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Au Bonheur des Dames Emile ZOLA - livrefrance.com

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Tant pis! on m'a envoyée là-haut, à l'atelier, pour un poignet.Elles se séparèrent. La jeune fille, d'un air affairé, <strong>com</strong>me si elle courait de caisse encaisse, à la recherche d'une erreur, gagna l'escalier et <strong>des</strong>cendit dans le hall. Il étaitdix heures moins un quart, la première table venait d'être sonnée. Un lourd soleilchauffait les vitrages, et malgré les stores de toile grise, la chaleur tombait dans l'airimmobile. Par moments, une haleine fraîche montait <strong>des</strong> parquets, que <strong>des</strong> garçons demagasin arrosaient d'un mince filet d'eau. C'était une somnolence, une sieste d'été, aumilieu du vide élargi <strong>des</strong> <strong>com</strong>ptoirs, pareils à <strong>des</strong> chapelles, où l'ombre dort, après ladernière messe. Des vendeurs nonchalants se tenaient debout, quelques rares clientessuivaient les galeries, traversaient le hall, de ce pas abandonné <strong>des</strong> femmes que lesoleil tourmente.Comme Denise <strong>des</strong>cendait, Favier mettait justement une robe de soie légère, à poisroses, pour Mme Boutarel, débarquée la veille du midi. Depuis le <strong>com</strong>mencement dumois, les départements donnaient, on ne voyait guère que <strong>des</strong> dames fagotées, <strong>des</strong>châles jaunes, <strong>des</strong> jupes vertes, le déballage en masse de la province. Les <strong>com</strong>mis,indifférents, ne riaient même plus. Favier ac<strong>com</strong>pagna Mme Boutarel à la mercerie, etquand il reparut, il dit à Hutin :- Hier toutes auvergnates, aujourd'hui toutes provençales... J'en ai mal à la tête. MaisHutin se précipita, c'était son tour, et il avait reconnu "la jolie dame", cette blondeadorable que le rayon désignait ainsi, ne sachant rien d'elle, pas même son nom. Touslui souriaient, il ne se passait point de semaine sans qu'elle entrât au <strong>Bonheur</strong>,toujours seule. Cette fois, elle avait avec elle un petit garçon de quatre ou cinq ans.On en causa.- Elle est donc mariée? demanda Favier, lorsque Hutin revint de la caisse, où il avaitfait débiter trente mètres de satin duchesse.- Possible, répondit ce dernier, quoique ça ne prouve rien, ce mioche. Il pourrait être àune amie... Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'elle doit avoir pleuré. Oh! une tristesse, et <strong>des</strong>yeux rouges !Un silence régna. Les deux vendeurs regardaient vaguement dans les lointains dumagasin. Puis, Favier reprit d'une voix lente :- Si elle est mariée, son mari lui a peut-être bien allongé <strong>des</strong> gifles.- Possible, répéta Hutin, à moins que ce ne soit un amant qui l'ait plantée là.Et il conclut, après un nouveau silence :- Ce que je m'en fiche !À ce moment, Denise traversait le rayon <strong>des</strong> soieries, en ralentissant sa marche et enregardant autour d'elle, pour découvrir Robineau. Elle ne le vit pas, alla dans la galeriedu blanc, puis traversa une seconde fois. Les deux vendeurs s'étaient aperçus de sonmanège.- La voilà encore, cette désossée ! murmura Hutin.- Elle cherche Robineau, dit Favier. Je ne sais ce qu'ils fricotent ensemble. Oh ! rien dedrôle, Robineau est trop bête là-<strong>des</strong>sus... On raconte qu'il lui a procuré un petittravail, <strong>des</strong> noeuds de cravate. Hein ? quel négoce !Hutin méditait une méchanceté. Lorsque Denise passa près de lui, il l'arrêta, en disant:- C'est moi que vous cherchez ?Elle devint très rouge. Depuis la soirée de Joinville, elle n'osait lire dans son coeur, oùse heurtaient <strong>des</strong> sentiments confus. Elle le revoyait sans cesse avec cette fille auxcheveux roux, et si elle frémissait encore devant lui, c'était peut-être de malaise.L'avait-elle aimé ? L'aimait-elle toujours ? elle ne voulait point remuer ces choses, quilui étaient pénibles.- Non, monsieur, répondit-elle, embarrassée.Alors, Hutin s'amusa de sa gêne.- Si vous désirez qu'on vous le serve... Favier, servez donc Robineau à mademoiselle.86

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