devant la fontaine...Donne vite les quinze francs, ou nous sommes fichus, aussi vrai que le soleil nouséclaire! Alors, Denise fut saisie d'un grand trouble. On ricanait, on écoutait cetteaventure. Et, <strong>com</strong>me un escalier du sous-sol s'ouvrait derrière le rayon <strong>des</strong> cravates,elle y poussa son frère, elle le fit <strong>des</strong>cendre vivement. En bas, il continua son histoire,embarrassé, cherchant les faits, craignant de n'être point cru.- L'argent n'est pas pour elle. Elle est trop distinguée... Et son mari, ah ! bien, il sefiche joliment de quinze francs ! Pour un million, il n'autoriserait pas sa femme. Unfabricant de colle, te l'ai-je dit ? <strong>des</strong> gens extrêmement bien... Non, c'est pour unecrapule, un ami à elle qui nous a vus ; et, tu <strong>com</strong>prends, si je ne lui donne pas lesquinze francs, ce soir...- Tais-toi, murmura Denise. Tout à l'heure... Marche donc ! Ils étaient <strong>des</strong>cendus dansle service du départ. La morte saison endormait la vaste cave, sous le jour blafard <strong>des</strong>soupiraux. Il y faisait froid, un silence tombait de la voûte. Mais pourtant un garçonprenait, dans un <strong>des</strong> <strong>com</strong>partiments, les quelques paquets <strong>des</strong>tinés au quartier de laMadeleine ; et, sur la grande table de triage, Campion, le chef de service, était assis,les jambes ballantes, les yeux ouverts.94

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